Jirí Menzel nous a récemment quittés (Adieu Jirí Menzel). Il livrait en 1966 son premier long-métrage sous le titre Trains étroitement surveillés. Un coup de maître puisqu’en 1968 le cinéaste se vît décerner l’oscar du meilleur film en langue étrangère pour cette primo réalisation singulière et poétique. A ces deux caractéristiques ajoutons celles portées par une narration libre et franche. Ces éléments ont permis à Menzel d’être immédiatement reconnu comme cinéaste majeur de la Nouvelle Vague tchécoslovaque aux côtés de Milos Forman ou Ivan Passer.
Milos travaille dans une petite gare tchèque pendant la Seconde Guerre mondiale. Tourmenté par sa timidité, il n’arrive pas à embrasser la jolie contrôleuse qui pourtant s’offre à lui. Devant cet échec, désespéré de ne pouvoir prouver sa virilité, il tente de se suicider. Une jeune femme issue de la Résistance va tenter de lui faire surmonter ses craintes.
Trains étroitement surveillés est le fruit de la première collaboration entre Jirí Menzel et le romancier Bohumil Hrabal. Les deux hommes cosignent le scénario du film, adaptation du roman éponyme dont le second est l’auteur. D’autres travaux en commun suivront et aboutiront à la réalisation d’Une blonde émoustillante (1981) ou encore Les fêtes des perce-neige (1984).
Avec la seconde Guerre mondiale en toile de fond, Trains étroitement surveillés a pour argument l’apprentissage professionnel et sexuel d’un futur chef de gare. Le métier, guère compliqué et peu prenant, laisse du temps libre à des frivolités entre protagonistes goguenards et triviaux : un chef de gare colombophile et vertueux, un sous-chef sans ambition, une séduisante contrôleuse furtive et son oncle, photographe à la main baladeuse, ou encore une télégraphiste « tamponnée ». C’est donc autour de l’apprentissage sexuel du jeune Milos (Vaclav Neckar) que Menzel déploie une chronique initiatique légère et poétique. Devant la caméra, le cinéaste tient le rôle non crédité du docteur Brabec et diagnostique la source des maux de Milos : « æjaculatio præcox ».
Par voie de conséquence, le cinéaste tchèque compose le portrait d’un adolescent qui doute de sa virilité. Un homme donc en devenir et, qui sait, peut-être, héros en puissance. Car, dans la scène liminaire des Trains étroitement surveillés, Milos plein cadre, mi ahuri mi naïf, présente son « illustre lignée » patriarcale, images d’archive à l’appui. L’ensemble est cocasse jusqu’à son père, mécanicien retraité à 48 ans, ce qui lui laisse 20 à 30 ans à se tourner les pouces. Une famille où uniforme est synonyme de carrière. Celui de Milos, apprenti chef de gare, fait déjà la fierté de sa mère qui l’habille avant sa première journée d’apprentissage.
Une gestuelle érotisée et des saynètes libertaires se glissent entre des événements et des faits plus ou moins anodins. Ici, la trivialité ni outrancière ni absurde, parfois murmurée à l’oreille d’un protagoniste, s’accompagne toujours d’une élégance certaine que vient parfaire la bande-son. Les variations de la musique et les bruitages ont pour vocation à amplifier les situations visuelles mises ne scène. Les murmures inaudibles (mais dont le contenu ne fait guère de doute) précités reflètent la timidité maladive de Milos et participent à l’insolence du film. Dans le contexte politique de la Tchécoslovaquie du mitan des années 60, l’impertinence d’ordre sexuel et politique du film devait contourner la censure. Evasive et implicite par la force des choses, elle ne pouvait pas être portée au premier plan. L’exercice était délicat.
Menzel est parvenu à relever ce défi en optant notamment pour une mise en scène sans fioriture qu’il jonche de belles idées (voiture sur rails) et de cadres soignés et recherchés. Ces éléments servent le réalisme et la crédibilité des scènes défilant à l’écran. Tout le film, tourné en noir et blanc et au format 1.33, se voit enveloppé dans une sorte de bulle de mystère entretenue par les lieux filmés. Par définition, la gare est un lieu de passage où se croisent des personnages, ici insolites (une comtesse à cheval). Des trains y passent, parfois sans s’arrêter. Qu’ils transportent des infirmières, des militaires, du bétail ou des équipements militaires, ils rendent compte d’une société en guerre.
En cherchant à s’accrocher à quelques furtifs repères, nous sommes embarqués dans cette aventure pleine de trivialité, d’humour et de sensibilité. Les scènes, pour certaines burlesques, sont guidées par une liberté de ton d’une rare justesse car jamais outrancière et exagérée. Trains étroitement surveillés gagne là une légèreté remarquable jusqu’à un final aussi inattendu qu’explosif. C’est probablement aussi sur l’appréciation de ce critère que l’oscar 1968 du meilleur film en langue étrangère lui a été attribué. La justesse et la liberté de ton décelées justifiaient amplement cette belle reconnaissance.
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