Last updated on 1 novembre, 2017
Lila est une jeune bègue complexée qui s’est réfugiée dans le silence. Sa vie bascule lorsqu’elle tombe amoureuse de Mo, un pilote kamikaze qui risque sa vie à chacune de ses courses automobiles clandestines. A son contact, Lila s’extirpe de son mutisme. Leur passion va pousser Mo à arrêter ses défis sportifs suicidaires. Mais l’adrénaline et l’amour du risque sont des drogues dont il est difficile de se séparer…
En sélection Giornata Degli Autori à Venise, un nom s’est glissé parmi les convives qui nous a mis la puce à l’oreille, celui de Sara Forestier qui y présente M. Mis sur le devant de la scène par A. Kechiche dans l’Esquive, césarisée pour son rôle « loufoque » dans Le nom des gens, actrice plus que confirmée, elle fait ses premiers pas en tant que réalisatrice de long métrage – on lui doit trois courts métrages – huit ans après que l’idée lui ait traversée l’esprit.
Son sujet est multiple et ample. Il ne s’agit pas de l’Amour avec un grand A, comme tant d’intellectuels ont pu chercher à en déterminer l’essence, à force de théories, de préceptes, de concepts, d’analyse, ou de poèmes. il s’agit de l’aMour avec un grand M, cette lettre reconnue partout dans le monde, comme le symbole de MacDonald. La métaphore peut sembler douteuse de prime abord, mais elle trouve en fait son sens dans le sujet parallèle qui sert de canevas à cette fiction qui parle bien plus de Sara Forestier qu’elle ne pourra l’avouer. (Quand je vous parle de vous je vous parle de moi pour prendre le contre-pied d’Hugo)
Le décor est ainsi planté: Deux êtres doublement handicapés vont se rencontrer, rentrer en symbiose. Elle(Lila) bégaye, il ne sait pas lire. La vie familiale est âpre d’un côté comme de l’autre. De son côté à Elle, le père, à qui il revient normalement d’élever la jeune fille et sa petite soeur, déraille. De son côté à Lui, sa mère ne lui a jamais pardonné de ne pas être capable d’apprendre à lire, quand son père est mort des suites d’un accident de moto. Handicapés de la vie, l’un comme l’autre s’enferment dans des mécanismes de défense pour se protéger. Ils souffrent de ne pas être aimés comme les autres, ils souffrent de ne pas s’aimer eux même comme ils aimeraient le pouvoir. Moquée, elle s’enterre dans le silence, fuit les conflits. Lui, ferme les yeux sur son handicap et ne veut surtout pas y être confronté, le sujet est tabou, il use de sa force, de sa colère, pour que ce tabou soit respecté. L’un et l’autre ont honte.
Sara Forestier aurait ainsi pu appeler son film H, comme honte, puisqu’elle l’avoue, inconsciemment, le sujet, ou plus précisément le sentiment qu’elle explore ici le plus en profondeur est la honte …
Oui mais pas que … Car si Sara Forestier a beaucoup pensé son film, elle ne l’a pas fait en termes de plans, de mécanismes, de concepts ou de techniques scénaristiques. Non, elle y a mis son coeur, son instinct, toute sa spontanéité, pour évoquer en filigranne un autre sujet auquelle elle est très sensible, comme quiconque, mais de façon probablement plus douloureuse – et non assumée- chez elle, l’amour.
Le sujet gravite autour de deux êtres que tout peut opposer sur la forme – il est brut, centré sur des passions autodestructrices, en lien avec la performance, peu éveillé à la culture, rigide, sûr de lui; elle est douée en littérature, en poésie, souple, très en retrait, mais sait ce qu’elle veut.
Leur rencontre n’a rien de la romance à l’italienne, ou à la française, le jeu amoureux n’a pas sa place ici, car aucune tromperie n’est possible entre eux, d’un regard un seul, ils se comprennent, sans le savoir, sur ce qui les rejoint, le fond traumatique, le regard au monde.
Leur amour est une évidence, il ne sera jamais remis en cause. Comme nous l’explique parfaitement Sara Forestier, il s’agit d’un amour véritable, mais pas forcément d’un amour viable. Vivre ensemble, être compatible est encore une autre affaire.
Vis à vis de la production cinématographique française courante, M fait souffler un vent de fraîcheur, presque contestataire, sans l’être. Il faut dire que S. Forestier a été à bonne école aux côtés de Kechiche mais aussi de M. Leclerc. Sans jamais y faire référence sous aucune forme, la comparaison peut être filée. Sara Forestier l’actrice instinctive qui a su tant séduire A. Kechiche dans l’Esquive est cette même personne qui se retrouve ici derrière la caméra. Son naturel ne peut que revenir au galop, il ne peut que rejaillir, comme Kechiche avait su le faire transparaître en lui laissant une grande liberté.
S. Forestier ne pensait pas jouer dans son propre film, A. Exarchopoulos avait été retenue parmi 200, et le rôle devait lui revenir. Le projet pris son temps, Adèle n’était plus disponible après qu’elle ait décalé de nombreux projets, Sara se résolut à interpréter elle même le rôle de Lila. Avec du recul, elle ne le regrette aucunement, elle pense même que son premier choix aurait été une erreur, non qu’Adèle Exarchopoulos ne soit pas spontanée, mais l’image charnelle qui lui est désormais associée – ce qu’elle dégage naturellement – n’aurait pas convenu, rendait l’association avec l’acteur principal, l’équilibre, très difficile à réaliser. La jeune réalisatrice, lasse des 600 candidats à laquelle elle avait fait passer un casting, avait porté son choix sur Redouanne Harjane, ce choix avait au final été instinctif, et s’il en est était ainsi derrière la caméra, l’évidence voulait qu’il en soit ainsi devant également. Comme il était évident pour elle, que le rôle du père revienne à Jean-Pierre Léaud, cet acteur né, en qui sans le savoir elle se reconnait probablement un peu.
Voilà la logique de Sara Forestier, celle de l’évidence, du parler vrai, quitte à désorienter, à tenter sans volonté de créer, de provoquer. Son art ne vise pas l’imposture.
Parmi les quelques belles phrases citées lors des différentes conférences de presse ici à Venise, une fait probablement plus echo au cinéma de S. Forestier que toutes les autres: Rien n’est plus provoquant que d’être sincère.
Outre l’instinct, au delà de l’instinct, ou grace à l’instinct, ce qui marque enfin dans M est la justesse psychologique, mais aussi la balance inhabituelle entre les différentes notes de la gamme émotionnelle, parfaitement harmonique.
Le cocktail est déroutant, le récit est maîtrisé, très écrit, respectant un cadre évidemment très calibré, mais pour autant le ressenti est frais, la spontanéité de tous les instants. Les personnages sont forts malgré leurs faiblesses, leur failles si visibles. Ils se démarquent et s’affirment chacun à leur tour sur des positions intouchables, qui les constituent. Le subconscient, comme rarement, ressort au détour de scènes intenses, de disputes ou de colères. L’émotion est vive et pourtant la retenue, la pudeur presque, est de mise d’un côté comme de l’autre. Lui, plus à vif, elle, plus sur la corde.
Pour un premier film, c’en est presque trop … L’essai est très réussi, et le renouveller sera un formidable défi, à ne surtout pas intellectualiser; le diamant n’est jamais aussi beau que lorsqu’il n’est pas poli, lorsqu’il laisse deviner tant de possibles…
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