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Quand Polanski accuse … Magnifique

Mis à jour le 24 novembre, 2019

Pendant les 12 années qu’elle dura, l’Affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier.
Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées.
A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus.

Les grands festivals cette année, à l’exception de la Berlinale, sont selon nous passés à côté de leur principal chef d’oeuvre. Cannes a manqué d’honorer Le traître de Bellochio, Venise, sous la présidence de Lucrecia Martel qui dés le départ avouait son aversion pour l’homme Polanski, déclenchant une polémique quant à son impartialité, décida très étrangement de donner à Joker le Lion d’Or qui de l’avis général de la critique, y compris des plus afficionados de la série Batman, semblait devoir légitimement revenir à J’accuse de Polanski tant le film comporte des qualités cinématographiques.

Roman Polanski approche des 90 ans pourtant il reste une exception dans l’histoire du cinéma en ceci que depuis son premier film (Le couteau dans l’eau), son génie et sa vitalité n’ont jamais faibli; ses films moyens sont très rares, quand tant d’autres Maîtres ont connu des hauts et des bas plus prononcés….

Il nous revient à l’écran avec J’accuse, et nous n’avons pas peur des mots, il s’agit là de son meilleur film depuis sa (méritée) palme d’or Le Pianiste. Il en est aussi de la même facture: un film à valeur hautement historique qui pour autant embrasse une perspective hautement personnelle. Le drame intime et le tragique collectif réunis, nul besoin ici de vous faire un dessin.

L’une des forces de J’accuse consiste aussi à parvenir de faire d’une histoire alambiquée, potentiellement soporifique, un thriller limpide et magnétique.

En plus d’être haletant et puissant, J’accuse fait monter crescendo la tension de la plus grande erreur judiciaire, sur fond d’antisémitisme/racisme qui divise la France dans toutes ses classes, jusqu’à livrer au spectateur un décollage émotionnel particulièrement intense.

Quels défauts y trouver ? Peut être, l’utilisation du numérique, qui rajoute de l’artificialité; et se remarque, ce qui produit une détente de l’attention quand par ailleurs l’écran nous captive littéralement, peut être aussi la faible identification possible aux personnages, qui sont animés d’une passion et d’une flamme très mécaniques, un sens du devoir et une ambition débordante que l’on prône dans les corps d’armées. Pour le reste, tout y est … J’accuse pourra avantageusement remplacer toutes les précédentes tentatives d’explication en vidéo (films, documentaires, que l’on voit dans les musées comme celui diffusé dans l’exposition qui a cours aux Champs Libres à Rennes sur l’Affaire Dreyfus) en classe, il traduit une époque, mais aussi par résonance étrange, en dit long aussi sur la notre. J’accuse en ceci est un geste d’un cinéaste engagé qui ose le parallèle entre deux époques que d’aucuns auraient tendance à considérer comme éloignés, et dont Polanski parvient, parce qu’il est juste dans sa reconstitution, à faire ressortir les similitudes.

Roman Polanski est un maniaque, un perfectionniste, dont les méthodes de travail relèvent de l’âge d’or du cinéma américain, au temps où à Hollywood tout se faisait en studio. Il se positionne délibérément et naturellement à l’opposé du cinéma naturaliste ou de la caméra stylo (aka la Nouvelle Vague). Même lorsque cela ne semblait pas nécessaire, il a toujours opté pour des tournages en studio, dans des décors reconstruits, ainsi par exemple du Paris et de ses boîtes de nuit dans Frantic. De la sorte, il peut tout contrôler, dans le moindre détail, ce qui lui est indispensable, ce qui fait son art. Sa méticulosité lui a valu de se mettre à dos Faye Dunaway, lorsqu’il lui arracha vertement un brin de cheveu qui dépassait du cadre, lors du tournage de Chinatown. Ainsi, vous ne pourrez douter, si vous connaissez un tant soit peu son impeccable filmographie, que pour J’accuse il a pris le plus grand soin à reconstituer les différents décors fin 19ème début 20ème, qu’ils soient parisiens ou rennais – même si, par ailleurs, on eut apprécié de voir le véritable lycée Emile Zola, feu lycée Chateaubriand, dans lequel se tint l’un des plus fameux procès de l’histoire de France. Le résultat à l’écran est impressionnant de précision, et que dire de la direction d’acteurs … Tous sont à l’unisson, juste parfaits, que ce soit Emmanuelle Seigner, Louis Garrel en Dreyfus, et bien sûr Jean Dujardin.

Pour ne citer que ce dernier, il trouve par exemple une force, un engagement, que l’on n’avait pas encore découvert dans ses interprétations précédentes, tout semble réglé comme du papier à musique, Polanski fait de son personnage le véritable héros, ce que l’Histoire de France a tendance à octroyer à Emile Zola, et Dujardin , ainsi dirigé, traduit parfaitement cet héroïsme.

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