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L’état sauvage – Forme et style

Etats-Unis, 1861, la guerre de Sécession fait rage. Une famille de colons français décide de fuir le Missouri où ils vivent depuis 20 ans. Edmond, Madeleine et leurs trois filles doivent traverser tout le pays pour prendre le premier bateau qui les ramènera en France. Victor, ancien mercenaire au comportement mystérieux, est chargé de veiller à la sécurité du voyage….

Rares sont les films qui surprennent par leur forme. L’industrie cinéma produit ses standards, et les techniciens se répondent en général par imitation, mais aussi par défi. Les avancées technologiques qui rendent possibles certains plans – les travelling dans les tranchées, les plongées commandées par des drones, les images parfaitement stabilisées (steady-cam), les ralentis poussés à l’extrême pour ne citer que celles-ci, en omettant toutes les techniques de montage ou les effets spéciaux novateurs – remplacent très souvent l’inventivité sur la façon même de penser ses plans, laissant à penser – ou à croire – que plus rien n’est à inventer, et il en est peut être ainsi, d’un point de vue artistique. Là aussi, des standards se sont imposés, et se reconnaissent de film en film, traversant souvent les époques.

Il faut reconnaître d’ailleurs que ceux qui se sont le plus essayé à inventer une autre façon de penser l’image sont très souvent tombés dans le piège soit de l’auto-satisfaction (Tarantino, Lelouch par exemple), soit de la répétition, laissant là aussi entendre que plus rien n’est réellement à inventer, la vue 360° si révolutionnaire à une époque semble bien usée parfois.

Alors n’ôtons pas le mérite de David Perrault et de son projet L’état sauvage, il ne manque pas d’ambitions, il en déborde. Et précisément, c’est bien là le problème…

Sur le fond, L’Etat sauvage ne raconte rien qui n’ait jamais déjà été raconté, il emprunte. A Louisa May Alcott et à ses quatres filles du docteur March, par exemple, même si ici elles ne sont que trois. On sent que le réalisateur angevin a cherché à nourrir son récit d’une différence marquée dans les quêtes et caractères de ses héroïnes, traitées à égalité, et par cet aspect, il se place sur une lignée du western qui s’intéresse à la place des femmes dans la conquête de l’ouest. Le récit s’inscrit aussi dans une réalité historique, qui donne lieu à décors, mais aussi motivations au changement que va connaître cette famille française vivant en Louisiane, en pleine guerre de sécession. Il cherche enfin probablement à nous émouvoir en interrogeant les liens amoureux des différents protagonistes, voire leur identité sexuelle.

La trame peut sembler intéressante, les intentions le sont bel et bien, mais les marqueurs ici posées semblent bien factices quand il s’agit de rentrer dans le détail, dans le développement des idées de départ. Prenons par exemple l’intention féministe, ou même, l’intention moderniste qui se veut derrière des thématiques assez appuyées (l’amour homosexuel caché, la relation amoureuse interdite entre le patriarche blanc et sa servante noire, la volonté de la plus jeune sœur, forte, de vivre pleinement sa vie et ses passions en opposition avec sa sœur qui se plie aux arrangements de son père), elles sont certes visibles, mais apparaissent littéralement tels des cheveux sur la soupe … grosses ficelles, prévisibles, et qui s’accordent très mal avec le reste … Sur le fond, donc, l’intention de vouloir beaucoup en dire s’avère contre-productif: dire trop de choses empêche, ici, de les dire bien.

L’un des emprunts narratifs – comme formel probablement-, aussi étrange que celui puisse paraître, nous a semblé être Kill Bill … Une jeune femme, amoureuse, se met en chasse de l’homme qu’elle aime et qui ne l’aime plus, et préfère le voir mort qu’avec une autre. Son instinct l’amène à reconnaître son adversaire, pas encore déclarée, avant même le spectateur. L’amour au cinéma interpelle quand il convoque la psychologie, quand ses méandres, ses effets, sont poursuivis, et éveillent au spectateur une possible identification. A l’inverse, quand il apparaît comme un substrat bien obligatoire, un ingrédient rapporté qui suit un but tiers, l’effet produit diffère, le détachement s’invite, des questions naissent.

Quel but suit le cinéaste ? Que cherche-t-il réellement à dire ?

La réponse se trouve là aussi dans les ambitions. Il s’agit, selon nous, avant toute chose de montrer, notamment un savoir-faire. Du-moins l’avons-nous ressenti ainsi. La grammaire visuelle proposée, si ce n’est qu’elle se répète un peu trop, présente bien des qualités. Les travelling circulaires qui partent d’un champ, plutôt statique dans leur premier quart de cercle, mais intriguant, pour dévoiler un contre champ surprenant, animé, et souvent beau – un paysage ou une composition d’ensemble-, dans la suite du mouvement (un demi-cercle), s’invitent très souvent dans le récit. Bon nombre de réalisateurs auraient opté pour des mouvements de caméras autrement moins stylisés, et plus simples à réaliser. David Perrault, très clairement, a construit ces plans là de façon très millimétrée, ne laissant que peu de place au hasard. Et, le disions-nous, l’effet formel s’avère très réussi si ce n’est que …

Nous louons cette recherche d’esthétique, qui nous manque si souvent, et notamment la maîtrise technique qui s’observe et s’impose à nos yeux. Mais cette ambition « formelle » parvient-elle réellement à nous saisir, à nous éblouir, à nous captiver ? Hélàs, non. Le mariage raté du fond et de la forme ôte toute aspiration poétique, toute ambition artistique, au sens « création » à proprement parler, il nous semble que David Perrault se prend les pieds dans le tapis, qu’il se regarde filmer plus qu’il ne saisit l’intérêt de fulgurer certains instants choisis par une forme particulière, puisqu’il met parfois en lumière des contre-points, de ceux qui appartiennent à l’anecdotique et non qui révèlent une acuité, une finesse. A l’est, rien de réellement nouveau… La forme western méritait-elle d’être revisitée avec un regard que l’on imagine « français » ? Une singularité se détache-t-elle ? Non. Une vérité nous parvient-elle ? Non. Nous ne voyons que la forme. Techniquement très intéressante, répétons-le … La lumière, la photo, les mouvements de caméras, que de bons points !

Mais ceci, au détriment, notamment, de l’intérêt que l’on aurait pu porter à l’interprétation, somme toute très recommandable de l’ensemble du casting ( Alice Isaaz, Deborah François, Kevin Janssens , Bruno Todeschini, …), au détriment surtout du film en lui même.

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