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#Oeillades2022 – Journal critique

Le festival Les œillades a lieu en ce moment. Nous vous proposons ici un journal critique, pour mieux vous guider, notamment parmi les avant-première proposées dans le cadre de cette 26ème édition du Festival du Film Francophone d’Albi.

L’échelle de notation qui est appliquée est la suivante:

–       très mauvais film
*         film passable
**       bon film
***     très bon film
****   excellent film
***** chef d’œuvre


La combattante (2022, Camille Ponsin)

Avec Marie-José Tubiana

Marie-José Tubiana, 90 ans, est une ethnologue à la retraite, spécialiste du Darfour. Chaque jour, elle recueille minutieusement des témoignages de réfugiés pour authentifier leur récit et compléter leur dossier de demandeur d’asile. Malgré son âge, elle met à contribution son savoir et le travail de toute une vie de recherche, pour mener son combat. Le combat d’une vie dédiée à autrui.

Notre avis ***(*) Marie-José Tibiana est une ethnologue du CNRS. Bien que désormais à la retraite, elle poursuit ses activités en pur bénévolat. A l’âge de 90 ans et en solitaire, elle met sa très grande connaissance du Darfour pour venir étayer les dossiers de demande d’asile de requérants issus de cette région soudanaise en proie de longue date aux exactions des Janjawids soutenus par le pouvoir soudanais.

L’OFPRA soumise à un budget de fonctionnement sans cesse revu en baisse et à une politique du chiffre, quota de rejets des demandes notamment, refuse nombre de demandes d’asile. Les raisons évoquées plaident principalement l’insuffisance de précisions géographiques et biographiques des dossiers soumis par les demandeurs d’asile. Des imprécisions ou manques de précisions souvent issus de traductions incomplètes, le Darfour étant le berceau de multiples dialectes peu répandus et donc peu maîtrisés en dehors des frontières du Darfour.

« Quelque part sous les toits parisiens », Camille Ponsin installe sa caméra dans l’appartement de Marie-José. Le réalisateur reste derrière la caméra pour mieux observer et interroger son héroïne seule devant la caméra ou, au contraire, durant des séquences d’interview de demandeurs d’asile réalisées in situ. Bien que fatiguée par son grand âge et une mémoire parfois vacillante, l’ethnologue ne ménage pas ses efforts pour monter ses dossiers argumentés. Dans sa position d’observateur, Ponsin rend parfaitement compte des travaux de cette. Dans La combattante, le réalisateur fait aussi usage de cartes géographiques et autres extraits vidéo (Jean Rouch est évoqué) pour servir les témoignages enregistrés.

A 92 ans désormais, Marie-José continue ce travail de sape. Le portrait dressé, humaniste à l’image de son sujet, laisse cependant le spectateur sur sa faim. En effet, si les archives personnelles écrites et filmiques survivront à son auteure, personne ne semble désigné pour poursuivre les travaux menés. La fin pressentie serait alors quasi aussi révoltante que la situation des plus de 350 demandeurs d’asile auxquels Marie-José a apporté une aide précieuse et très souvent décisive.

Tempête (2022, Christian Duguay)

Avec Mélanie Laurent, Pio Marmaï, Kacey Mottet Klein, Carmen Kassovitz…

Née dans le haras de ses parents, Zoé a grandi au milieu des chevaux et n’a qu’un rêve : devenir jockey ! Tempête, une pouliche qu’elle voit naître, va devenir son alter ego. Mais un soir d’orage, Tempête, affolée, renverse Zoé et vient briser son rêve. Elle va pourtant s’accrocher et tenter l’impossible pour renouer avec son destin.

Notre avis ***(*) : Tempête de Christian Duguay fait immédiatement penser à Jappeloup que le réalisateur québécois avait livré en 2013. La thématique reste en effet la même, celle du monde hippique. Si Jappeloup baignait dans les concours de saut d’obstacles, Tempête visite la sphère des courses hippiques de purs sangs. A l’identique, les deux longs-métrages héritent du nom d’un cheval pour titre. Deux chevaux prometteurs et protagonistes à part entière autour desquels se trame l’histoire racontée à l’issue hypothétiquement positive. Les deux films sont aussi voisins dans leur conception. En effet, tous les deux sont des adaptations cinématographiques de nouvelles littéraires : Tempête au haras de Christophe Donner pour Tempête et Crin noir de Karine Devilder pour Jappeloup.

Un lien de filiation évident peut donc être tiré entre ces deux films. Pour autant Tempête n’est pas un remake de Jappeloup. Duguay renouvelle en totalité sa distribution. Un casting homogène dans sa qualité mais duquel il faut cependant pointer l’excellente prestation de Kacey Mottet Klein. Ce jeune acteur déjà remarqué notamment dans Home (2008), L’enfant d’en haut (2012), Keeper (2015) hérite ici d’un rôle secondaire difficile à porter. Son incarnation très convaincante de bout en bout nous laisse regretter que son personnage n’ait pas été plus développé (visite de ses traumatismes).

En matière de réalisation, Duguay pousse plus loin les curseurs de la mise en scène dans Tempête en comparaison de ce qui avait été constaté dans Jappeloup. Le réalisateur multiplie les plans aériens sur la Normandie et ses rivages. Plus notable encore, la réalisation des scènes de courses hippiques est brillante. Ces séquences ont nécessité une grande technicité et la débauche de moyens conséquents. On ne peine pas à entrevoir la lourde logistique qui a dû être mise en œuvre pour déboucher sur des résultats irréprochables. Les efforts produits dans la réalisation de Tempête sont conséquents et doivent être soulignés. Ils contrebalancent pleinement un épilogue en bout de course insatisfaisant par manque de crédibilité.

Courts métrages (1912-1916, Alice Guy Blache)

Là où les frères Lumière avaient choisi de filmer la vraie vie un peu partout sur le planète, Alice Guy Blache s’engageait à filmer des fictions. Pionnière du cinéma en France puis aux Etats-Unis, elle estimait que filmer simplement le quotidien ne suffirait pas à attirer un public suffisant dans les salles de cinéma naissantes. Quatre courts-métrages composent cette sélection, à savoir successivement : Falling leaves (1912), L’américanisé (1912), Matrimony’s speed limit (1913) et The ocean waif (1916). Tous relèvent donc de récits fictionnels et embrassent différents des genres cinématographiques allant de la pure comédie (Matrimony’s speed limit) jusqu’au drame familial (Falling leaves).

Ces courts-métrages ont été réalisé par Alice Guy Blache durant sa période américaine. Cette dernière tombée dans le domaine public est bien plus visible que son aînée française, toujours propriété de Gaumont. Chacun porte un message féministe en faisant de son protagoniste féminin soit le personnage principal soit un personnage secondaire d’importance. Autant de femmes en lutte pour plus d’autonomie, de reconnaissance ou d’émancipation face à l’adversité que représente la gent masculine proche.

Falling leaves (12’, notre avis ***), exclusivement tourné en studio, présente la caractéristique de proposer des trucages vidéo pour simuler la chute des feuilles évoqué par le titre du court-métrage. Comme son titre le suggère, Matrimony’s speed limit (14’, notre avis ***) est animé d’un rythme effréné car son personnage principal doit se marier avec midi pour pourvoir être le bénéficiaire d’un riche héritage. The ocean waif (notre avis ***(*)) prouve toute la dextérité de son auteure en matière de mise en scène (placements de la caméra et angles de prise de vues) dans un format plus long puisque la durée de ce film est de quarante minutes. Pour sa part, L’américanisé (16’, notre avis **) se révèle plus caricatural dans son message alourdi par une sonorisation beaucoup trop explicite sur les propos prêtés au personnage principal au fort accent russe prénommé Ivan et sujet à trois leçons d’américanisation…

Habib, la grande aventure (2023, Benoît Mariage)

Avec Bastien Ughetto, Catherine Deneuve, Thomas Solivérès

Habib est un jeune acteurqui rêve de théâtre et de cinéma, mais qui n’enchaîne quedes rôles sans envergure . Sa famille a du mal à comprendre cette passionqui ne lui rapporte pas un rond. Jusqu’au jour où il décroche un petit rôle de gigolo aux côtés de Catherine Deneuve. C’est l’heure de la revanche, et le début des problèmes.

Notre avis *** : Benoît Mariage est l’auteur de plusieurs comédies dont l’atypique Les convoyeurs attendent (1999) qui font apparaître Benoît Poelvoorde et/ou Bouli Lanners en protagonistes principaux. Dans Habib, la grande aventure ni Poelvoorde ni Lanners ne sont convoqués au casting. Dans ce cinquième long-métrage de fiction, Mariage renouvelle donc entièrement sa distribution mais reste fidèle à la comédie relevée à l’humour belge, joyeusement décalé.

L’autre titre de ce film pourrait être Saint François de Molenbeek tant le cinéaste prend plaisir à décliner sa narration autour de l’histoire de Saint François d’Assise pour la transplanter dans la communauté marocaine de la ville périphérique de Bruxelles. Il résulte de cet étonnant attelage de nombreuses situations cocasses, parfois surprenantes mais toujours crédibles. Le fil narratif, jamais très éloigné de son personnage titre interprété par Bastien Ughetto, joue longtemps sur la rencontre programmée de ce dernier avec mademoiselle Catherine Deneuve. La rencontre consommée, Habib, la grande aventure poursuivra son cours sans perdre en rythme.

Ailleurs si j’y suis (2023, François Pirot)

Avec Jérémie Renier, Suzanne Clément, Samir Guesmi, Jean-Luc Bideau

Alors que sa famille et son métier le mettent sous pression, Mathieu, sur un coup de tête, s’enfonce dans la forêt devant chez lui. Et y reste. Face à cette démonstration de liberté,ses proches s’interrogent… Sur lui, sur eux-mêmes, sur le sens de leur vie… Et s’il avait raison ?

Notre avis *** : Dans Ailleurs si j’y suis, François Pirot prend prétexte de la fuite non préméditée de Mathieu, son personnage principal interprété par Jérémie Renier, pour poser le cadre de son film. En effet, Mathieu, son personnage central dès le début du métrage est, à l’image de la position qu’il adopte, mis en marge du récit pour n’être ensuite rattrapé par la narration qu’à l’approche de l’épilogue.

Cet épilogue est d’ailleurs multiple car Pirot adresse à chacun de ses personnages une trajectoire propre et chacune devra, bon gré mal gré, trouver une issue. S’inspirant consciemment ou inconsciemment de Mathieu, chaque protagoniste de Ailleurs si j’y suis cherche à basculer vers une autre existence. Chacun échafaude son propre scénario pour changer de vie ou ouvrir une parenthèse qui ne sera peut-être pas appelée à être refermée.

Le cinéaste interroge le destin des protagonistes qu’il met en scène. Autant de quêtes existentielles qui militent pour un rapprochement à la nature, une plus grande simplicité de vie. Chaque personnage est dès lors confronté à un choix personnel. Est-ce le moment venu pour concrétiser un retour à l’essentiel tout aussi nécessaire que compliqué à mettre en œuvre ? La multiplicité et la variété des profils des personnages permettra sans nul à chaque spectateur de s’identifier à l’un d’entre eux.

Les Harkis (2022, Philippe Faucon)

Avec Théo Cholbi, Mohamed Mouffok, Pierre Lottin, Yannick Choirat, Omar Boulakirba

Fin des années 50, début des années 60, la guerre d’Algérie se prolonge. Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources rejoignent l’armée française, en tant que harkis. Á leur tête, le lieutenant Pascal. L’issue du conflit laisse prévoir l’indépendance prochaine de l’Algérie. Le sort des harkis paraît très incertain. Pascal s’oppose à sa hiérarchie pour obtenir le rapatriement en France de tous les hommes de son unité.

Notre avis ***(*) : Les Harkis est moins un film de guerre qu’un film sur la guerre, en l’occurrence celle menée par la France en Algérie. Philippe Faucon livre une œuvre qui documente ce conflit en vue de l’éclairer par le prisme de plusieurs points de vue. Il y a celui de la France à travers le commandement de ses troupes déployées en Algérie et celui des Harkis, c’est-à-dire des plus ou moins jeunes hommes qui dans les combats se sont engagées aux côtés des forces françaises jusqu’à y être intégrées.

Dans la première partie du film, Faucon donne à voir les évolutions sur le terrain d’une troupe de l’armée françaises qui compte dans ses rangs quelques Harkis. Quelques séquences donnent à voir, pudiquement, les accrochages sur le terrain entre les deux belligérants notamment la traque de combattants ennemis et la fouille de villages isolés. Mais la veine cinématographique de Faucon est anti-démonstrative et anti-spectaculaire. Les Harkis ne déroge pas à cette marque de fabrique caractéristique de la filmographie du cinéaste. Ainsi, la violence des combats reste hors du champ de la caméra.

L’ambition audacieuse portée par le film réside dans la présentation de l’évolution du statut des Harkis au sein des troupes françaises. Pour ce faire, Faucon retrace, de 1958 jusqu’à la proclamation de l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’évolution du groupe armé cité plus haut. Le récit proposé s’appuie sur de véritables témoignages dont les sources sont indiquées dans le générique de fin. Soixante ans après les évènements, ce sujet reste délicat à traiter car les décisions gouvernementales prises dès la fin des années 50 étaient contestables mais ne pouvaient être contestées sur le terrain.

La description faite par Faucon a la précision d’un documentaire. L’évolution de la position de la France est parfaitement documentée et exposée dans ce film. La narration suit l’ordre chronologique des évènements et décisions afin d’éviter d’ajouter une complexité inutile qui viendrait brouiller le message porté. Les actions de groupe dictées par un commandement de haut rang peu visible dans le film priment car elles demeurent incontournables. L’entreprise individuelle, forcément très restreinte en situation de guerre, peine à s’exprimer quand son cadre déborde de celui indiqué par le commandement. Elle est pourtant, peut-être, une partie de la solution.

L’origine du mal (2022, Sébastien Marnier)

Avec Laure Calamy, Dominique Blanc (de la Comédie Française), Dora Tillier, Céleste Brunnquell, Jacques Weber

Dans une luxueuse villa en bord de mer, une jeune femme modeste retrouve une étrange famille : un père inconnu et très riche, son épouse fantasque, sa fille, une femme d’affaires ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Quelqu’un ment. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…

Notre avis **(*) : L’origine du mal de Sébastien Marnier se caractérise par sa distribution. Tous les principaux personnages sont féminins à l’exception de celui incarné par Jacques Weber. Un seul protagoniste masculin qui, sans être le personnage central incarné par Laure Calamy, est la cible d’un entourage exclusivement féminin (jusqu’aux personnels de justice) et majoritairement venimeux. Le cinéaste a donc fait profusion de rôles féminins lors de l’écriture du scénario. Il a pris le risque aussi de rendre peu sympathique ses personnages féminins auxquels il applique des caractérisations et des évolutions psychologiques très inégales.

En contrepoint, il y a une indéniable habileté chez ce cinéaste à mener un récit finalement assez ludique si le spectateur cherche à deviner les visées de chaque personnage. Le scénario fonctionne comme un cluedo bien qu’ici aucun meurtre n’ait été (encore ?) commis. Les questionnements doivent ici porter sur les intentions de chaque protagoniste. En définitive, L’origine du mal est à rapprocher d’un autre film français réalisé en 2002 par François Ozon : 8 femmes.

Le tourbillon de la vie (2022, Olivier Treiner)

Avec Lou de Laâge, Raphaël Personnaz, Isabelle Carré, Grégory Gadebois, Esther Garrel, Denis Podalydès

Les grands tournants de notre existence sont parfois dus à de petits hasards. Si Julia n’avait pas fait tomber son livre ce jour-là, aurait-elle croisé Paul ? Ou sa vie aurait-elle pris une toute autre direction ? Nos vies sont faites d’infinies possibilités. Pour Julia, il suffit d’un petit rien tellement de fois ; tous ces chemins qu’elle aurait pu suivre, toutes ces femmes qu’elle aurait pu être… Choisit-on son destin ? A quoi tiennent l’amour ou le bonheur ?

Notre avis **** : Après la réalisation de plusieurs courts-métrages dont L’accordeur en 2010, Olivier Treiner livre son premier long-métrage titré Le tourbillon de la vie. Il peut être dessiné un lien entre L’accordeur qui faisait le récit d’un accordeur aveugle de pianos et ce film dont l’héroïne prénommée Julia et incarnée par Lou de Laâge est une jeune pianiste de talent et promise à un avenir brillant.

Treiner alimente son premier long-métrage d’une ambition énorme : retracer la vie de Julia de ses 17 ans (1989, chute du mur de Berlin) jusqu’à ses 80 ans. Plus ambitieux encore, le cinéaste décline cet objectif à travers quatre Julia. En effet, en rejouant à l’écran quelques moments clés de la vie de Julia et en faisant emprunter à ces instants existentiels des cheminements différents ce sont quatre destins distincts qui sont mis en images. Pour autant, Le tourbillon de la vie n’est pas découpé en quatre chapitres. Les quatre destins de Julia sont portés à l’écran en parallèle pour sans cesse se croiser.

L’entreprise est périlleuse et complexe, le film qui en résulte est d’excellente facture. Il y a d’abord une écriture scénaristique qu’on imagine longue et complexe. Comment en effet restituer quatre vies en deux heures et rendre le tout compréhensible et crédible ? Une des réponses apportées par Treiner réside dans la composition de séquences qui pour certaines viennent alimenter le fil narratif de la Julia identifiée à l’écran mais aussi celui d’un ou plusieurs autres de ses destins possibles. Au-delà d’identifier le point de départ narratif de chacun des quatre destins, un autre aspect ludique du film pour ses spectateurs sera d’identifier la scène où les quatre Julia se « rencontrent ».

Une complexité de même ordre pour ce type de long-métrage réside dans son montage technique. Il y a d’abord la nécessité de faire tenir en deux heures ce qui aurait pu être décliné en une mini-série. La solution consiste ici à sacrifier des (bouts de) séquences sans nuire à l’intelligibilité du métrage. Mais pour que l’ensemble forme un tout, il faut que les lignes de séparation entre les quatre fils narratifs soient les moins visibles possibles. Le montage technique du Tourbillon de la vie fait à quatre mains par Valérie Deseine et Camille Delprat rivalise d’ingéniosité et de précision avec l’écriture scénaristique. Les quatre narrations ne paraissent qu’une à l’écran et, par l’entremise de ce montage technique efficient, les possibles moments de confusion narrative disparaissent comme par magie.

Enfin, Le tourbillon de la vie est servi par un casting de qualité. Isabelle Carré, Grégory Gadebois, Raphaël Personnaz et Denis Podalydès notamment livrent des prestations de qualité. Pour sa part, Lou de Laâge brille dans un rôle complexe car multiple, central et balayant une période longue d’une soixantaine d’années. La jeune actrice rend son personnage crédible quel que soit l’âge de celui-ci à l’écran. Elle confirme, si cela est encore nécessaire, tout son talent d’actrice.

Grand marin (2023, Dinara Drukarova)

Avec Dinara Drukarova, Sam Louwyck, Björn Hlynur Haraldsson, Hjörtur Johann Jonsson

Lili a tout quitté pour partir au bout du monde réaliser son rêve : pêcher sur les mers du Nord. Elle persuade Ian, capitaine de chalutier, de lui donner sa chance et s’embarque sur le Rebel. Lili va conquérir son droit de vivre différemment, libre.

Notre avis *** : Grand marin est le premier long-métrage réalisé par l’actrice Dinara Drukarova, auteure auparavant d’un court-métrage titré Ma branche toute fine (2018). Ce film est l’adaptation cinématographique du roman Le grand marin publié en 2016 par Catherine Poulain.

Les écrits d’une femme, le film d’une autre femme sur le monde de la pêche au grand large. Soit une sphère taiseuse et éminemment masculine habitée par des hommes aux caractères bien trempés. Une femme donc dans un monde d’hommes où le rôle de la femme est plutôt celui d’une « nounou » sur la terre ferme. Cette perception matinée de machisme est bien restituée à l’écran par Drukarova. Mais le récit en filigrane est bien celui d’une femme très attachée à sa liberté, forte dans ses convictions et intransigeante dans ses choix de vie.

Alors que l’actrice-réalisatrice travaille actuellement sur sa prochaine réalisation qui sera un documentaire, on peut constater que Grand marin, film très pensé et calculé, prend par instants des reflets de documentaire. Le métier de marin-pêcheur, pratiqué ici par des professionnels et non des acteurs, y est scruté avec une notable acuité.

Le sixième enfant (2022, Léopold Legrand)

Avec Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe de la comédie française, Damien Bonnard, Judith Chemla, Marie Christine Orry, Olivier Rabourdin

Franck, ferrailleur, et Meriem ont cinq enfants, un sixième en route, et de sérieux problèmes d’argent. Julien et Anna sont avocats et n’arrivent pas à avoir d’enfant. C’est l’histoire d’un impensable arrangement.

Notre avis ***(*) : Premier long-métrage de Léopold Legrand, auteur jusqu’ici de trois courts-métrages réalisés entre 2016 et 2018, Le sixième enfant est l’adaptation cinématographique du roman Pleurer des rivières écrit par Alain Jaspard. De ce livre, Legrand secondé par Catherine Paillé tire un scénario bien ficelé. D’ailleurs, lors du Festival du Film Francophone d’Angoulême 2022, le prix du meilleur scenario fut attribué à ce film. Mais aussi les prix du public, de la meilleure musique et celui d’interprétation féminine pour Sara Giraudeau et Judith Chemla.

En quatre-vingt-dix minutes et dans un rythme sans temps mort, la narration déroule dans son ordre chronologique un récit cohérent et crédible. Le sixième enfant confronte deux classes sociales pour questionner la question parentale. En effet, l’impossibilité d’avoir un enfant pour le couple d’avocats formé par Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe les oriente vers une solution au bord de la légalité échafaudée avec le couple incarné par Judith Chemla et Damien Bonnard appartenant aux gens du voyage et frappé de précarité sociale et financière. La narration portée par le film convainc par l’accumulation de revirements scénaristiques et de décisions et de faits imprévisibles. Ainsi, l’issue dévoilée par l’épilogue du film déjoue tout ce qui a pu être pressenti auparavant.

Sous les figues (2022, Erige Sehiri)

Avec Ameni Fdhili, Fide Fdhili, Feten Fdhili, Samar Sifi, Firas Amri, …

Au milieu des figuiers, pendant la récolte estivale, de jeunes femmes et hommes cultivent de nouveaux sentiments, se courtisent, tentent de se comprendre, nouent – et fuient – des relations plus profondes.

Notre avis **(*) : Erige Sehiri est issue de la sphère documentariste. Sous les figues est sa première réalisation relevant d’un récit fictionnel. Pour autant, ce film garde de nombreux reflets du documentaire ce qui justifie de qualifier ce long-métrage de docu-fiction.

La réalisatrice fait cohabiter deux générations d’ouvriers agricoles lors d’une journée de cueillette de figues. La population peut être considérée triple au regard du positionnement, plutôt conflictuel, du patron. Le casting réuni est non professionnel et la langue employée sous les figuiers tunisiens est l’arabe.

En caméra unique et portée, Sehiri cherche à capter les interactions entre les différents protagonistes. Ces échanges verbaux apparaissent rarement mixtes d’un point de vue générationnel. Ils concernent principalement la jeune génération alors que les membres de la génération des adultes demeurent plus souvent en périphérie de la narration. Dans sa composition, Sous les figues laisse apparaître les coutures entre les différentes conversations captées par la réalisatrice. Il ressort ainsi de ce film un sentiment de juxtaposition des historiettes mises en images. En conséquence, le fil narratif porté émerge peu car, morcelé et dilué, il perd en force.

Le lycéen (2022, Christophe Honoré)

Avec Paul Kircher, Juliette Binoche, Vincent Lacoste, Erwan Keopa Falé, Adrien Casse, Pascal Cervo

Lucas a 17 ans quand soudain son adolescence vole en éclats. Avec l’aide de son frère, monté à Paris, et de sa mère, avec qui il vit désormais seul, il va devoir lutter pour apprendre à espérer et aimer de nouveau.

Notre avis **** : Le lycéen est un titre trompeur et finalement peu approprié à ce film réalisé par Christophe Honoré. En effet, sous ce titre, le spectateur peut s’attendre à un film de teenagers soit un genre cinématographique ciblant une partie spécifique du public. Ce long-métrage ne relève pourtant pas de ce genre cinématographique.

Le scénario écrit par Honoré porte sur un drame familial. Les conséquences de celui-ci sont décrites à posteriori comme elles ont été vécues par Lucas (Paul Kircher). Pour cet adolescent, lycéen de 17 ans, ce drame familial va agir comme un révélateur. La bascule brutale vers le monde des adultes va agir comme une sorte d’accélérateur qui pourrait mener à trop grande vitesse ce jeune homme vers l’irréparable. La présence et le soutien de son entourage le plus proche composé de sa mère (Juliette Binoche) et de son frère aîné (Vincent Lacoste) peuvent servir de potentiels catalyseurs au désir de liberté, quasi suicidaire, de Lucas.

Le lycéen arpente ainsi des cheminements inattendus. Honoré dédie ce film à son père décédé alors que le futur cinéaste n’était âgé que de 15 ans. Il y a donc assurément dans le personnage de Lucas âgé de 17 ans une part autobiographique. Le lycéen est aussi un film cathartique et probablement écrit avec cet objectif (Honoré est l’auteur du scénario). Cette contextualisation posée, il se dégage de ce long-métrage une puissance émotionnelle rare. Le spectateur doit s’attendre à être certes ému mais surtout bousculé par un récit très fort. Oui, Le lycéen est parfois douloureux à regarder mais Honoré a su ménager des temps de respiration salvateurs dans sa narration.

Enfin, le pouvoir analytique de ce long-métrage est renforcé par les séquences de « confession » très subtiles et bien écrites de Lucas face caméra. Il reste désormais une interrogation : pourquoi avoir choisi ce titre anodin pour un film qui ne l’est pas du tout ?

La ligne (2022, Ursula Meier)

Avec Stéphanie Blanchoud, Valeria Bruni Tedeschi, Elli Spagnolo, India Hair, Benjamin Biolay

Après avoir agressé violemment sa mère Christina lors d’une dispute, Margaret est arrêtée par la police et condamnée à ne plus s’approcher à moins de 100 mètres de la maison familiale. « Enfermée dehors », Margaret n’aura de cesse de se faire pardonner son acte et cette ligne imaginaire à ne pas franchir cristallisera toutes les tensions de cette famille dysfonctionnelle.

Notre avis ***(*) : Ursula Meier est une réalisatrice rare et pourtant importante. Ses premières et dernières réalisations de longs-métrages de fiction remontent à Home (2008) et L’enfant d’en haut (2012). Après dix ans d’attente, la réalisation nous livre enfin une nouvelle fiction titrée La ligne. La ligne titre forme un cercle de 100 mètres de diamètre autour de la maison de Christina (Valeria Bruni Tedeschi). Suite à une décision judiciaire, sa fille Margaret (Stéphanie Blanchoud) à interdiction pendant trois mois de s’approcher à moins de 100 mètres d’elle.

Cette interdiction fait suite à une violente dispute entre Margaret et Christina. Cette agression est l’objet de la séquence liminaire du film. Cette scène marquante est restituée au ralenti à l’écran. Les cris et invectives sont couverts par l’habillage musical de cette introduction renversante. Ne dit-on pas que la musique adoucie les mœurs ? Cette expression est contredite dans cette famille d’artistes œuvrant pour certains de ses membres dans le monde de la musique.

La réalisatrice dresse le portrait d’une famille hautement dysfonctionnelle qui était aussi la thématique abordée dans Home et L’enfant d’en haut. En matière de mise en scène, on note un soin particulier apporté sur la composition des cadres et une belle gestion des distances entre la caméra et les personnages filmés. Ces éléments accompagnent à merveille la dramaturgie dans sa progression. Les heurts entre les protagonistes trouvent un prolongement dans la réalisation adoptée par Meier.

Les cadors (2023, Julien Guetta)

Avec Jean-Paul Rouve, Grégoire Ludig, Michel Blanc, Marie Gillain

L’histoire de deux frères que tout oppose. Antoine, marié, deux enfants, conducteur de bateaux, et Christian, célibataire, chômeur et bagarreur incorrigible. Mais quand Antoine le mari idéal se retrouve mêlé à une sale histoire, c’est Christian le mal aimé qui, même si on ne lui a rien demandé, débarque à Cherbourg pour voler à son secours. Les Cadors comme ils aimaient se surnommer dans leur enfance vont se redécouvrir au travers de cette histoire. Christian qui n’a rien à perdre, va alors défendre au péril de sa vie cette famille qu’il a toujours rêvé d’avoir sans jamais avoir eu le courage de la fonder.

Notre avis **(*) : Ranger dans la catégorie comédie ce second long-métrage de Julien Guetta nous paraît pour le moins réducteur.  Les cadors lorgne bien évidemment sur ce genre cinématographique notamment à travers le personnage interprété par Jean-Paul Rouve. Le comédien semble avoir participé à l’écriture des gags qui lui sont attribués dans certaines scènes. Mais cette comédie n’est pas un long fleuve tranquille. La fratrie composée par Rouve et Grégoire Ludig est un duo disparate car les deux frères ne partagent pas le même tempérament. Leur complicité chancelante et fragile est mise à rude épreuve par les évènements subis par l’un ou l’autre.

C’est donc, à l’appréciation de chacun, soit une comédie douce-amère soit une tragi-comédie. L’ensemble est plutôt bien maîtrisé au niveau de la réalisation alors que la narration n’est pas exempt d’un sentiment de redite qui fausse le rythme du film. Pour leur part, le choix et l’usage des musiques d’accompagnement peuvent prêter à discussion.

Corsage (2022, Marie Kreutzer)

Avec Vicky Krieps, Floria Teichtmeister, Katharina Lorenz, Jeanne Werner, Alma Hasun, Manuel Rubey …

Noël 1877, Élisabeth d’Autriche (Sissi), fête son 40e anniversaire.
Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice.
Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Etouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Elisabeth se rebelle de plus en plus contre cette image.

Notre avis ** : Dans Corsage, Marie Kreutzer revisite le mythe d’Elisabeth d’Autriche alias Sissi. L’ambition ici est de dépeindre l’impératrice d’Autriche sous un regard plus moderne et, malheureusement, actualisé. Pour cela, la réalisatrice fait usage sporadiquement de dialogues et de quelques gestuelles trop actuels et donc mal appropriés pour rendre compte d’une fin de XIXème siècle approchante. Après visionnage du film, nous pouvons nous rendre compte que l’affiche du film était à prendre comme une alerte… Mais, ce que l’affiche de Corsage ne souffle pas c’est la teneur de l’habillage musical du film. En effet, la bande originale du film composée par Camille est en complet décalage avec la période restituée à l’écran. Là encore, le portrait de Sissi s’en voit dénaturé. Enfin, Corsage n’est pas exempt d’anachronismes. Le plus flagrant est celui porté par « Louis le Prince » interprété par Finnegan Oldfield. Dès 1878, celui-ci aurait inventé un système de « photographies animées » qu’il vient expérimenter auprès de l’impératrice d’Autriche. Ce « Louis le Prince » aurait donc devancé de près de deux décennies les frères Lumière. Choix scénaristique étrange d’autant que ce personnage est le seul à parler uniquement français. Quel message la réalisatrice compte-t-elle porter à l’adresse des frères Lumières ?

En définitive, si Kreutzer parvient à libérer Corsage des contraintes maintes fois constatées dans les films en costumes (Corsage n’est pas un film corseté), la liberté prise semble bien trop grande car, peut-être, non maîtrisée. En soi, Corsage n’est pas un mauvais film mais les choix de mise en scène prêtent à discussions et, pour notre part, à critiques. L’intention de Kreutzer est bonne. Son portrait de Sissi est très éloigné de celui brossé par la trilogie composée par Ernst Marischka (1955 à 1957) avec Romy Schneider dans le rôle-titre, mais le résultat obtenu à l’écran reste décevant et laisse dubitatif.

La grande magie (2023, Noémie Lvovsky)

Avec Denis Podalydès, Sergi Lopez, Noémie Lvovsky, Judith Chemla, François Morel, Damien Bonnard, Rebecca Marder

France, les années 20. Dans un hôtel au bord de la mer, un spectacle de magie distrait les clients désœuvrés. Marta, une jeune femme malheureuse avec son mari jaloux, accepte de participer à un numéro de disparition et en profite pour disparaître pour de bon. Pour répondre au mari exigeant le retour de sa femme, le magicien lui met entre les mains une boîte en lui disant qu’elle est à l’intérieur. Cependant il ne doit l’ouvrir que s’il a absolument foi en elle, sous peine de la faire disparaître à jamais. Le doute s’installe alors chez Charles…

Notre avis **(*) : La grande magie nous est présenté comme une comédie dramatique adaptée librement de la pièce de théâtre La grande magia écrite par Eduardo de Filippo et traduite en français par Huguette Hatem. Il nous semble plus approprié de classer la dernière réalisation de Noémie Lvovsky dans les rangs des fantaisies vaguement dramatiques. Une fantaisie dont les ambitions sont de reconstituer les années 1920 quelque part en France et d’invoquer le cinéma muet. Sur le premier point, on pourra déplorer un habillage musical dont l’orchestration ne renvoie pas à la période recréée. Concernant l’invocation du cinéma muet, ni l’introduction d’un extrait de film de Georges Méliès en milieu de métrage ni quelques scènes restituées à l’écran en mode accéléré ne suffiront à satisfaire les cinéphiles.

La grande magie est émaillé de séquences chantées et chorégraphiées. Chaque personnage principal porte une de ces scènes avec plus ou moins de succès (les comédiens ne sont pas doublés durant leur « tour de chant »). Cependant, certains comédiens incarnant des personnages mis en avant-plan échappent à cet exercice pressenti pourtant général. Les chansons chantées et créées pour servir le film l’ont probablement été avant l’introduction de ces personnages dans le scénario… D’ailleurs, le faible développement narratif autour de ces personnages tend à confirmer l’arrivée tardive de ces invités de dernière minute.

De la boîte noire attribuée au personnage incarné par Denis Podalydès ne ressort que trop peu de magie. Le programme pressenti à la lecture du titre du film tourne court. Pourtant, la contextualisation du film autour de la troupe d’un petit cirque ambulant se prêtait à plus de folie, de magie et… d’improvisation. Le tour de magie de La grande magie échoue.

L’astronaute (2023, Nicolas Giraud)

Avec Nicolas Giraud, Mathieu Kassovitz, Hélène Vincent, Bruno Lochet, Ayumi Roux, …

Ingénieur en aéronautique chez Ariane Group, Jim se consacre depuis des années à un projet secret : construire sa propre fusée et accomplir le premier vol spatial habité en amateur. Mais pour réaliser son rêve, il doit apprendre à le partager…

Notre avis *** : Comme dans son premier long-métrage, Du soleil dans mes yeux (2018), Nicolas Giraud s’accorde l’un des rôles principaux dans le scénario qu’il a écrit et maintient Hélène Vincent dans sa distribution. Les similarités entre L’astronaute et son aîné s’arrêtent là. En effet, le contenu des deux films diffère beaucoup. Le scénario de L’astronaute bien que plausible relève presque de l’utopie d’un savant fou. L’intrigue avancée repose entièrement et jusqu’au terme du film sur le succès ou l’insuccès du projet lancé, celui de la construction, du lancement et de la mise sur orbite d’une fusée habitée par le personnage incarné par Giraud.

Un récit quasi utopique et une réalisation nécessairement ambitieuse pour restituer l’enchaînement des évènements et des actions. Pour autant, Giraud ne verse pas dans le spectaculaire à tout crin. Il y a de l’ambition dans ce film mais celle-ci reste mesurée et maîtrisée. Il en ressort un récit globalement crédible alors que ce genre cinématographique prête volontiers le flanc à la critique, fusse-t-elle scientifique.