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Toute la beauté et le sang versé: geste essentiel

Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au cœur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras fut d’emblée notre coup de cœur lorsque nous le découvrîmes, en compétition à Venise. Notre avis (non consulté doit-on précisé …) fut suivi par le jury vénitien, qui lui remît, la plus haute récompense, le Lion d’or, amplement mérité .

Nous pouvions penser que le film se prêterait difficilement à l’exercice de critique ordinaire auquel s’attache un critique de cinéma lorsqu’il lui est donné d’analyser et de restituer les qualités et défauts d’une fiction. Puisqu’il s’agit d’un film documentaire, traitant d’un sujet avec force et visant la réalité, à rendre justice, et à accompagner un message politique parfaitement assumé, une critique du travail de documentariste, du travail de journaliste, de la force du thème, voire de la pertinence du message aurait pu s’imposer à nous. La subjectivité tient alors, plus encore que pour une fiction, une part importante dans l’appréciation.

Mais ces quelques images montées sur un texte enregistré, qui suivent Nan Golding dans son passé, son art, ses combats, son présent, pour délivrer un message universel et très intime tout à la fois, au delà de l’intérêt du sujet, forment un ensemble que l’on ne peut que rapprocher de ce qui fait la force des plus belles fictions. La richesse du sujet, le travail d’assemblage et le dispositif documentaire tout simplement brillants contribuent à offrir au spectateur un espace de réflexion, de rêverie, et une partition émotive au centre même de toute ambition cinématographique.

Les organisateurs ne s’y sont nullement trompés lorsqu’ils ont sélectionné le film en compétition, et qu’ils ont de la sorte convier les spectateurs, les critiques et les jurés à comparer une œuvre documentaire, partant du réel, visant le réel, et à changer le réel, avec des fictions en tout genre. Car Toute la beauté et le sang versé marque précisément par son entreprise protéiforme, sa forme tout autant que son fond. Le procédé peut sembler simple: une dose d’émotion et de nostalgie, une dose de combat politique, une dose de réflexion sur l’art. Le mariage des trois composantes, a contrario, peut sembler, plus que périlleux, impossible. Mais Laura Poitras ne s’y est pas arrêté. Son film, patchwork savamment dosé, orchestré, excelle tout à la fois à faire ressortir la force de chacune d’entre elle, mais plus encore, nous embarque dans un tout qui ne fait qu’un. Une œuvre qui s’affirme politique, poétique, tragique mais aussi résiliente, intelligente, véhémente. Chaque scène trouve son utilité, démontre son intérêt. Qu’il s’agisse de l’art dans l’art (le travail de Nan Golding, qui le commente avec nostalgie), du politique dans le politique (le combat présent de Nan Golding contre ceux qu’elle sait responsable d’abominations), ou des instants très intimes, qui reviennent sur les moments difficiles qui ont fait de Nan Golding, une personne, une artiste, dans un processus de reconstruction permanent, face au tragique, à la tentation de la destruction, aux effets destructeurs d’un mode de vie assumé, pleinement réfléchi mais contraint, et aux à côtés aléatoires. Vivre, lutter, survivre, exister, se faire entendre, s’affirmer, se trouver, sont ainsi les thèmes que Nan Golding embrasse dans ses commentaires. Laura Poitras en se laissant guider par ses intuitions, en posant son regard artistique, en nouant une relation de confiance très visible avec Nan Golding, parvient à ce que Toute la beauté et le sang versé nous parle de Nan Golding, de scandales économiques honteux, d’art, de mort, et de vie. En somme, un film somme.

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