Dans un immeuble du centre de Marseille, la canicule fait rage. Tandis qu’une voix à la radio prévient du danger qu’entraîne les fortes chaleurs, les habitants sortent sur leurs balcons, tentant de capter la moindre source de fraîcheur. Petit à petit, un travelling habilement effectué (à la manière d’Hitchcock dans Fenêtre sur Cour), dévoile ces “scènes de vie” sur une musique entraînante.
Cette “chaleur à crever” porte bien son nom puisque dès les premières minutes, un meurtre survient sur ces balcons, celui d’un homme tué par sa femme, battue. Cette ouverture percutante pose les bases d’un film où le contraste entre légèreté apparente et noirceur latente est omniprésent. Elle annonce aussi un propos féministe affirmé, exploré à travers les trajectoires des trois amies de l’appartement d’à côté : Nicole (Sandra Codreanu), écrivaine en quête d’inspiration, Ruby (Souheila Yacoub), cam-girl au style excentrique et Elise (Noémie Merlant), actrice venant de déserter un tournage parisien.
Le quotidien de ces trois jeunes femmes va basculer lorsqu’une soirée chez leur voisin mystérieux (Christophe Montenez) les place face à un second meurtre… et à un cadavre sur les bras. Dès lors, le film prend la forme d’un rite initiatique où les femmes reprennent le contrôle de leurs corps et de leurs vies. Tour à tour, chacune des trois amies subira la palette de violences instiguées par le patriarcat à savoir le viol (conjugal ou non), l’avortement, la sexualisation… Cependant, le film n’a pas réellement pour objectif d’exposer ces violences mais plutôt de montrer le processus de reconstruction et de réaffirmation des femmes en quête de leur propre liberté face à un système qui les oppresse.
Le décor à l’esthétique pourtant gai et coloré à la Almodovar, est ici terni par la colère des femmes, qui non seulement se permettent de l’extérioriser mais surtout, répliquent. À l’instar de l’héroïne du film de Julia Ducournau, Titane ou celle de Coralie Fargeat dans Revenge, Nicole, Ruby et Elise font preuve de violence, crient, jurent, désirent et cassent avec l’idéal lisse de la figure féminine. Un parti pris osé mais assumé par la réalisatrice Noémie Merlant, qui n’hésite pas à montrer les corps tels qu’ils sont réellement et les filmer sous tous les angles sans pour autant les sexualiser. En témoigne une scène particulièrement saisissante, où son personnage passe un examen gynécologique.
Et pour tout ça, pas besoin des hommes ! Entre les trois amies, l’alchimie est palpable au point qu’elle semble s’étendre en dehors de l’écran. Prêtes à tout les unes pour les autres – y compris dissimuler un cadavre – les jeunes femmes résument à elles seules le principe même de sororité : s’accepter et s’entraider face au patriarcat. Leur amitié indestructible apparaît donc comme un rayon de soleil à l’écran et apporte énormément d’humour dans un contexte qui ne donne pas tellement envie de rire.
Enfin, pour appuyer son propos, le film jongle habilement entre les genres rape and revenge, gore, thriller, alternant les registres comiques et tragiques. Un mélange savoureux qui aurait pu atteindre l’excellence en omettant l’utilisation du fantastique, peu développé et qui se révèle finalement sans grand intérêt.
Noémie Merlant – avec Céline Sciamma au scénario – signe donc un long-métrage post #Metoo profondément féministe où le rire et l’excès assurent une fonction cathartique permettant d’aborder des problématiques particulièrement difficiles et sensibles, le tout porté par un trio de comédiennes formidables. Si le film, présenté à Cannes en séance de minuit, risque de faire grincer des dents – se faisant déjà traiter par certains spectateurs d’hystérique à tous les étages (sur Senscritique) – la réalisatrice ne semble pas s’en préoccuper et poursuit sa carrière de cinéaste et actrice engagée.
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