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Rencontre avec Anamaria Vartolomei

Nous avons pu nous entretenir, en marge du festival Premiers Plans où elle était membre du jury court métrage, avec la jeune actrice Anamaria Vartolomei, césarisée pour l’évènement qui avait également reçu le Lion d’or à Venise la même année.

Nous revenons avec elle sur sa carrière, ses envies de cinéma, ses projets en cours et à venir, sa collaboration avec Bruno Dumont (bientôt en compétition à la Berlinale) ou Jessica Palud pour qui elle incarne Maria Schneider – 2 films que nous attendons avec impatience, et nous lui demandons enfin ses favoris pour les Césars.


Non, pas du tout. J’étais très bien préparée pour ce rôle. Le processus de casting a suivi une structure classique, avec la présence d’Eva Ionesco. Cela a duré environ deux mois au total, comprenant plusieurs rappels et des répétitions de plus en plus intensives. Pendant ces sessions, nous plongions profondément dans le scénario, car Eva insistait pour que je comprenne toutes les émotions à jouer et les situations souvent lourdes pour une enfant. Lorsque je suis arrivée sur le tournage, il n’y avait aucune assimilation à ma vie personnelle ni de projection déformé, de mimétisme. J’avais une conscience claire de mon rôle. À l’époque, ma vie était déjà très saine, avec le soutien de mes parents et d’une enseignante qui me permettait de rattraper mes cours entre les prises. Jouer un personnage hyper-sexualisé dans une situation inhabituelle pour moi était une expérience intrigante. Entre les prises, le retour à la vie réelle se traduisait par des moments de détente, entre jeux vidéo Nintendo et devoirs.

Il y avait une certaine perversion dans l’esprit de la mère d’Eva, donc ça allait au-delà de cà. Mes parents, de leur côté, ont joué un rôle essentiel en veillant à ce que tout se déroule bien. Ils tenaient à être présents pour éviter toute déviation et assurer mon équilibre. Ils ont cherché à me faire comprendre que c’était un rôle, totalement opposé à ma vie quotidienne. Je les remercie d’ailleurs, car ils ont investi énormément de temps à ce moment-là. C’était ma première expérience à l’âge de 10 ans, et je ne comprenais pas vraiment le fonctionnement d’un tournage. Je me souviens avoir cru que tout était terminé après une journée de tournage, alors qu’il restait encore 30 ou 40 jours, car il s’agissait d’un long métrage ! Mais c’est vrai que comme je débutais, je n’avais aucune conscience du mécanisme et du fonctionnement de l’industrie, mes parents ont été très utiles parce qu’on on l’a découvert ensemble et c’est sûr qu’avec ce regard de personnes totalement extérieures, leur conseil n’était qu’intelligent et protecteur.

Il n’y avait même pas de doute. Je n’étais pas du tout dans cette perspective ! Le doute est survenu par la suite. À ce moment-là, il n’y avait pas de questionnement aussi concret, car je ne réalisais même pas que cela pouvait être un métier. Je tournais, prenant énormément de plaisir en jouant. C’est d’ailleurs cela qui m’a donné envie de recommencer. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir un agent, et les choses se sont enchaînées. C’était dans l’idée de jouer pour le plaisir, et c’est toujours le cas. Cependant, c’est à l’adolescence que j’ai compris que cela pouvait éventuellement devenir un métier. C’est à ce moment que les doutes ont commencé à surgir. Lorsque l’on désire vraiment quelque chose et que l’on trace un chemin, les doutes apparaissent. C’est valable pour tout le monde. Par exemple, si tu as l’envie de devenir cadre dans une entreprise, tu auras forcément des doutes sur ta réussite et tes compétences. Dans le cinéma, c’est encore plus troublant, car c’est un métier empreint d’incertitudes par essence. Même maintenant, lorsque l’on tourne et que l’on a déjà une place dans le cinéma, les doutes changent de positionnement. On se demande si les gens auront toujours envie de nous entendre, de nous voir, si cela va continuer. Là où avant, c’était « est-ce que je vais pouvoir réussir à prendre place« , maintenant c’est « est-ce que je vais pouvoir garder ma place« .

À ce moment-là, oui, car je tournais, n’enchaînant pas les tournages. De plus, c’était une petite parenthèse dans le temps, et j’ai toujours été assidue à l’école. C’était important pour moi d’avoir au moins mon bac en poche, puis éventuellement d’arrêter les études. Je tenais au bac et essayais de tout faire pour. J’ai été scolarisée au CNED, ce qui m’a offert une indépendance et une flexibilité de programme.

C’est une forme que j’adore, car c’est le début d’un cinéma. En général, c’est là où l’on découvre l’univers du réalisateur, ce qu’il a envie de raconter, les messages qu’il veut porter et transmettre. Cependant, je réalise que je n’en vois presque jamais. L’accès aux court-métrages est souvent difficile, avec des liens Vimeo nécessitant des codes, ce qui rend l’accès compliqué si l’on ne connaît pas les équipes. Généralement, ils peuvent être diffusés sur des plateformes comme Arte ou YouTube, mais sur YouTube ce ne sont pas les meilleurs à mon avis. Aujourd’hui, nous avons également accès à des courts étudiant, et j’ai vu ceux d’hier que j’ai rattrapés. C’est génial, ce sont des premiers films, mais il y a une maîtrise derrière qui est fascinante, promettant un parcours flamboyant pour ces jeunes réalisateurs.

J’ai 24 ans, ils en ont 33 ou 34, donc ils sont quand même plus âgés que moi. Mais nous sommes de la même génération, et il n’y a pas vraiment de différence. J’étais heureuse, car cela nous aide dans notre perception des films. En fait, nous nous mettons souvent d’accord immédiatement après un visionnage. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de divergences concrètes, et je pense que c’est parce que nous faisons partie de la même génération, avec une culture cinématographique similaire et des idées semblables sur le cinéma. Cela facilite les choses d’être du même groupe d’âge.

Je pense que ma culture a été influencée par une tendance anglo-saxonne, avec des grands films mafieux américains, Scorsese, Tarantino, qui ont été assez fondateurs pour moi. J’aime aussi le cinéma indépendant, comme les frères Safdie. Faire une liste immédiatement ne me vient pas à l’esprit, et je trouve que c’est assez réducteur, car souvent, on nomme certains réalisateurs avec lesquels on désire travailler. En tout cas, j’aime le cinéma roumain, étant moi-même franco-roumaine. J’ai travaillé sur un deuxième long métrage d’Anna Theodora Mihai, produit par Christian Mungiu, avec qui je voulais collaborer depuis longtemps. Le cinéma roumain brut me plaît, tout comme la sensibilité française et le côté spectaculaire du cinéma américain.

En ce qui me concerne, cela n’a rien changé en moi. C’est plutôt le Lion d’or qui a suscité un changement, car tout d’un coup, Audrey Diwan et moi-même nous nous sommes retrouvées sous les feux des projecteurs d’un festival très renommé, très pointu. Cela a donné une visibilité considérable au film, ouvrant ainsi des portes. J’ai eu l’opportunité de travailler avec un réalisateur international sur une production américaine assez grandiose. C’est quelque chose auquel je n’aurais probablement jamais eu accès sans la visibilité du Festival de Venise. En France, le César doit certainement apporter quelque chose, mais personnellement, je ne peux pas mesurer les avantages. En général, je ne pense pas qu’un prix change véritablement la carrière d’un acteur. Cela peut être gratifiant pour l’ego et répondre à des ambitions personnelles, mais concrètement, je ne sais pas si cela modifie vraiment quelque chose.

Mon choix de rôles est souvent comme un cocktail, où trois éléments se mélangent : mon intérêt pour le scénario, mon désir de défendre un personnage, et l’entente que j’ai avec le réalisateur ou la réalisatrice. Travailler avec quelqu’un qui a un regard professionnel, quand tu te sens protégé et que tu es bien entouré, avec un réalisateur qui va vers toi et non assouvit seulement son désir personnel me permet d’aller au-delà de mes propres limites. Par exemple, avec Audrey Diwan, nous avons travaillé en étroite collaboration, discutant, recherchant des références, et cela a forgé le personnage. Cà a été un long travail en amont et c’est vrai qu’arrivé sur le plateau on avait tellement bâti un lien en amont qu’on était sur la même longueur d’onde, on allait dans la même direction pour le personnage C’est un truc que j’aime faire maintenant, prendre le temps de discuter avec les réalisateurs avec lesquels je travaille, afin d’être plus uni et de construire un lien solide qui se reflète sur le plateau.

Actuellement, je suis ouverte à toutes les propositions. Je crois beaucoup à l’agencement naturel des choses, par example, j’ai fait l’évènement, et ensuite on m’a proposé des rôles similaires, mais je n’avais pas envie de faire la même chose, je souhaitais m’en émanciper, proposer autre chose pour les spectateurs, et puis pour m’amuser dans un différent registre. Et puis le film de Bruno est survenu, ça a été le projet parfait après l’évènement pour moi.

Ce n’est pas un hasard. Je crois fermement que rien n’est laissé au hasard dans les choix que nous faisons. Pour moi, les choix d’un artiste sont une expression de ses convictions personnelles. Si mes films sont souvent qualifiés de féministes, c’est parce que la cause des femmes me tient profondément à cœur dans ma vie privée. Je suis instinctivement attirée par des personnages forts, indépendants, courageux, qui tentent de s’émanciper des codes imposés par la société. Ces thèmes font partie intégrante de ma vie et guident mes choix artistiques, tout comme d’autres sujets qui me sont intimes, tels que la lutte des classes et l’immigration.

C’est une tâche complexe, car les films de Bruno sont souvent difficiles à cibler et à qualifier. Pour moi, l’Empire est un peu comme un space opera burlesque et déjanté, une satire déformée de la société … Bruno n’hésite pas à la provoquer. Son cinéma défie constamment les conventions, jouant avec les codes du politiquement correct et explorant la cruauté et la bestialité humaines. C’est une œuvre qui reflète parfaitement son style unique, hérité de ses débuts avec des films comme « Petit Quinquin » et « La vie de Jésus« .

J’avais des appréhensions, comme on en a toujours avant de se lancer dans un nouveau projet, peut-être même davantage dans ce cas, car l’univers de Bruno Dumont m’était inconnu. Avant de travailler avec lui, je n’avais pas vu ses films. Il m’a contactée, j’ai pris des conseils auprès de mon agent qui appréciait son travail, et m’a encouragé à le rencontré. J’ai lu le scénario, même si je n’y comprenais pas grand-chose au début, – parce qu’ il écrit d’une manière très littéraire et qu’ il n’y a même pas de nom devant les répliques, ce n »est pas écrit de manière conventionnelle, il faut être très concentrée – j’ai été séduite par son univers. C’est très très déjanté, ça m’a fait rire et m’excitait et je me suis un peu jeté dans la gueule du loup en faisant confiance à son génie créatif et son imaginaire, un univers que je connaissais pas parce que j’avais pas vu ces films mais dont j’avais entendu parler et dont j’avais vu aussi des visuels, des photos, des bandes annonces, je me suis dit pourquoi pas quoi !

Il m’a exprimé son idée, mais avec un scénario aussi particulier, des questions ont naturellement émergé. Bruno dirige à l’oreillette, laissant une part d’improvisation. Il ne fait pas lire son scénario aux acteurs non professionnels pour éviter qu’ils tombent dans un mécanisme. Cela créait un certain déséquilibre entre les acteurs professionnels (on a besoin de lire le texte avant si on veut travailler une scène) et non professionnels sur le plateau. Mais c’est ça qui est intéressant au final, parce que cette dynamique apportait une rythmique différente, une concentration particulière, et nous ne sommes jamais à l’abri de ce que l’autre peut te renvoyer. C’est cela qui me faisait peur dans mon travail avec Bruno. Il n’intervient pas tout le temps à l’oreillette. Il laisse quand même l’acteur jouer, il intervient que par exemple s’il décide que là il faut que l’on sorte du champ plus vite que prévu ou s’il a envie de nous faire répéter une réplique plusieurs fois. Il monte beaucoup, il cadre énormément et il découpe beaucoup, donc on sait qu’il peut se le permettre, mais je restais en attente constante d’indications. On n’est jamais vraiment dans un abandon total, ce qui est un peu le Graal pour un acteur ce qu’on recherche dans le jeu, s’abandonner et s’oublier, avec Bruno, on est toujours entre les deux, j’ai beaucoup apprécié cet exercice.

Oui et ça m’a beaucoup plu. J’ai trouvé ça drôle, intelligent, pointu et il y a une forme de violence mais c’est comme je le disais tout à l’heure Bruno il a un univers cru et baroque et je trouve que c’est propre à son cinéma et c’est un peu dans dans le thème du Petit Quinquin ou de La vie de Jésus, et de ce qu’il avait l’habitude de faire à ses débuts donc si on aime le cinéma de Bruno je pense qu’on peut qu’aimer L’Empire oui

La préparation a été un processus long, avec une première étape de casting qui n’a pas abouti. Jessica m’avait contactée au début du casting, mais à l’époque, j’avais l’impression que le rôle n’était pas fait pour moi, et que Jessica cherchait plus quelqu’un qui aurait la même nature que Maria, qu’il fallait avoir les épaules pour ça, c’st un rôle très compliqué. A l’époque, le scénario était plus dense. Cependant, un an après, elle m’a rappelée pour me dire qu’elle aimerait qu’on fasse le film ensemble. Cela a été le début d’un long processus de recherche, de documentation et de références. Nous avons travaillé sur la gestuelle et la mimique, cherchant un équilibre entre la fidélité au personnage réel et notre interprétation, sans tomber dans la caricature, car si cela reste une adaptation, on en fait notre propre image, on a notre manière de penser Maria Schneider. Ce qu’on calque ne doit pas nous priver de notre liberté de jeu. J’ai énormément adoré travailler avec Jessica, c’est une réalisatrice exigeante et précise, qui aime la direction d’acteur, t’accompagner plus que te diriger. On fait un travail de recherche commun, et je me suis senti tellement libre dans le jeu, ça a été une des premières fois où j’ai pris autant de plaisir à jouer parce que je me suis sentie accompagnée, par sa bienveillance et son exigence qui me conviennent et puis c’est un rôle qui est tellement challengeant ! J’ai jamais fait un truc aussi dur de ma vie ! Maria Schneider et moi, on est très opposées. Comportementalement parlant. Et puis ce truc de se glisser dans la peau de quelqu’un qu’on connaît peu parce qu’elle est assez peu connue … mais Maria Schneider c’est à la fois le feu et la fougue qu’elle a dans dans le dernier tango mais aussi sa face noire par la suite … c’est la première fois que je jouais un personnage en prise avec la drogue, ça a été un challenge du début à la fin. Le tournage a été très court donc très intense et c’était assez assez éprouvant. … Ah, il y a Céleste Brunnquel à côté, elle vient faire une lecture … Elle joue dans le film avec moi ! Comme j’ai fait un peu de post synchro, j’ai vu des scènes du film, mais je ne peux pas juger et je m’interdis de le faire parce que c’est des extraits, j’ai pas vu le film dans son entièreté, mais c’est très beau et l’image est très belle ! J’ai hâte de voir le résultat parce que c’est aussi un sujet qui malheureusement frappe le cinéma et l’industrie en ce moment on l’a vu avec avec l’actualité. Je pense que c’est une voix qui qui raisonnera bien et dont on a besoin d’ailleurs

Je n’ai pas voté cette année car je n’ai pas eu l’occasion de voir beaucoup de films récents. Attendez, je dois réfléchir … Ah, oui, j’ai apprécié la performance de Kim Higelin dans « Le Consentement ». Cependant, je ne suis pas au courant des autres nominations féminines. En ce qui concerne les hommes, j’ai un favori: Paul Kircher que j’ai aimé pour son rôle dans « Le Règne Animal » et plus encore dans sa performance précédente dans « Le Lycéen » qui m’avait profondément touchée, et m’avait beaucoup impressionnée. C’est dommage qu’il ne soit pas nommé pour ce film, pour une histoire de date je crois.

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