Mis à jour le 7 mai, 2018
Dans le Londres des années 50, juste après la guerre, le couturier de renom Reynolds Woodcock et sa soeur Cyril règnent sur le monde de la mode anglaise. Ils habillent aussi bien les familles royales que les stars de cinéma, les riches héritières ou le gratin de la haute société avec le style inimitable de la maison Woodcock. Les femmes vont et viennent dans la vie de ce célibataire aussi célèbre qu’endurci, lui servant à la fois de muses et de compagnes jusqu’au jour où la jeune et très déterminée Alma ne les supplante toutes pour y prendre une place centrale. Mais cet amour va bouleverser une routine jusque-là ordonnée et organisée au millimètre près.
Paul Thomas Anderson, à qui l’on doit par exemple les très variés Magnolia, Boogie Nigths, Inherent vice, The master, ou bien encore Punch Drunk Love marque en général les esprits en ce qu’il s’intéresse à des personnages aux aspirations décalées, pour ne pas dire en marge, et qu’il aime à retenir une forme appuyée, colorée pour narrer leurs histoires. Clairement, il aime de film en film se renouveler, relever de nouveaux défis qu’il se lance, en convoquant ici ou là quelques uns de ses maîtres. Très rapidement, sa filiation avec Robert Altman s’est affirmée comme une évidence tant l’élève s’avérait convainquant dans l’exercice de style qu’affectionnait tant le maître, le film choral. D’autres influences ont ensuite vu le jour, de façon plus ou moins assumée, plus ou moins marquée, remarquée, de Kubrick à Scorcese en passant de manière plus étonnante, et plus affirmée, par Jonathan Demme – Le silence des agneaux, Philadelphia.
Ainsi, à chaque nouveau film, un jeu de chat et de souris s’instaure entre le réalisateur adulé, chéri, ancienne plus belle promesse du cinéma américain, et la presse. Phantom thread n’échappe pas à la règle ; qui de citer Hitchcock, qui de dénicher un emprunt à Kubrick une nouvelle fois. Soit … Ou ne soit pas.
Nous vous l’aurons suggéré, Phantom thread marque une rupture apparente dans la filmographie de PT Anderson, dans le style, et dans l’ambition. Il semblerait qu’il s’agisse bien de tromper son monde, en déplaçant le chic; en plaçant le curseur Inside bien plus qu’Outside. Il ne s’agit pas d’en mettre plein la vue, de multiplier les intrigues à la Magnolia, les émotions à la punch drunk love, les couleurs à la inhérente voice, le penchant mystique à la The master; non, le style retenu pour Phantom thread est aux antipodes de cette recherche de clinquant, less is more semble être l’adage entendu par Anderson, et son acolyte, à l’écran, à l’écriture, et peut être également quant au portrait dessiné, Daniel Day Lewis, toujours aussi intéressant quand il incarne un personnage qui n’a d’yeux que pour lui même, que pour sa propre démesure.
Phantom thread intrigue jusqu’à son titre, ce fil imaginaire, qui est sensé renvoyer à l’univers de la couture dans le Londres des années 50. Le choix de l’époque, du lieu vient tout à la fois des origines britanniques de Day Lewis – Anderson souhaitant tirer profit de la matière que lui propose sa « muse » irlandaise – , mais aussi mettre un coup de projecteur non pas sur Paris, place forte de la mode de nombreuses fois mis en images, mais bien sur l’influence de la capitale britannique sur la mode jusqu’alors beaucoup plus confidentielle.
Balenciaga fait parti des personnages qui ont inspiré les deux co-scénaristes – Anderson et Day Lewis.
Le thème principal passé au scalpel est pour autant une constante dans la filmographie d’Anderson. Il s’agit encore et encore de trouver sa place dans la relation à l’autre, de chercher – bien plus que de trouver- un équilibre entre le passionnel et le raisonnable, de laisser cohabiter une ambition, une mission personnelle de tous les instants, avec un projet extérieur, embrassée par les autres bien plus que par soi. L’homme, ses idées, ses convictions, et la réalité qui le rattrape ou non.
Phantom thread navigue du coté de l’ennui de Cédric Kahn. Le rythme se fait volontairement lent pour n’être que plus précis. Il s’agit de faire en sorte que le spectateur puisse s’y reconnaître, que l’histoire d’amour contrariée qui lui est proposé – car il s’agit bien de cela – puisse faire effet de miroir, ou en tout cas que le procédé laisse un espace suffisant à une identification possible, interne, ou externe.
Ainsi l’écrin proposé, d’allure classique, aux rebords droits, qui ne doit rien laisser déborder à l’instar de ce que la haute couture – ou le cinéma – exige, est idéal pour mieux faire ressortir le détail psychologique, la fêlure dans le personnage d’apparence dominante, véritable sujet de Phantom thread, bien plus que le destin d’un homme, ou d’une femme. Il s’agit de faire ressortir un jeu d’emprise, de domination de l’un sur l’autre, où celui qui tient les clés peut varier en fonction des terrains de conquête, des cercles d’influence.
Le couple doit composer avec le monde extérieur, avec l’entourage plus ou moins toxique; à commencer ici par le personnage de la sœur, vampirisante en bien des aspects, faible et forte à la fois, force obscure qui n’aura d’autres choix que de se ranger, de s’effacer le moment venu.
Si le génie de Paul Thomas Anderson peut ici ressortir, être mentionné par les observateurs et autres adulateurs, il le doit principalement, selon nous, à ses interprètes. Day Lewis est très crédible – qui a dit que le rôle ici proposé le renvoyait à ses propres obsessions, quand elle ne renvoie pas à celles d’Anderson ? -, Leslay Manville, en soeur dévouée, aimante, encombrante, endosse parfaitement le costume.
Enfin, le film révèle l’impeccable Vicky Krieps, dont on prend le pari que vous ayez à réentendre parler sous peu, tant elle épouse l’intention artistique, l’incarne avec une subtilité rare.
La symbolique que dégage l’affiche du film est ici particulièrement éloquente, le devant de la scène c’est pour elle, la part d’ombre, le décor, c’est pour lui. Conte de fée, film hommage à un genre daté beaucoup moins démonstratif, récit pygmalionien, étude psychologique, Phantom thread est un peu de tout ceci à la fois, un film qui fait réfléchir bien plus qu’il n’époustoufle.
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