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Jusqu’à la garde, où commence et où s’arrête la violence conjugale ?

Mis à jour le 7 avril, 2018

 

Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.

Jusqu’à la garde est un film assurément sociétal, et dans l’ère du temps. Il devrait, sans nul doute, rencontrer en salle le même succès qu’il a rencontré tout à la fois auprès des spectateurs et du jury lors de la dernière Mostra de Venise. Il embrasse un sujet fort, la violence conjugale, en propose un traitement astucieux, sur le fond principalement. S’il s’agit ceci dit d’évoquer la forme cinématographique, disons le d’emblée, et n’en parlons plus, elle est très quelconque; l’intérêt du film n’est pas là, et Xavier Legrand a tenu à ne surtout pas détourner l’attention, bien au contraire, il sait que son sujet intrigue, déroute, il sait qu’il est finalement peu traité au cinéma, il sait qu’il doit rester au centre; la forme doit nécessairement s’effacer pour que le spectateur entre en empathie non pas avec l’objet Jusqu’à la Garde, mais avec son sujet.

Le scénario est justement très bien conçu pour qu’il en soit ainsi: Jusqu’à la garde démarre sur une fausse piste, prend de l’ampleur, met mal à l’aise pour mieux faire réfléchir.

 

La fausse piste est celle d’un film qui s’intéresserait principalement à la question juridique, judiciaire, à la profession, son rôle, ses us, ses difficultés. Le cinéma français a depuis quelques années montrer que le monde professionnel regorgeait de sujets très cinématographiques dés lors que l’on prenait le temps d’observer, de saisir, pour mieux retranscrire des univers où des codes se sont instaurés sans que personnes ne portent réflexions sur ceux-ci, où des comportements se sont installés, où des combats sont menés au quotidien. Les nouveaux héros sont des professeurs, des médecins de campagne, des infirmiers, des policiers de la brigade des mineurs, des juges, … tous animés par une vocation.

Les premières images de Jusqu’à la garde laissent à penser, qu’un combat judiciaire va nous permettre de pénétrer un monde qui nous est assez opaque, d’en comprendre les articulations. Il faut souligner à ce niveau que Xavier Legrand s’est particulièrement documenté pour faire son film. Le réalisateur s’est enquit auprès d’une juge aux affaires familiales, d’ avocats, de policiers, de travailleurs sociaux et même de groupes de parole d’hommes violents, pour que rien ne soit laissé au hasard, pour que tout semble vrai.

Son cinéma est un cinéma du réel, en aucune façon un cinéma qui cherche à sublimer, à fantasmer, à symboliser; non, son intention est de rendre compte, de la manière la plus juste possible d’une part, mais aussi en prenant soin de ne pas porter lui même de jugement, laissant ce rôle au spectateur. Ce parti-pris est la sève même du film, qui le rend beaucoup moins ordinaire qu’il n’y paraît.

Pialat ou encore Kechiche sont des auteurs qui se sont, avec beaucoup de forces, emparés d’histoires quotidiennes, le plus souvent intimes, pour en faire ressortir toute la puissance. Leur écriture attache une importance première aux émotions, et pour cela, ils sont adeptes d’un procédé d’immersion. Les nerfs et les cordes sensibles du spectateur sont mis à rude épreuve du fait de l’absence de distance: ce que l’on voit évoque des situations qui nous sont familières, d’autant qu’elles sont dépeintes avec une grande exactitude.

Xavier Legrand opte lui pour un procédé bien différent, étrangement distant, trompeur surtout. Le drame familial est abordé sur un prisme bien différent, non pas sous l’angle judiciaire comme on nous le fait penser au départ, non pas sous l’angle du présent factuel, voire en version flashback comme cela est souvent de mise, mais sous l’angle de l’observation des conséquences premières qui à leur tour deviennent des causes.

Il s’intéresse à la difficulté de stopper la violence quand elle s’est installée, au cercle vicieux qu’elle entraîne, à la difficulté d’y voir clair pour l’entourage qui ne vit pas les choses, qui se doit de choisir un camps sur la base d’observations, qui parfois peuvent être trompeuses. Une victime peut facilement devenir une coupable, dés lors que ses blessures font que s’installent en elle des mécanismes défensifs, qui vus de l’extérieur peuvent sembler très exagérés.

S’il s’agit de chercher des références, sachez que Xavier Legrand s’est fortement inspiré de trois films  :  Kramer contre KramerLa Nuit du Chasseur et Shining, pour faire ressortir l’effroyablepour autant, il laisse la place à une lecture plus ambiguë, en décidant que son personnage principal puisse faire montre de qualités réelles, ou feintes … Plusieurs lectures sont possibles quant à la psyché de chacun des protagonistes, que ce soit celle du personnage interprété par Léa Drucker, ou celle du personnage interprété par Denis Ménochet. Il y a bien entendu les faits, les conséquences, la façon dont chacun vit les choses, mais il y a aussi et surtout une interrogation rémanente: quelle est la cause de la situation, dans quelle mesure les conséquences ne sont-elles pas indélébiles, un remède est-il seulement possible au cercle de violence qui s’instaure ?

Le spectateur pourra en effet se sentir parfois mal à l’aise de ce qui semble un parti-pris :  victimiser la personne normalement bourreau, et à l’inverse,  bien mettre en avant les erreurs de la bien-pensance. Si cet éclairage se révèle oh combien efficace, est-il si intentionnel ?… Un doute s’installe en nous, critique, mais aussi spectateurs … 

Ajoutons à ces belles qualités, l’interprétation convaincante des deux acteurs principaux Léa Drucker, et Denis Ménochet.  Tous deux sont crédibles tout à la fois quant à leur compositions respectives, mais aussi en projection de ce qu’ils peuvent renvoyer quant à leurs images personnelles – quoi que Ménochet s’en défende, préférant que l’on puisse voir en lui un gros nounours, assurément il dégage une force brute qui impressionne, effraie.

Notez enfin que le titre Jusqu’à la garde s’avère très  habile, en ce qu’il sous entend un double sens, que le film possède effectivement, détail qui affine notre jugement: le film est bon, comme en atteste l’accueil du public à Venise

mais aussi les récompenses que le jury de la Mostra de Venise a décernés au film

 

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