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#Berlinale 2021: Notre journal critique de la compétition officielle

Afin de pouvoir suivre en direct nos impressions sur les films en compétition à la #Berlinale2021, outre nos réseaux sociaux twitter et facebook (et notre chaîne youtube sur laquelle nous relayons nos interviews ainsi que des captations des conférences de presse), nous vous proposons comme pour chaque édition un cahier critique.

L’échelle de notation qui y est appliquée est la suivante:

–         très mauvais film
*         film passable
**       bon film
***     très bon film
****   excellent film
***** chef d’oeuvre

Films en compétition:


Albatros (Drift Away)
France
de Xavier Beauvois
avec Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo
*Première mondiale

Laurent, un commandant de brigade de la gendarmerie d’Etretat, prévoit de se marier avec Marie, sa compagne, mère de sa fille surnommée Poulette. Il aime son métier malgré une confrontation quotidienne avec la misère sociale. En voulant sauver un agriculteur qui menace de se suicider, il le tue. Sa vie va alors basculer.

NOTRE AVIS: **

Xavier Beauvois s’essaye à un film en deux parties distinctes, marqué par un évènement déclencheur. L’occasion pour lui d’évoquer des sujets divers, et de mêler deux genres en un seul film. Ainsi, la première partie du film s’inscrit dans cette veine réaliste, et très à la mode en France, qui s’attache à rendre compte de la difficulté d’une profession, des sacrifices qu’elle peut demander à ceux qui l’exercent et, en cela, tend à leur rendre hommage, à en faire des héros, parfois meurtris, parfois qui peuvent s’oublier eux même (Polisse, Roubaix une lumière, Hypocrate, et consorts…). Beauvois a toujours eu ce souci de vérité dans ses réalisations précédentes, et de fait, plonger son histoire dans le milieu de la gendarmerie provinciale était pour lui matière propice à la construction de son héros, auquel il réserve un mauvais tour. Après avoir rendu grâce à ce personnage joué avec rigueur par Jérémie Rénier, crédible dans l’action, le geste, et l’état, les émotions, Beauvois propose au spectateur de s’interroger avec lui sur un cas de conscience, sur une faute accidentelle qui obéissait à une logique bienveillante, voire protectrice, mais aux conséquences dévastatrices. En filigrane, Beauvois nous met face à l’importance de la chance, du destin, à l’impossibilité de pouvoir agir sur celui-ci dans des situations critiques. Il remet son héros au niveau de tous les hommes. Cette première partie, appliquée, semble ceci-dit un passage obligé, un exercice quasi scolaire auquel Beauvois s’adonne, pour mieux aborder ce que nous pensions être sa volonté principale, – eut égard à sa filmographie -, le parcours d’un homme face aux tempêtes intérieures, face à sa culpabilité, son désarroi, la perte de repères qu’il rencontre. Filmer cela, le matérialiser à l’écran en miroir, rendre compte d’une quête quasi mystique qui devient essentielle, pour pouvoir repartir, revivre; voilà probablement ce à quoi visait Xavier Beauvois. Il y parvient sans nul doute, mais la réussite du projet ne tient qu’à un fil. Beauvois visait probablement la grâce, il nous donne à voir une version où l’on soupçonne la grâce, mais elle ne nous paraît pas distinctement. [FR]


Babardeală cu buclucsau porno balamuc (Bad Luck Banging or Loony Porn)
Roumanie / Luxembourg / Croatie / République Tchèque
de Radu Jude
avec Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai
*Première mondiale

Une enseignante en lycée poste un clip porno amateur sur un site web. Les conséquences de cette décision affecteront profondément sa vie.

NOTRE AVIS:

Radu Jude est un habitué de la Berlinale, où en 2015 il a remporté l’ours d’argent du meilleur réalisateur pour Aferim. Mais son dernier long-métrage, présent en compétition officielle, dont nous pensons qu’il s’agissait d’un film/essai – le réalisateur parle d’une farce -, dés son accroche, nous déçoit. Ce mélange indigeste de critique sociale, d’images en tout genre récupérés sur la toile, de plans étirés sur la marche d’une femme dans la rue sans actions significative, de propos pornographiques répétitifs et somme toute vulgaires plus que provocants, et, pour finir, d’une scène de procès populaire, qui se veut intellectuelle et raillerie tout à la fois, ne réussit jamais à créer un « ensemble » homogène. [SH]

NOTRE AVIS 2 (Post Palmarès):

L’Ours d’or cette année est donné à un film prétentieux, vulgaire, et dans l’ensemble très inabouti, malgré quelques bonnes idées formelles (première partie) et sur le fond (vindicte populaire, rapport au temps présent et à l’histoire) … la farce de Radu Jude ne nous a ni émerveillé, ni fasciné, ni choqué/provoqué. N’est pas Loznitsa ou Von Trier qui veut …[FR]


Fabian oder Der Gang vor die Hunde (Fabian – Going to the Dogs)
Allemagne
de Dominik Graf
avec Tom Schilling, Saskia Rosendahl, Albrecht Schuch
*Première mondiale

Fin des années 1920. Jakob Fabian, 32 ans, passe ses journées à travailler comme rédacteur publicitaire dans une usine de cigarettes et ses nuits à errer dans les ateliers d’artistes, les pubs et les bordels de Berlin. Dans le contexte de la crise économique et politique, il tombe follement amoureux d’une actrice. Pourtant, alors que sa carrière commence à s’épanouir, Fabian, comme beaucoup d’autres, perd son emploi.

NOTRE AVIS: non diffusé


Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow)
Iran / France
de Behtash Sanaeeha, Maryam Moghaddam
avec Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar
*Première mondiale

Une jeune femme dont la vie se retrouve bouleversée lorsqu’elle apprend que son mari a été exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis. Elle démarre alors une bataille silencieuse contre un système cynique, tandis qu’un inconnu aux motivations troubles venu payer sa dette à son defunt mari entre progressivement dans sa vie.

NOTRE AVIS: **(*)

L’histoire se passe un an après la condamnation à mort de Babak le mari de Mina. Mina apprend que ce dernier a été injustement condamné à mort et la justice iranienne lui offre une indemnisation en guise d’excuse. Mais Mina attend quant à elle un geste plus symbolique que financier et va lutter pour que des excuses publiques soient présentées. Au sein de cette situation apparaît un homme qui lui propose son aide…
Si le sujet n’est pas novateur, Maryam Moghaddam et Bentash Sanaeeha arrivent à prodiguer une vive émotion dans leur long métrage Ballad of a white cow par un enchevêtrement de situations maîtrisé : les liens familiaux qui se fragilisent quand l’argent est de mise, le besoin de justice, la culpabilité et finalement le pardon. Il s’agit aussi de tout un pan de la société iranienne représenté ici de la place de la femme à la question d’être parent, des instituions bureaucratiques à l’application de la loi islamique. Par la multiplicité de son contenu le film évite donc de tomber dans la facilité vis-à-vis de l’histoire d’amour naissante et la performance des acteurs finissent de nous convaincre entièrement. [J.R]

NOTRE AVIS 2: ****

Ballad of a white cow démarre par une fin. Un prisonnier coupable d’un meurtre va être exécuté très prochainement. Son épouse lui rend une dernière visite. Un an plus tard, nous retrouvons la jeune veuve toujours endeuillée élevant seule leur fille sourde et muette. Pour cette mère isolée, les soucis financiers commencent à s’accumuler.

A ce stade, nous sentons poindre un film programmatique semblable à bien d’autres. C’est pourtant à partir de cet instant que Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam vont déjouer, tant sur le fond que sur la forme, toutes les suites imaginées. Un premier revirement, radical, survient. D’autres suivront. Un homme inconnu de la veuve fait son apparition dans le récit. Il prétend devoir une somme conséquente au défunt mari, un an après l’exécution capitale de ce dernier.

Sans atteindre la complexité de meilleurs scénarios mis en images par Asgar Farhadi, le récit avancé brasse de nombreux sujets qui interrogent : justice, peine capitale, religion, etc. Autant de thèmes qui, s’ils sont abordés méritaient cependant un traitement plus approfondi. Les qualités scénaristiques de Ballad of a white cow trouvent une belle synthèse dans la scène charnière du film. Celle-ci s’insère dans un long plan séquence embarqué. La caméra placée sur le capot avant d’une voiture observe un traveling latéral de la gauche vers la droite. La caméra pointe alors le conducteur parti faire une course et place l’habitacle du véhicule et ses occupants hors champ. Ce même hors champ se voit alors animé par une conversation téléphonique qui prend rapidement fin. La caméra observe alors un mouvement inverse au précédent. Lentement, l’habitacle de la voiture et ses occupants rentrent dans le champ de la caméra alors que le conducteur reprend le volant et relance la voiture sur son trajet. Le plan séquence se poursuit, l’action et les mots sont ceux du conducteur, mais il sera impossible aux spectateurs de détacher leur regard de celui du protagoniste, mutique, assis côté passager. Cette scène est remarquablement pensée, parfaitement réalisée, mentalement marquante. Ballad of a white cow a basculé quand le passager est rentré dans le champ de la caméra en fin de traveling. La suite du métrage sera un tout autre film que celui vu jusqu’ici. [P.N.]


Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy)
Japon
de Ryusuke Hamaguchi
avec Kotone Furukawa, Kiyohiko Shibukawa, Fusako Urabe
*Première mondiale

Guzen To Sozo raconte, en trois mouvements, un triangle amoureux inattendu, une tentative de séduction qui tourne mal et une rencontre née d’un malentendu. La trajectoire de trois femmes qui vont devoir faire un choix…

NOTRE AVIS: ***

Ryusuke Hamaguchi découpe Guzen to sozo en trois chapitres. Chaque segment décline un récit indépendant des autres. Il en va de même pour le casting convoqué, chaque histoire est animée par une poignée de comédiens et propre à chaque chapitre.

Guzen to sozo trouve son entière unité dans sa forme. Elle est identique à celle désormais reconnue du cinéaste japonais : de longs plans séquences composés simplement, une caméra entièrement orientée vers les protagonistes de la scène filmée, des mouvements d’appareil lents et mesurés. L’unité du film tient aussi à son casting, quasi exclusivement féminin.

Les trois histoires racontées nouent au final une certaine intimité. Leur thématique principale est commune : un certain mal-être ou défaut de positionnement conjugué à un féminin de jeune âge ou d’âge plus mûr. En fin de visionnement, la duplication thématique de Guzen to sozo prend les reflets d’une douce variation à laquelle on pourrait associer une sorte de mise en abyme (avancée dans l’âge). Enfin et surtout, ce film bénéficie des qualités d’écriture de son auteur. Il y a dans les trois nouvelles composant Guzen to sozo une très belle et grande précision d’écriture littéraire couplée à une certaine sophistication. La narration demeure légère, presque évanescente, et parfaitement rythmée en trois mouvements dans chacun des trois segments. [P.N.]

NOTRE AVIS 2: **

Ryusuke Hamaguchi propose une forme qui, par le passé, a pu produire de bons résultats, trois moyens métrages, qui se suivent et peuvent se répondre, pour donner à voir un portrait d’une société, d’une ville (le plus souvent), à un instant donné. Le résultat s’avère plutôt intéressant quoi que quelque peu inégal. La patte est celle d’un auteur: Hamaguchi nous donne à voir quelque chose de bien différent d’Asako I et II (très kawaï); qui questionne quelques situations improbables mais réalistes, et se permet quelques sorties intrigantes. (on pense notamment à cette scène d’une jeune femme qui joue un double jeu avec un professeur écrivain, qui lui lit à haute voix des passages obscènes dans un double but, éveiller chez lui un désir, mais aussi le pièger, pour au final, être elle même piégée du fait d’un acte manqué) …[FR]


Herr Bachmann und seine Klasse (Mr Bachmann and His Class)
Allemagne
de Maria Speth
avec Dieter Bachmann et les élèves de la classe 6b
*Première mondiale / Documentary form

À Stadtallendorf, une ville allemande dont l’histoire complexe est marquée par l’exclusion et l’intégration des étrangers, le professeur Dieter Bachmann offre à ses élèves la clé de leur classe qui leur permettra de se sentir comme chez eux. Âgés de douze à quatorze ans, ces élèves sont issus de douze nationalités différentes ; certains ne maîtrisent pas encore tout à fait la langue allemande. À l’aube de sa retraite, Bachmann souhaite donner à ces citoyens en devenir le goût de s’intéresser à un large éventail de métiers, de sujets, de cultures et d’opinions.

NOTRE AVIS: ***

Le nouveau documentaire de Maria Speth peut rappeler aux spectateurs français, Entre les murs de Laurent Cantet et François Bégaudeau. Le procédé narratif tout comme le sujet sont en effet proches, même si le film allemand lorgne moins du côté de la fiction, avec une durée deux fois plus longue et un rythme beaucoup moins dynamique. L’autre différence concerne la personnalité du professeur de collège et sa façon de travailler, qui est, dans la version allemande, plus attentive et amicale, plus gentille et indulgente. À travers l’observation d’un groupe d’élèves adolescents pendant un an, Herr Bachmann und seine klasse parle d’ éducation, de transmission de valeurs humaines et sociales. Il parle également d’intégration, sujet délicat pour les enfants issus des familles immigrés turcs, bulgares… Le film s’attache à définir une « identité » propre à chacun des élèves, il s’intéresse à leurs angoisses et à leurs problèmes personnels, à leurs progrès scolaires… Mais au-delà de cet aspect narratif, le film réussit à dessiner un portrait social contemporain et complexe. [SH] 


Ich bin dein Mensch (I’m Your Man)
Allemagne
de Maria Schrader
avec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller
*Première mondiale

Alma est une scientifique au célèbre musée Pergamon de Berlin. Afin d’obtenir des fonds de recherche pour ses études, elle accepte de participer à une expérience extraordinaire. Pendant trois semaines, elle va vivre avec un robot humanoïde dont l’intelligence artificielle a été conçue pour lui permettre de se transformer en son partenaire idéal. C’est alors qu’entre en scène Tom, une machine sous forme humaine (et belle), créée pour la rendre heureuse. S’ensuit une histoire tragicomique qui explore les notions d’amour, de désir et de ce qui nous rend humains.

NOTRE AVIS:

Peut-on accepter les robots dans la société humaine? Plus particulièrement, peut-on vivre une relation amoureuse avec un robot? C’est la question que le film pose. Mais il ne l’approfondit pas; cette comédie porte un regard assez simpliste sur le sujet, en accumulant notamment des clichés sur les sentiments romantiques et la vie de couple. Concernant l’esthétique, Ich bin dein Mensch n’est pas loin d’un téléfilm. Le seul intérêt de ce film pour nous est l’actrice principale, Maren Eggert, que nous avions découvert pour la première fois en 2004 dans Marseille d’Angela Schanelec.[SH]

NOTRE AVIS: *(*)

Le synopsis de Ich bin dein mensch adapté de la nouvelle éponyme d’Emma Braslavsky suscite l’intérêt et la curiosité. Maria Schrader et son coscénariste Jan Schomburg font le récit d’une relation sentimentale entre Alma interprétée par Maren Eggert et un robot humanoïde sous les traits de Dan Stevens. Cette « rencontre » provoquée et expérimentale sur fond d’intelligence artificielle constitue à priori une excellente matière pour un film d’anticipation.

Maria Schrader emprunte moins les codes des films d’anticipation que ceux du théâtre. Ce choix semble délibéré de la part de la réalisatrice allemande. A nos yeux, cette option discutable alourdit le film d’un carcan peu adapté au propos avancé. L’autre conséquence négative réside dans la conservation de l’artificialité du récit mais, là encore, cette perception faisait peut-être partie du cahier des charges suivi par la cinéaste.

Dans Ich bin dein mensch, l’intelligence artificielle est ainsi plus montrée, parfois de façon démonstrative, que suggérée. Cela est d’autant plus regrettable que le trouble clairement établit et perceptible au sein du duo central empreigne trop peu voire pas les autres personnages. L’ambiguïté de situation entre humain et robot humanoïde s’étend ainsi de façon trop mesurée et trop temporaire au personnage joué par Sandra Hüller.Ich bin dein mensch permet certes d’interroger la place à réserver dans la société aux robots humanoïdes mais sans s’étendre sur les questions d’éthique pourtant essentielles. Les partis pris tant sur le fond que sur la forme interrogent bien plus que le film en lui-même. [P.N.]


Inteurodeoksyeon (Introduction)
Republique de Corée
de Hong Sangsoo
avec Shin Seokho, Park Miso, Kim Minhee
*Première mondiale

Youngho est convoqué par son père, qui est médecin. Le trouvant occupé avec ses patients, dont l’un est un célèbre acteur, Youngho doit attendre. Lorsque sa petite amie Juwon déménage à Berlin pour ses études, Youngho débarque dans la ville pour lui faire une surprise. Par l’intermédiaire de sa mère, Juwon a trouvé un logement chez un artiste dont la beauté l’intimide. Quelque temps plus tard, Youngho va déjeuner avec sa mère qui veut lui présenter un collègue – il s’agit du même homme que Youngho a rencontré à la clinique de son père. Youngho demande à son ami Jeongsoo de l’accompagner, et après le déjeuner, ils vont à la plage. Youngho s’endort et rêve de Juwon. Lorsqu’il se réveille, il brave le froid considérable et va se baigner, sous le regard de Jeongsoo.

NOTRE AVIS: **(*)

Introduction, dernière réalisation en date de Hong Sangsoo, s’inscrit sans surprise dans la lignée des précédents films du cinéaste sud-coréen. Un noir et blanc drape le film dont la mise en scène reste minimaliste et épurée à l’extrême. Comme à l’accoutumé, le récit s’articule autour d’une poignée de comédiens. Passé maître en la matière, Hong Sangsoo orchestre un nouveau chassé-croisé entre les différents protagonistes.

Entre attentes et rencontres plus ou moins fortuites, l’exercice de style porte entièrement sur la narration et son agencement. Autre figure de style, Introduction comprend la désormais rituelle scène de repas bien arrosé. Le procédé filmique demeure, celui d’un long plan séquence. Le procédé narratif est inchangé, celui d’une scène charnière dans le récit avancé. Enfin, plus encore que la plupart des précédentes réalisations de Hong Sangsoo, Introduction brille par sa concision. En effet, sa durée excède de peu l’heure de métrage. [P.N.]

NOTRE AVIS 2: ***

Hong Sangsoo a réalisé plusieurs films ces dernières années; des bons et des moins bons. Introduction n’est pas son meilleur film, mais il présente quelques qualités.
Cette histoire volumineuse (plusieurs personnages avec des relations et interactions entre eux, trois espace/temps différents marqués par des écarts temporels) résumée en 66 minutes, montre quelques étapes clés de la vie de Youngho, un jeune homme insouciant vis-à-vis de ses propres échecs (il perd sa copine, son métier d’acteur, il s’éloigne de son père…). Sangsoo s’entoure de ses acteurs fétiches, comme il fait appel à ses techniques habituelles (zoom, noir et blanc,…). Mais le plus remarquable est la vague impression que le film nous transmet; nous ne pouvons pas toujours discerner si les scènes se passent dans la réalité ou en rêve.[SH]


Memory Box
France / Liban / Canada / Qatar
de Joana Hadjithomas, Khalil Joreige
avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier
*Première mondiale

Montréal, le jour de Noël, Maia et sa fille, Alex, reçoivent un mystérieux colis en provenance de Beyrouth. Ce sont des cahiers, des cassettes et des photographies, toute une correspondance, que Maia, de 13 à 18 ans, a envoyé de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Maia refuse d’affronter ce passé mais Alex s’y plonge en cachette. Elle y découvre entre fantasme et réalité, l’adolescence tumultueuse et passionnée de sa mère dans les années 80 et des secrets bien gardés.

NOTRE AVIS: ****

Un film plein d’énergie et très riche en émotion, qui raconte son histoire avec un rythme parfait et un procédé narratif attractif. Ce drame puissant s’intéresse à la transmission, à l’héritage(affectif) de mère en fille, à la présence d’un passé jamais mort, à la valeur de ce passé-là, à l’importance des racines. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige offrent, avec ce film inspiré de leurs souvenirs (d’où vient la sincérité du propos), un projet artistique remarquablement ambitieux. Nous trouvons tout dans leur boite à souvenir: les images d’un Beyrouth sous bombardement, la nostalgie d’une jeunesse rebelle, des effets visuels particulièrement créatifs(en jouant avec la texture de photos argentiques comme matière), des morceaux emblématiques de la musique pop (cold wave/new wave) des années 1980, le trauma d’une guerre qui a tout détruit sauf l’envie de vivre.[SH]


Nebenan (Next Door)
Allemagne
de Daniel Brühl
avec Daniel Brühl, Peter Kurth
*Première mondiale / Debut film

Berlin, quartier de Prenzlauer Berg. À la fin de cette journée d’été, rien ne sera plus jamais comme avant. Seulement Daniel ne le sait pas encore. Le protagoniste de ce scénario tragicomique est aussi peu méfiant qu’il est habitué au succès. Son loft est élégant, sa femme aussi, et la nounou a les enfants sous contrôle. Tout est en ordre, bilingue et prêt pour s’envoler vers une audition où un rôle dans un film de super-héros l’attend. En entrant dans le bar du coin, il trouve Bruno assis. Comme on peut le constater, Bruno attend ce moment depuis longtemps. Et c’est ainsi que cet éternel oublié, l’un des perdants de la réunification et victime de la gentrification de ce qui était autrefois Berlin-Est, prend sa revanche. Avec Daniel comme cible.

NOTRE AVIS: non diffusé


Petite Maman
France
de Céline Sciamma
avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse
*Première mondiale

Nelly a huit ans et vient de perdre sa grand-mère. Elle part avec ses parents vider la maison d’enfance de sa mère, Marion. Nelly est heureuse d’explorer cette maison et les bois qui l’entourent où sa mère construisait une cabane. Un matin la tristesse pousse sa mère à partir. C’est là que Nelly rencontre une petite fille dans les bois. Elle construit une cabane, elle a son âge et elle s’appelle Marion. C’est sa petite maman.

NOTRE AVIS:***(*)

Réaliser La Petite maman est un choix audacieux, voire étrange, pour Céline Sciamma. Il s’agit d’un projet bien différent de son film précédent Portrait de la jeune fille en feu: petit budget, acteurs non connus, histoire minimale et concentrée sur les enfants… Difficile de deviner le résultat avant le visionnage. Mais le pari est réussi. Tout d’abord, il faut noter que La petite maman est un film tourné avec des enfants mais pas forcément destiné au jeune public. Par son sujet, plus précisément par son rapport avec le deuil, il rappelle Ponette de Jacque Doillon

Nelly, 8 ans, rencontre sa maman quand elle avait son âge, incarnée en une petite fille qui lui ressemble. Autrement dit, Nelly voyage dans le temps, elle vit désormais dans deux mondes parallèles: le présent, marqué par le deuil de sa grand-mère, et le passé, quand la petite maman n’était pas encore maman, mais elle pensait déjà le devenir. Cette rencontre surréelle est montrée d’une façon particulièrement réaliste et naturelle, point le plus intéressant du film. Et la maison d’enfance trouve, petit à petit, une place centrale, elle devient une « identité » à part entière, un élément psychanalytique plutôt qu’une maison matérielle.

Malgré sa forme très simple et épurée, ce petit film poétique – qui nous semble personnel – a beaucoup de choses à dire; sur le rapport mère-fille, sur la psychologie de l’enfant, sur les moyens qu’on trouve (qu’on imagine) pour confronter le deuil et pour surmonter la tristesse.[SH]


Ras vkhedavt, rodesac cas vukurebt? (What Do We See When We Look at the Sky?)
Allemagne / Georgie
de Alexandre Koberidze
avec Ani Karseladze, Giorgi Bochorishvili, Vakhtang Fanchulidze
*Première mondiale

Lisa et Giorgi ont un coup de foudre mutuel dans une rue de la ville géorgienne de Kutaisi. Ils oublient de se demander le nom de l’autre. Avant de poursuivre leur chemin, ils acceptent de se rencontrer le lendemain. Parviendront-ils à se revoir ? Et s’ils y parviennent, sauront-ils qui ils sont ?

NOTRE AVIS: *

Un pari tenté par la Berlinale que de proposer ce film géorgien hors sentier battus en sélection. Les plans, très étudiées, commencent par susciter l’intérêt, la malice s’invite rapidement dans le récit, très étiré, et, un instant, nous pensons pouvoir observer un OFNI stylisé. Làs, la narration artificielle rajoutée sur les images qui s’enchaînent de façon très contemplative, ne parvient pas à nous tenir en éveil. Quelques bonnes idées n’ont jamais fait un bon film… [FR]


Rengeteg – mindenhol látlak (Forest – I See You Everywhere)
Hongrie
de Bence Fliegauf
avec Laura Podlovics, István Lénárt, Lilla Kizlinger, Zsolt Végh, László Cziffer, Juli Jakab, Ági Gubík
*Première mondiale

Sept miniatures hypnotiques et erratiques, semblables à des fugues. D’apparence anodine au départ, elles deviennent de plus en plus intenses jusqu’à culminer en un kaléidoscope psychologique. Le grand-père est silencieux – est-il encore en vie ? Un homme parle à une armoire – pourquoi ? Les personnes absentes s’insinuent comme des fantômes dans la vie et les conversations des couples et des familles. Ils sont les perdus, les refoulés et les disparus. Des jeunes hommes choquent leurs mères – l’un avec amour, l’autre avec mépris (ainsi qu’une présentation sobre de la théorie selon laquelle Dieu est une sorte de Gandalf). Enfin, il y a un charlatan qui conduit des malades naïfs à la mort. Il est difficile de dire qui est la victime ici et qui est à blâmer. Si les gens sont des sphères, peuvent-ils jamais se rencontrer ?

NOTRE AVIS: *

Bence Fliegauf compose Forest – I see you everywhere en faisant se succéder à l’écran six courts-métrages d’une durée allant d’une quinzaine à une vingtaine de minutes. La scène liminaire du film est celle qui sera reprise pour introduire le septième et ultime segment. Chacune des histoires racontées est indépendante des autres tant au niveau du récit proposé que du casting convoqué.

L’ensemble forme cependant un tout. Il y a d’abord une thématique commune : la mort passée ou à venir, réelle ou scénarisée. Le traitement de ce thème passe exclusivement par des discussions ou des conversations plutôt conflictuelles. Bence Fliegauf a donc opté sur un procédé quasi entièrement littéral peu vecteur à éveiller l’intérêt des spectateurs. Sujet pesant et récits psychologiques austères tirent la narration vers la sinistrose.

Il y a ensuite le procédé filmique adopté par le réalisateur. Les aspects formels de Forest – I see you everywhere ne dénotent en rien le fond. Sous un éclairage sommaire des scènes, Bence Fliegauf filme en caméra portée et unique. Tous les plans sont serrés sur le visage des protagonistes. Certaines prises de vue glissent, toujours en cadrage serré, sur les mains du personnage filmé. La caméra balaye ainsi à de multiple reprises et rapidement l’espace séparant deux protagonistes pour passer de l’un à l’autre au fil de la conversation. En fin de mouvement, le cadrage du personnage cible est rarement précis et toujours aléatoire.

Sur le fond comme sur la forme, Forest – I see you everywhere dont la durée frôle les deux heures est avant tout harassant. Film exigeant à l’extrême pour public averti. [P.N.]

NOTRE AVIS 2: ****

Certes, l’image est laide, les déplacements de caméra très rapidement nous dérangent. Des images, nous n’aimons que cette bonne idée de s’intéresser par instants choisis à ces petits gestes de la main qui témoignent d’une tension, d’une émotion, ou d’une anxiété, mais aussi les transitions d’un personnage à l’autre. Mais le reste est si juste … Les portraits psychologiques dressés les uns après les autres, ces quelques cas d’école qui donnent à entendre (plus qu’à voir donc) et à réfléchir, l’habilité avec laquelle les dialogues approfondissent petit à petit les choses, pour faire ressortir la substantifique moelle, mettre en lumière le trauma, l’incompréhension témoigne d’une rare qualité d’écriture. Ce film ne pêche ni au niveau de l’intensité, ni au niveau du rythme, et en cela, il se détache très nettement de bons nombres d’autres films en compétitions vus jusqu’alors, qui de bonnes petites idées ne parviennent pas à faire un tout cohérent et fluide. Belle réussite donc. [FR]


Természetes fény (Natural Light)
Hongrie / Lettonie / France / Allemagne
de Dénes Nagy
avec Ferenc Szabó, Tamás Garbacz, László Bajkó
*Première mondiale / Debut film

Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique est occupée. István Semetka, un fermier hongrois, est enrôlé comme sous-lieutenant dans une unité spéciale de reconnaissance des groupes de partisans. En route vers un village isolé, sa compagnie tombe sur l’ennemi. Le commandant est tué, Semetka doit alors prendre le commandement de l’unité…

NOTRE AVIS: **

En début de film, un encart nous apprend que durant la seconde Guerre mondial, 100 000 soldats hongrois au côté des forces occupantes allemandes avaient été chargés de maintenir l’ordre dans l’Union Soviétique et trouver les sympathisants soviétiques et leurs soutiens. La caméra de Dénes Nagy emboîte donc le pas d’une petite troupe de soldats hongrois en terrains soviétiques. Le réalisateur suivra plus particulièrement les faits et gestes de Semetka (Ferenc Szabó).

On note très tôt la précision de ces actions et gestes de survie dans un environnement hivernal rugueux. Dénes Nagy, ici réalisateur et scénariste, est issu du documentaire. Il signe avec Natural light un premier long-métrage de fiction fruit d’un travail indéniablement documenté.

L’amorce du film fait la part belle à la minéralité de la nature hivernale environnante. Natural light démarre ainsi étonnamment sur des notes calmes et feutrées, loin des tumultes d’une guerre pourtant proche. Cela résonne comme les prémices d’une narration qui ne va cesser de monter en intensité jusqu’au terme du métrage. Certes Dénes Nagy va changer plusieurs fois le rythme de Natural light mais celui-ci n’atteint jamais la radicalité attendue d’un film de guerre. Pourtant, par instants, on devine qu’elles ont été les influences du cinéaste dans la réalisation de ce film. Il y a dans Natural light des emprunts à László Nemes et Elem Klimov. Mais, si l’austérité ne fait pas défaut, la radicalité et l’intensité insufflées dans Natural light sont très en retrait de celles ressenties lors du visionnement de Le fils de Saul (2015) et Requiem pour un massacre (1985). [P.N.]


Una Película de Policías (A Cop Movie)
Mexique
de Alonso Ruizpalacios
avec Mónica Del Carmen, Raúl Briones
*Première mondiale / Documentaire

Que faut-il pour être flic à Mexico ? Deux acteurs professionnels suivent un processus immersif pour explorer cette question, acquérant une compréhension viscérale des réponses en nous guidant dans leur voyage « intérieur ».
Le film donne la parole à l’une des institutions les plus controversées du Mexique : la police, et démêle les causes de la crise d’impunité qui affecte le système judiciaire.

NOTRE AVIS: ****

La mise en scène brillante d’Alonso Ruizpalacios confère à Una película de policías une place particulière, assez difficilement caractérisable. Ce long-métrage louvoie sans cesse entre documentaire et fiction au point de rendre imperceptible par instant la frontière entre ces deux genres cinématographiques pourtant dissemblables.

Le synopsis du film ne fait pourtant pas mystère du procédé mis en œuvre. Deux acteurs professionnels (Mónica Del CarmenBabel, Después de Lucía – et Raúl Briones) incarnent un couple de policiers à Mexico au sein d’une institution d’Etat non exempt de controverses. La mise en scène soignée émaillée d’effets et de belles trouvailles visuelles rappelle aux spectateurs que nous sommes devant une fiction au demeurant très bien réalisée. Par contre, la très grande qualité de la reconstitution immersives d’interpellations et autres missions sur le terrain donne l’impression que celles-ci ont été captées sur le vif.

Ce qu’on apprécie aussi dans Una película de policías relève de la liberté de ton et de forme, source d’une appréciable originalité. Les intentions du film sont par exemple présentées via quelques intertitres… en milieu de métrage.

Dans son scénario coécrit avec David Gaitán, Alonso Ruizpalacios aborde la fonction de policier sur un spectre très large. Nos deux policiers de fiction évoquent qu’elles ont été leurs motivations initiales, s’épanchent sur leur temps reconstitué de formation, se dévoilent sur le prestige de l’uniforme et la perception de leur profession par leur entourage respectif, s’aventurent sur les évolutions de leur métier et les perspectives pressenties, etc. Couplé aux reconstitutions précitées, le programme peut paraître très ambitieux pour un métrage d’une durée inférieure à deux heures. Ce serait ne pas tenir compte des talents de narrateur des deux scénaristes. On note en effet une grande variété dans la restitution des témoignages réunis. La narration par les protagonistes-témoins alterne ainsi entre voix off, dialogues dans le feu de l’action et témoignages adressés à une caméra tenue à distance respectable. Les diverses variétés observées tant sur le fond que sur la forme fait de Una película de policías une œuvre hybride des plus singulières et à nulle autre comparable. [P.N.]