Mis à jour le 16 juillet, 2020
« Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous » disait Hugo. Chez Ozon, le plus souvent, le « moi », le « Je » est un autre – pour citer Rimbaud cette fois-ci, enfoui, altéré. Il se cache derrière un personnage, plus ou moins différent de son auteur, qui vit des passions, des événements souvent proches de celles que ce dernier a pu traverser. Le biais employé permet à Ozon de dire sans dire, de suggérer plutôt que de montrer, d’avancer masqué. Quand il nous parlait de religion, dans Grâce à Dieu, il s’interrogeait avec nous sur les conséquences ravageuses du silence imposé, sur la difficulté de libérer la parole qui dérange, qui dénonce, le parcours du combattant que cela peut parfois signifier et qui en décourage plus d’un. Il s’interrogeait probablement bien au delà de son sujet, sur tous les carcans sociétaux qui inhibent et renferment les victimes dans le silence, dans l’oubli, peut être plus simple à accepter que la douleur ravivée par la lutte contre le mal originel, toujours brûlante, d’autant moins facile à cicatriser que la prise de conscience souhaitée se trouve retardée dans certains cas, quand elle n’est pas tout simplement reniée, étouffée. Ozon nous parlait probablement d’un sentiment qu’il connaissait vous disait-on.
Faut-il voir dans cette façon de procéder une forme de pudeur ? probablement, tout comme on peut y voir une peur, une humilité, ou encore une difficulté à traiter les sujets de manière frontale. Ozon, par nature, préfère toujours la forme délicate à la forme brute, l’approche nuancée qui explore des contraires auxquels il ne se raccroche pas nécessairement, mais qui s’imposent à lui, dont il peut venir à douter. Sa pensée suit un modèle interrogatif bien plus que démonstratif, ou même exclamatif. Cette ligne se retrouve dans de très nombreux films d’Ozon réussis, d’ailleurs, lorsqu’il la quitte pour employer un ton plus affirmatif, plus sûr de lui, ou directif, il s’égare et perd en mystère, en douceur, en harmonie (Ricky par exemple était un naufrage)
Dans Été 85, Ozon fait donc le choix de nous parler de sa propre adolescence, indirectement. En 85, François Ozon a 18 ans, peu ou prou l’âge de son personnage. Il se passionne pour un roman La Danse du coucou d’Aidan Chambers il, qui le marque, auquel, de son propre avœu, il s’identifie. Mettre à l’écran cette histoire le taraudait…
Le titre retenu pour cette adaptation, Été 85, n’est pas sans nous rappeler un autre excellent film, semblable dans son entreprise de rendre à une époque quelques lettres de noblesses parfois oubliées, sur fond de nostalgie douce-amère, Leto de Kirill Serebrennikov, l’un de nos grands coups de cœur au festival de Cannes 2018. Les deux ont en commun une nostalgie musicale, Leto, plus à chercher du côté de jeunes punks modernes, porteurs d’espoir et de rébellion à l’est, Été 85, s’intéressant davantage au contraste proposé par certains tubes, la pop-variété (Bananarama, Jeanne Mas), le slow qui peut faire verser une larme (Rod Steward), la cold wave (The Cure ouvre et ferme le film, avec le titre plus acidulé que sombre In between days).
Étonnamment ou non, ces quelques couleurs musicales nous semblent parfaitement épouser les intentions artistiques poursuivies, un mixte entre couleurs chaudes, reflets d’un été joyeux, innocent, et moments charnières, où l’on se construit dans l’adversité. Le regard tourné loin devant soi, dans un horizon qui oublie le présent, l’évacue, tendent à le rendre plus léger; une insouciance; mais aussi le destin qui s’invite, la construction de soi qui oblige à regarder derrière, à considérer la noirceur, ce que le destin nous réserve quand les épreuves peuvent nous briser.
Ce double regard rythme le film. La première partie du film s’articule autour d’une rencontre, très linéairement amenée, et qui d’emblée est mise en perspective d’un drame à venir. Le spectateur est parfaitement prévenu, si ce n’est que le drame ne dit encore ni son nom, ni sa nature. L’été sur la côte normande, se présente sous un regard volontiers nostalgique, insouciant mais aussi solaire comme peut l’être le regard porté par Kechiche sur la jeunesse dans Mektoub, my love, Canto Uno.
L’entreprise narrative linéaire, le conte à rebours, expose ses personnages, leur relation naissante, de façon plutôt conventionnelle, mais nécessaire. Le spectateur gagnera à rester patient, la piste suivie ne se révélera pas aussi simple que les apparences laissent croire, l’intrigue prendra place doublement. D’une part, Ozon oscultera avec justesse deux façons très différentes de vivre une relation d’amour chez de jeunes adolescents, d’autre part, le crime passionnel ne se dévoilera réellement que très tardivement, sur une forme inattendue. Le point fort de Été 85 tient précisément, outre sa forme soignée, ses couleurs vives, la reconstitution d’époque réussie, à cette capacité à nous proposer un mélange qui fonctionne dans l’ensemble très bien entre ses deux intrigues principales, qui alternent l’une avec l’autre à des instants propices, provoquant les rebonds nécessaires à toute bonne histoire.
Ozon nous parle d’amour, mais il nous parle aussi et surtout de construction de soi dans l’épreuve, de douleur qui marque. Il nous parle d’adolescence, de blessures fondatrices, un peu comme à son époque l’avait parfaitement réussi Téchiné dans les roseaux sauvages. Les couleurs nostalgiques, tendres côtoient des souvenirs redevenus distincts quand les pensées présentes les rendaient autrement plus confuses.
Eté 85, sans avoir le niveau d’une palme d’or (mais ces dernières années le titre a parfois semblé se galvauder), aurait du cette année être présenté à Cannes, et nous l’aurions apprécié … Puisqu’il s’agit là du premier film estampillé Cannes 2020 qu’il nous ait été donné de voir, nous pouvons le dire, la compétition commence plutôt bien !
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