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La poison – Simon et cynisme

Sacha Guitry a réalisé pas moins d’une trentaine de longs-métrages en l’espace de près d’un quart de siècle (1935-1957). Un tiers de cette filmographie ressort en version restaurée dans les salles par l’entremise du distributeur Les Acacias qui vient ainsi rendre hommage au génie Guitry. Parmi les films mis à l’honneur dans cette rétrospective figure La poison réalisé en 1951 par l’illustre homme de théâtre. La seule lecture du synopsis met l’eau à la bouche. L’œuvre est vénéneuse à souhait et, sans ambages, constitue à nos yeux un modèle de cynisme noir.

Paul Braconnier et sa femme Blandine n’ont qu’une seule idée en tête : trouver le moyen d’assassiner l’autre sans risque. Paul rencontre dans ce but un célèbre avocat qui lui explique comment procéder. Paul tue ensuite sa femme d’un coup de couteau dans le ventre, pendant qu’elle lui verse du poison…

Sacha Guitry aimait faire courir son inventivité dès le générique ouvrant ses réalisations cinématographiques. Celui de La poison est marqué d’une grande originalité… de mise en scène. En effet, ici, le générique n’est nullement inscrit à l’écran mais mis en scène. On y voit le cinéaste saluer ses acteurs et ses techniciens réservant à chacun d’entre eux des louanges pour la qualité de leur collaboration respective. Cet épilogue filmé sert ici de générique de début et c’est pour le maître des lieux un moyen détourné d’apparaître dans le champ d’une caméra captant un film dans lequel, fait rare, il ne fait pas partie du casting. C’est là un premier double pied-de-nez signé Guitry. Bien d’autres parsèmeront la suite du métrage.

Outre un synopsis réjouissant particulièrement percutant, La poison a pour caractéristique d’être le film le plus personnel de son auteur au lendemain d’une guerre aux répercutions récentes et encore en mémoire. Ainsi, sur la base d’un scénario s’y prêtant à merveille la narration vire au pamphlet anarchiste. L’amoralité y règne en maître telle cette consultation d’un avocat (Jean Debucourt) par le personnage principal incarné par Michel Simon en quête de quelques conseils en matière de criminalité !

A l’écran, Simon campe un Paul Braconnier mémorable entre misanthropie assumée et cynisme exacerbé. Face à lui dans le rôle de son épouse, Germaine Reuver compose un personnage alcoolique insupportable de méchanceté résumé dans cette réplique cinglante « Je ne suis jamais assez saoule pour oublier ta gueule ». Notons aussi la présence au casting d’un Louis de Funès pas encore trentenaire dans un rôle secondaire. Pauline Carton figure également dans la distribution ce qui n’est pas une surprise tant cette comédienne à de nombreuses fois travaillé avec Guitry.

La Poison a été réalisé très majoritairement en prises uniques. Ce choix n’est pas celui du metteur en scène mais issu d’une demande formulée par Simon. Et, contrairement à d’autres films réalisés par Guitry, celui-ci n’est pas marqué par les dialogues phraseurs de son auteur. Ainsi dénué de cette marque de fabrique intimidante, potentiellement agaçante pour une partie du public, La poison, œuvre hautement caustique, s’inscrit parmi les films les plus « accessibles » du cinéaste. D’autant que nous sommes ici loin d’une sorte de « théâtre filmé », grief souvent formulé à l’encontre de Guitry. En effet, outre l’originalité du générique précité, La poison propose quelques scènes remarquablement composées.

Enfin, nous ne saurions que trop recommander à nos lecteurs ayant apprécié La poison de poursuivre la (re)découverte de Guitry, scénariste et réalisateur, par le visionnage de La vie d’un honnête homme. Ce film sorti en salle début 1953 contre fin 1951 pour La poison remet en scène l’inoubliable Simon dans le rôle de l’« honnête homme » évoqué par le titre. Pour autant, si les deux longs-métrages empruntent une narration voisine et, à l’identique, sans retenue, La vie d’un honnête homme ne constitue pas une suite de La poison, ni même une déclinaison de ce dernier. Jamais Guitry ne se serait allé à une telle facilité !

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