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High life – Ici-bas sur terre

Mis à jour le 17 février, 2019

Souvent exigeante, toujours singulière, la filmographie de Claire Denis embrasse de multiples genres. Le territoire cinématographique arpenté est aussi vaste que passionnant du film d’horreur Trouble every day (2001) à la comédie romantique Un beau soleil intérieur (2017, Les reflets du genre humain), ou du mélodrame Vendredi soir (2002) au thriller Les salauds (2013). La réalisatrice étend encore le champ des possibles avec High life, son premier film tourné en langue anglaise et son premier film de science-fiction.

Au-delà de notre système solaire. Quelques criminels condamnés par la justice acceptent de participer à une mission gouvernementale, dont l’objectif est de trouver des sources d’énergie alternatives à proximité d’un trou noir. Mais l’expérience va être tout autre.

Le choix de la langue anglaise peut surprendre mais il s’avère logique pour relater une mission spatiale, terrain de jeu où rivalisent anglophones et russophones. Pour cela, Claire Denis convoque un casting anglophone dominé par Robert Pattinson et Juliette Binoche. La réalisatrice reforme le duo mis en scène par David Cronenberg dans Cosmopolis (2012). D’ailleurs, certaines séquences de High life auraient pu être l’œuvre de l’auteur de La mouche (1986).

Par son intensité retenue, l’acteur anglais campe l’énigmatique et charnel Monte. Un rôle pour lequel Vincent Gallo et Philip Seymour Hoffman furent un temps pressentis. Toute aussi charnelle, l’actrice française incarne Dibs, une doctoresse druidesse possible parente envoyée dans l’espace de Peter Sellers dans Docteur Folamour (1964, Stanley Kubrick). Cette distribution et le caractère taiseux du film (la voix off du Monte contrebalance des dialogues comptés) contribuent à faciliter la réussite de cette première réalisation en langue anglaise.

Comme dans la plupart des précédents films de Denis, le récit coécrit de nouveau avec Jean-Pol Fargeau repose en partie sur les images composées et sur une bande originale écrite par Stuart A. Staples, membre leader des Tindersticks. Ces nappes musicales (l’ouïe), à la fois sombres et légères, donnent à High life des allures de space opera. Un genre cinématographique qui contraint la réalisatrice à délaisser ses habituels itinéraires de personnages ordinaires ancrés dans la réalité de leur quotidien.

Mais High life est finalement moins un film de science-fiction qu’un film de sciences (biologie de la procréation, botanique) et de fictions. Paradoxalement, la Terre ne paraît jamais très éloignée de ce huis clos aux espaces intérieurs restreints et sans vie, de ce film de prison ouvert sur l’univers. Il y a d’abord ce jardin (la vue) fournissant des plantes comestibles (le goût) dont la texture de la terre (le toucher) est parfaitement restituée par la qualité de la photographie et par la délicatesse et la fluidité du filmage. High life caresse les sens notamment par cette photographie sobre et intimiste calibrée par Yorick Le Saux et qui alterne scènes dans la pénombre et plans plus lumineux et colorés. Dans ce cinéma charnel et tactile, les teintes ocres et brunes servent à capter la douce beauté des corps. Et, quand la lumière se fait plus crue, on peut voir en Binoche s’abandonnant dans la « fuck room » une sœur de Béatrice Dalle dans Trouble every day, blafarde à l’identique.

Il y a ensuite les thèmes abordés, résolument terriens. Dans High life, pour qui sera y prêter attention, l’attraction physique du vide est envisagée comme un remède à la répulsion mentale du vide affectif. Le silence d’un univers infini fait ainsi « écho » aux querelles également infinies entretenues par le genre dit humain. La violence qui en découle, qu’elle soit tournée vers autrui ou vers son auteur, sexuelle ou criminelle, préméditée ou impulsive, est la réflexion majeure menée par la réalisatrice. Il n’est ici nullement question de conquête spatiale. En fait, le film relève d’une réflexion métaphorique sur une reconquête terrienne restant à mener et sur (le) devenir humain. Libre à chacun ensuite d’interpréter le très probable impossible retour ici-bas sur Terre des protagonistes de High life.

De la démarche radicalement minimaliste de la réalisatrice émerge un cinéma de genre exigeant, viscéral, mental, musical, sensuel, violent et cathartique. Comme les films précédents de Denis, High life satisfait sans « tabou » à toutes ces caractéristiques. Ainsi, les séquences qui le composent sont autant d’invitations organiques et sensorielles que le spectateur devra savoir saisir. A défaut, cette odyssée aux confins de l’espace mais aussi d’une humanité redevenue animale sera perçue comme étrangère alors qu’elle est étrange et immersive.

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