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La Nuit du chasseur – Délicieux cauchemar

Mis à jour le 29 mai, 2016

La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter, 1955) est un film unique à plus d’un titre. Unique film réalisé par l’acteur d’origine britannique Charles Laughton, La Nuit du chasseur (d)étonne dans la production hollywoodienne des années cinquante. Son esthétique inspirée, ses thématiques profondes, son univers singulier et onirique n’ont pas pris une ride comme le prouve sa ressortie en salles cette semaine. Monumental dans sa vétusté – rappelons qu’il s’agit d’une production indépendante – La Nuit du chasseur continue d’inspirer le cinéma contemporain, preuve de sa force universelle.

Un film historique

Au début des années cinquante, le petit écran de la télévision envahit les foyers américains. Hollywood riposte par une quête du gigantisme. Le cinéma ne peut plus se concevoir sans couleurs, écran large ou son stéréophonique. Les majors accumulent les brevets, promettant au public de prendre part à une expérience unique. La projection se mue en démonstration de force, l’écran devient surface foisonnante propice aux représentations épiques. Ce court descriptif pose d’emblée l’originalité de La Nuit du chasseur. Tourné en noir et blanc, le film de Laughton assume son parti-pris désuet. L’enfance construit un pont entre le fond et la forme : comme Harry Powell (Robert Mitchum) traque les bambins John (Billy Chapin) et Pearl (Sally Jean Bruce), Laughton cherche à retrouver la jeunesse d’un cinéma perdu dans les chromatismes édulcorées des péplums et autres productions exotiques. En choisissant Lillian Gish comme interprète, le cinéaste affirme sa volonté de recyclage et de récupération. La référence au muet dépasse le cadre du casting promotionnel. Le rôle de l’actrice rappelle celui de la Mary Pickford des Moineaux (1926), le film de William Beaudine partageant avec celui de Laughton un certain nombre de points communs : même cadre spatio-temporel (la fin des années vingt dans le Sud des États-Unis), même préoccupation pour l’enfance meurtrie. Le muet se retrouve aussi dans l’obsession toute esthétique pour les machines – train, bateau à vapeur -, les inserts symboliques, certains procédés techniques (l’iris), ainsi que dans la photographie contrastée de Stanley Cortez striant les corps des acteurs d’ombres et de lumières.

Les acteurs d’ailleurs parlons-en. Billy Chapin et Sally Jane Bruce impressionnent par leur naturel et leur professionnalisme. Là où la sœur est innocence et candeur, le frère exprime une dureté que saura déjouer l’humanisme de Lillian Gish. Parmi cette constellation de talents, pareils aux étoiles qui ouvrent le film, Robert Mitchum crève littéralement l’écran. Sa voix grave confère à son personnage de révérend criminel un charme troublant. Hypnotisant et excessif, son jeu prend une valeur expressionniste. Les yeux s’écarquillent, le visage grimace, le corps se raidit et retrouve la distorsion des décors due au travail du directeur artistique Hilyard M. Brown. À ce corps esthétique répond une animalité caricaturale et surnaturelle que souligne la musique de Walter Schumann accompagnant chaque apparition du prêcheur d’une salve symphonique.

La Nuit du chasseur est doublement historique. D’abord par son adaptation du roman de Davis Grubb (publié en 1953) qui décrit les conditions de vie de l’Amérique rurale de la Grande Dépression, par ses références constantes à l’histoire du cinéma ensuite.

La nuit des songes

L’ouverture de La Nuit du chasseur figure un traumatisme. Le jeune John assiste à l’arrestation de son père. Ses poings serrés se plaquent contre son ventre, tandis que son visage réprime un cri. Le dénouement exprime alors une sortie du refoulé. La scène se répète, légèrement modifiée. Au père se substitue le dangereux prédateur, le geste du jeune garçon s’achève dans une explosion cathartique. Le psychologique passe aussi par un érotisme fétichiste qui se découvre franchement à travers jambes dénudées ou symboles phalliques, autant d’éléments mis au service d’une étrangeté délicieusement malaisante.

Le périple des deux enfants prend la forme d’une échappée au cœur du Sud gothique. Voguant sur la rivière, les personnages s’imprègnent de la nature environnante : la lune comme éclairage principal, les animaux comme compagnons de route. La structure stratifiée du film rappelle celle du conte. Il s’agit toujours de creuser la surface, d’y dissimuler un trésor dont il faudra coûte que coûte tenir la présence cachée. Ce sont des liasses de dollars enfouis dans les entrailles de tissus d’une poupée, c’est la chevelure d’une noyée qui se confond avec le mouvement des algues.

Subliminal, le récit prend sa source dans l’imagerie biblique et les grandes figures du fantastique. Harry Powell est tantôt comparé à Rhodes, tantôt à Barbe-Bleue, avant d’être poursuivi par la foule à la manière de la créature de Frankenstein. Face à lui, John et Pearl incarnent les enfants élus du Nouveau Testament.

Assister à la projection de La Nuit du chasseur c’est replonger dans les nuits terrifiantes de notre enfance. Les songes sont universels car la matière des rêves est unique… à plus d’un titre.

Rappelons aux lecteurs qui ne pourraient se rendre en salles, qu’un beau coffret collector DVD/Blu-Ray, accompagné d’un livret signé Philippe Garnier, est toujours en vente, conçu par les soins de la très bonne maison d’édition Wilde Side.

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