Manuela (Cecilia Roth) et son fils Esteban (Eloy Azorin) sont assis sur le canapé du salon. Face à eux, sur le petit écran de la télévision, Bette Davis s’agite face à un miroir, discute avec ses partenaires de sa condition de star de la scène. Il s’agit d’une séquence de All About Eve (1950), le très beau film de Joseph L. Mankiewicz. À première vue, rien d’étonnant à ce que Pedro Almodóvar intègre à l’intérieur de son film une citation cinématographique. L’usage est devenu fréquent, l’allusion directe étant l’une des principales tendances du cinéma contemporain. Pourtant quelque chose gêne dans cette référence . La séquence pré-citée n’est pas montrée dans sa version originale mais en espagnol. Bette Davis est habitée d’une voix étrange, d’un ton affecté, d’un débit qui ne sont pas les siens. À la faveur de cette séquence dédoublée, se devine la séduisante complexité de Tout sur ma mère (Todo sobre mi Madre, 1999). Car la chose n’est pas aisée. Trois écrans communiquent ici : l’écran du film de Almodóvar, celui de la télévision, et celui du miroir. La réflexivité bat son plein et parcourt l’ensemble du film. En reprenant le canevas narratif de l’œuvre de Mankiewicz, Almodóvar l’approfondit et se l’approprie. À la crise artistique de la star hollywoodienne se substituent les espaces multiples d’une vie faite de bonheurs et de tragédies. La chose, non, n’est pas aisée.