Mis à jour le 26 février, 2016
Alors que se prépare une exposition consacrée à la célèbre photographe Isabelle Reed trois ans après sa mort accidentelle, son mari et ses deux fils sont amenés à se réunir dans la maison familiale et évoquer ensemble les fantômes du passé…
Un titre qui se cherche
Intitulé initialement Louder than bombs, et présenté sous ce titre à Cannes, Back home est le troisième film du réalisateur norvégien Joachim Trier, à qui l’on doit le très bon Oslo, 31 août, adapté de Le Feu Follet de Drieu La Rochelle, qui avait connu un succès d’estime et su trouver son public, mais aussi Nouvelle donne, plus confidentiel, mais à l’intention tout aussi littéraire. Il s’agit plus précisément du premier film international de Joachim Trier, réunissant des acteurs et actrices confirmés: Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg et Amy Ryan, et tourné à New York. Plus fort que les bombes eut assurément été un titre plus retentissant, mais des accusations de récupération, de vouloir tromper le spectateur aurait pu naître face aux événements récents. Le titre a donc été changé en conséquence. Memento Films précise :
« Le film […] est un film nostalgique sur la famille, ce n’est ni un film de guerre ni un film militant sur fond d’attaques terroristes […]. En ces périodes troublées, nous avons voulu lui trouver un titre moins ambigu, évitant tout malentendu sur le contenu même du film. »
La constante littéraire et psychologique
Joachim Trier, avec Nouvelle Donne s’intéressait au monde de la littérature, au rapport de l’écrivain avec le succès, à la fragilité du succès comme de l’homme. Oslo, 31 août est une adaptation du Feu Follet de Drieu La Rochelle, pièce littéraire qui offre une réflexion introspective forte et aux échos nombreux. Back home poursuit ce chemin tracé, prolonge la réflexion sur le rapport entre l’être et le pensant, entre la vie réelle et sa retranscription. S’il n’est pas directement question de littérature, l’écriture du scénario obéit à une approche littéraire.
Le renouveau du film choral ?
Joachim Trier choisit pour forme le film choral. On pense plus à Paul Thomas Anderson ou Antonioni qu’à Altman ou Inaritu, même si la particularité tient ici en ceci que les personnages sont tous de la même famille et qu’il n’en est que très peu fait mystère, si ce n’est les dix premières minutes. Cette singularité évacue de fait le principal effet du film choral, la quête du lien entre les personnages, qui, introduit le plus souvent une dimension mystique, fantastique ou anticipatrice, que ce soient les destins liés, les « effets papillon » ou autres connexions métaphysiques entre personnage. On est très loin également des ambitions d’un Claude Lelouch de narrer une grande et Belle Histoire. Bien au contraire, le sujet est très recentré autour du décès d’Isabelle Reed – interprétée par Isabelle Huppert-, et du lien familial. Le procédé narratif si propice à maintenir le spectateur en suspens, à offrir une possibilité de développer plusieurs histoires en une, est ici détourné pour servir un autre but, donner plusieurs lectures.
L’évènement différé
A l’instar de ce que l’on rencontre dans les oeuvres des modernistes américains (Faulkner en tête), l’une des forces principales de Back home réside dans le non dit, dans les ellipses narratives. Les exemples sont nombreux, à commencer par ce qui nous semble le sujet principal, qui n’est jamais traité frontalement, de manière directe, à savoir la difficulté de revenir à la vie normale pour une femme photographe, reporter de guerre. Nous l’abordons uniquement par petites touches et par recoupement des différentes perspectives qui l’embrassent. Il est couvert peut être cent fois de biais, mais jamais sous l’angle de la narration, de l’explication ni même de l’introduction de la situation. Certains évoquent chez Faulkner une écriture oblique, ce qualificatif sied ici à merveille.
Les thématiques secondaires sont elles-aussi très indirectes. On pense à la filiation, à l’infidélité ou plus exactement à la faiblesse, à la responsabilité d’être parent, à l’évitement. De façon très ambivalente, on est surpris mais nullement déconcerté quand Joachim Trier livre sa vision du personnage de Jonah (le fils ainé, interprété par Jesse Eisenberg):
« Jonah est une sorte de surdoué qui a toujours pensé qu’il était plus proche de sa mère que n’importe qui d’autre. […] son histoire est celle d’une peine trop longtemps contenue, et comment la façade de ce jeune professeur ambitieux qui vient tout juste d’être père s’effrite à mesure qu’il réévalue l’image de sa mère »
Surpris, car le côté surdoué est à peine évoqué, car son rapport à sa mère fait l’objet d’une ellipse quasi totale, et que son effritement ne semble que très passager, mais absolument pas déconcerté, car toute l’écriture du film réside dans ces interstices, ces coupes volontaires.
Le cœur a ses raisons que la raison ignore
Si intellectuellement parlant, Joachim Trier réussit une oeuvre ambitieuse et intéressante, nous ne ressortons pas forcément du film avec une impression de parfait contentement. En théorie, le film est bon, il comporte même une certaine puissance. Mais en pratique, les émotions sont restées à quai. L’implacabilité du traitement, la rigueur narrative, essentielle au projet, nuisent à sa force évocatrice. La vérité n’éclate pas, le vrai ne rejaillit pas, l’amour ou la haine ne triomphent pas, la violence, fut-elle interne, est très retenue. Trier est résolument à l’opposé d’une Maiwen par exemple dont le matériau est autrement plus sensible. Trier raisonne, quand d’autres manient les vibrations. Artistiquement parlant, en somme, Back home semble bien mineur, dépourvu d’une sève qui nous aurait été nécessaire pour plus encore l’apprécier. Ceci-dit, sa place dans la sélection Cannoise se comprend parfaitement, et on peut même vous dire que Back Home nous a bien davantage séduit que la palme d’or, Dheepan.
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