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Le mal n’existe pas, Hamaguchi continue d’explorer

Dans le village de Mizubiki, près de Tokyo, Takumi et sa fille Hana vivaient. Un jour, les habitants du village prennent connaissance d’un projet de construction d’un site de glamping près de la maison de Takumi, propose un habitant de la ville et cela affecte la vie de Takumi.

Ryusuke Hamaguchi, d’abord remarqué pour des formats de narration amples qui multiplient les thématiques avait commencé à resserrer son cinéma sur une forme courte, avec ses Contes du hasard et autres fantaisies. Geste qui le rapprochait de Rohmer, ou de son disciple coréen assumé, Hong San Soo. « Espérons qu’à la manière du réalisateur coréen, Hamaguchi sache également si bien manier les styles et essayer sans cesse de nouvelles formes pour montrer cet éclairage intime dont il est maître, et dont nous ressentons toute la poésie. », concluions nous lors de notre critique de Contes du hasard et autres fantaisies, qui avait su séduire l’ensemble de nos chroniqueurs quand ses précédents œuvres nous divisaient davantage. 

Le mal n’existe pas, découvert à Venise,  poursuit effectivement cette démarche de renard, pour citer Michel Ciment, de « nouvelle forme ». Le prolifique réalisateur japonais,  dés les premières images nous indique qu’il s’éloigne résolument du schéma narratif de Drive my car ou Asako, pour mieux se diriger vers un cinéma du geste, de la précision: un slow cinéma empruntant plus à Keilly Reichardt qu’à Bresson; qui accorde une large place aux décors bruts, à l’enracinement des personnages dans leur fonction, interrogeant l’existence, la fonction de l’homme sur le planète. Il prône une cause, délivre un message simple, limpide, tout en essayant de surprendre narrativement et d’insérer des sous-textes trompeurs, de proposer des réflexions émotionnelles comme dans toute son œuvre, mais cette fois-ci, clairement au second plan. Son propos, son observation du monde, se veut critique, mais jamais ne provoque ni vire au pamphlet, marque de fabrique depuis Asako.

Si l’intention nous semble noble et cinéphile (Hamaguchi se réclame de beaucoup de réalisateurs français et cite volontiers Bresson parmi ses maîtres, et L’argent en modèle – le titre et le thème nous rappellent bien davantage Le diable probablement), le tableau d’ensemble proposé ne parvient pas à nous éblouir. Les scènes liminaires qui calque le temps réel expose un homme – qui s’avérera bien plus tard le héros-, coupant du bois près d’une rivière. Elles instaurent inévitablement une atmosphère particulière, un temps suspendu et apaisé. Mais l’arrivée des citadins dans ce territoire provincial et relativement épargné, où les cerfs peuvent encore se frayer des chemins à travers la forêt, menace l’équilibre de la nature, …, mais aussi du film… Nous pensons alors, à tort, que le film opère un virage vers un cinéma autrement plus contestataire, qui aime à rendre compte du ridicule, à appuyer – et articuler – une farce autour de décisions prises par un petit nombre au détriment du bon sens et de la population autochtone. Il nous vient donc à l’esprit qu’Hamaguchi s’inspire des caméras scalpel propres à  Radu Jude, ou à Mungiu, pour grossir le trait et ainsi délivrer un procès pamphlétaire de la marche du monde: Partir d’une situation, la développer, l’exagérer, conclure. Telle aurait pu être la trame narrative. Mais en lieu et place, et de façon déconcertante, Hamaguchi en vient à développer une intrigue tierce, celle qui concerne les deux personnes venues jouer les intermédiaires vis à vis de la population locale, sur ordre du patron d’une entreprise qui investit dans le « Glamping » (camping glamour) … Leur conversation, dans la voiture, lors d’un trajet entre la ville et la campagne, d’apparence très anodine, nous renvoie inconsciemment à la trajectoire déjà rencontrée dans Drive my car. Le procédé consisterait-il alors subitement, à ce que chacun s’ouvre à l’autre et dévoile sa part la plus intime, au hasard et au détour d’autres réflexions ?

Tout ceci aurait pu nous interloquer dans le bon sens du terme, nous emporter, si un fil était tenu, reliant plus précisément les situations, s’il n’y avait finalement pas ce retour à la situation initiale, au problème soulevé. Certes, Hamaguchi parvient à créer une atmosphère étrange et mystérieuse, à base de faux suspense, lorqu’il décide de reprendre son histoire première un peu là où il l’avait laissée, mais d’une manière générale, il nous perd avec lui. Pour avoir suivi des chemins trop différents les uns des autres, n’être allé au bout d’aucuns d’entre eux, et surtout, ne pas avoir fait le choix, fort d’une direction, notre plaisir de spectateur s’en voit contrarié, puisque passablement désorienté. Jusqu’à son titre, Hamaguchi nous livre un film marqué par l’hésitation, ou introductif à ce qu’il aurait pu être mais n’est finalement pas. Ses manques (notamment la radicalité, la provocation, la confrontation, la force, la complexité) ressortent davantage que ses qualités (la finesse, le sens du détail, le constat, le sens de l’observation, la réflexion sur la marche du monde, la simplicité).

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