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Une affaire de Famille – Une affaire de palme

Mis à jour le 27 février, 2019

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Une affaire de famille (#ManbikiKazoku)  est un Kore-Eda très mineur. Certes joliment narré, le fil conducteur du film est bien trop prévisible pour que l’on accroche plus que cela d’autant que les thèmes sous-jacents, récurrents chez Kore-Eda (la paternité, la filiation, l’enfance, la transmission), sont bien mieux auscultés dans ses précédentes œuvres. Décevant, d’autant plus que nous avions bien mieux apprécié The Third Murder à Venise.

Depuis Nobody knows (2004), peut être son chef d’oeuvre originel, Hirokazu Kore-eda n’a cessé de creuser une veine familiale devenue très familière au fil des années. Des variations thématiques ou, plus exactement, des déclinaisons, souvent prévisibles, à la qualité malheureusement déclinante . Dès lors, il est tentant de suffixer Une affaire de famille par « de plus » tant le film s’annonce comme une énième affaire courante pour le cinéaste japonais.

Hirokazu Kore-eda fait cohabiter sous un même toit trois générations. Une famille non pas recomposée mais composée de six personnes. L’élément déterministe résidera dans l’identité et le vécu de chacun. Cette famille non biologique renvoie indubitablement à Tel père, tel fils (2013) que l’on avait déjà pu apprécié (ou non) à Cannes.

La cellule familiale paraît bien ordinaire durant les trois premiers quarts du métrage. Plus douce qu’amère, la chronique proposée avance lentement sans réelle progression de la narration. Plus gênant encore, les rapines avancées par le synopsis ne font office que de motifs répétitifs et accessoires : les biens volés ne sont ni vitaux ni revendus. Ces larcins n’influent en rien sur un quotidien de travailleurs précaires dont la situation s’aggrave jour après jour.

La chronique familiale se pare parfois d’angélisme, pour mieux interroger la gravité d’un kidnapping dans le contexte précis.

Le côté subversif d’ Une affaire de famille se situe dans sa portée politique/sociétale au delà du cadre familial marginal, finalement simple décorum. Dommage, Kore-eda disposait d’une belle matière en s’attaquant à la cellule familiale, valeur sacrée au Japon.

Sur fond d’iniquités sociales et économiques, le cinéaste japonais donne pourtant à voir un Japon déclassé peu représenté au cinéma. Loin d’un Japon codifié et aseptisé, Une affaire de famille rend visible les invisibles. Traité avec plus de profondeur, ce contexte social de travailleurs pauvres aurait permis à Une affaire de famille d’approcher la dramaturgie modèle qui animait Nobody knows. La dernière demi-heure du film bénéficie certes d’un peu plus de relief narratif. Mais l’épilogue, s’il peut paraître abrupt, s’avère en fait très explicite et convenu tant sur le fond que sur la forme : en examen face caméra, les protagonistes théorisent leurs actes commis lors de la première partie du film.

Sur le plan formel, Kore-eda opte pour un dispositif simple et sans virtuosité. Le parti pris passe par la captation d’un quotidien en caméra fixe dans des lieux de cohabitation exigus sources, par essence, à des sur-cadrages. N’en déplaise à feu Yasujirô Ozu, cinéaste-référence pour Kore-eda, c’est l’absence totale de sur-cadrages qui aurait été notable et non l’inverse. Le metteur en scène renforce l’étroitesse des décors par l’emploi de longues focales qui floutent, de façon peu réaliste et inappropriée, le premier et l’arrière-plan. Si les intérieurs étroits et surpeuplés sont montrés dans Une affaire de famille, ils ne sont pas ressentis par exemple comme dans Sieranevada(2016, À table !) de Cristi Puiu.

Par contre, Kore-eda reste un grand directeur d’acteurs. Sans exception, tous les comédiens convainquent par l’authenticité de leur interprétation malgré le caractère très singulier et la psychologie effacée des personnages incarnés. Chacun fait l’objet des mêmes délicatesse, considération et égalité de traitement. Les relations entre les deux enfants, parfaits reflets de l’enfance de leurs parents « adoptifs », rappellent Nobody knows.

Addendum: A nos yeux, la Palme d’or obtenue lors de l’édition 2018 du festival de Cannes vient récompenser plus l’œuvre de Kore-eda dans sa globalité que Une affaire de famille, film pourtant plus abouti que ses dernières chroniques familiales. Tous les cinéastes lauréats d’une Palme d’or ont témoigné que celle-ci a changé leur vie. Kore-eda ne devrait donc pas échappera à cette destinée. Puisse-t-elle aussi changer son cinéma traçant peu ou prou le même sillon depuis une quinzaine d’années, à l’exception de The third murder.

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