Mis à jour le 23 novembre, 2019
Arnaud Desplechin livre avec Roubaix, une lumière, présenté en compétition au 72ème Festival de Cannes, un film inattendu, surprenant pour qui suit son oeuvre cinématographique.
Desplechin se plonge ici dans une histoire réelle, dans des enquêtes policières. Il choisit de s’inscrire dans un genre, mais il le revisite à sa façon. En respectant certains codes, certaines règles, ou au contraire, en s’en éloignant, il crée une œuvre cinématographique moderne, très personnelle, dont le genre ne semble pas si déterminé.
Le film oscille en effet d’une ambiance à l’autre : de la violence et de l’ angoisse dans les scènes d’enquête; de la douceur, de la joie et de la pitié dans les scènes de retrouvailles familiales, des discussions amicales, des réflexions Dostoievskiennes sur la solitude et la nature du crime. Il se joue des contrastes multiples, utilisant tout ce que le cinéma offre à sa disposition, la lumière de Roubaix est magnifiée par des filtres dorés, la musique jazzy accompagne toutes les scènes qui sont de l’ordre de l’ordinaire, du quotidien de la brigade policière, et surtout, la composition des personnages, et la direction d’acteurs, offre des clairs-obscurs particulièrement saisissants.
Desplechin ancre son récit dans une ville qu’il connaît et aime, mais dans un autre milieu social, tout à fait différent avec celui d' »Un conte de Noël » par exemple. Et c’est surprenant de voir que sa mise en scène réaliste traduit parfaitement sa connaissance de ce milieu.
La première partie de Roubaix, une lumière s’intéresse à l’enchaînement rapide d’événements qui composent le quotidien du commissariat où un certain Daoud officie. Elle permet de planter un décor, de proposer une peinture sociale au travers de plusieurs figures criminelles. Ces portraits se répondent et se complètent les uns les autres, et ont chacun leur spécificité qui les rend intéressants, chacun reflète une dimension de la pauvreté sociale et familiale de la ville.
La seconde partie du film se concentre sur un fait divers réel, qui avait éveillé la curiosité de Desplechin. Il décide, parmi toutes ces affaires, de porter sa caméra sur un cas précis: deux jeunes femmes dénoncent un crime survenu dans la maison mitoyenne à leur appartement.
Desplechin construit ainsi son film en proposant un effet entonnoir, il part du plus général pour aller au plus particulier, d’un ensemble de faits criminel à une affaire précise, d’un ensemble de portraits à un portrait en particulier, d’une trame générale, à une reconstitution minutieuse. Ce procédé, s’il peut s’avérer vertigineux, fait également écho à la pensée du réalisateur, qui trouve dans le personnage du commissaire Daoud, interprèté magistralement par Roschdy Zem, son double intellectuel. Par ce caractère, dont les détails de sa vie personnelle nous échappe, Desplechin décrit l’homme via son rôle dans la société, mais aussi et surtout, via ses convictions, ses espoirs en la nature humaine. Il rend ici hommage à ce qui anime l’oeuvre tout entière de Dostoïevski , et plus particulièrement Crime et Chatîment, que Desplechin a relu avant de se lancer dans son scénario, même s’il ne s’agissait pas de sa référence principale.
L’effet produit est le plus beau. Le mélange entre l’enquête policière d’un côté, et la découverte des liens qui unissent les deux « héroïnes », magnifiquement interprétées par Léa Seydoux et Sara Forestier, leur amour malheureux, troublant et mensonger, est à couper le souffle. Le film peut s’inscrire par instants dans le genre « polar à la française » – même si Desplechin n’aime pas trop cette classification, son point de départ étant des films noirs, que ce soit le faux coupable d’Hitchcock, ou encore des films de C. T. Dreyer, confessant lui-même son manque de culture en cinéma policiers français. En même temps, La composante psychologique et sociologique qui traverse Roubaix, une lumière, regorge de détails et présente beaucoup d’originalité dans le regard qu’il porte sur la ville et ses habitants. De nombreuses émotions sortent du cadre d’un film policier habituel, et par cela, le film ne présente pas nécessairement de discontinuité quant à l’oeuvre que poursuit Despleschin.
Le rythme de départ bouleverse d’emblée, il permet – parce qu’il est emprunt d’humour, de chaleur, et de nostalgie – de toucher au plus prêt des personnages; qu’ils soient policiers, criminels, ou victimes. Le commissaire Daoud occupe la place centrale dans cette histoire illuminée par son regard humaniste. Cet homme rassurant connaît la vie, et sa méthode de travail tranche avec celle de ses collègues. Sa foi transpire, sa philosophie nous accompagne dans ce voyage dans l’enfer de la misère. On comprend bien sa tristesse, sa sympathie, son amour pour ces gens mal vécus.
Son personnage peut ainsi rappeller Barberousse dans le film éponyme de Kurosawa, l’analogie vaut également par la présence d’un jeune apprenti dans les deux films.
Nous ne pouvons donc que vous inviter à découvrir ces lumières, ce Roubaix que dépeignent ensemble Desplechin et ses excellents interprètes.
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