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Les Ailes du désir – La carnation

Mis à jour le 29 mai, 2016

Un ange passe. L’avez-vous vu ? Non, seulement senti, sinon sur l’écran de cinéma. Aux anges du cinéma hollywoodien, façon La Vie est belle (It’s a Wonderful Life, Frank Capra, 1946) répond celui des Ailes du désir (Der Himmel über Berlin, Wim Wenders, 1987). Dans les deux cas, un même désir de mouvement, une vision qui se confond avec l’omniscience. Mais là où l’ange de Capra fonctionnait à la manière d’un sympathique deus ex machina, celui de Wenders pousse son périple jusqu’à perdre ses ailes. Les fêtes de fin d’année, bon prétexte pour (re)découvrir l’une des plus audacieuses représentations angéliques de l’histoire du cinéma.

Topographie céleste

Des cieux au sol, des nuages aux terrains vagues, de l’arbre originel aux murs de béton. Périple vers l’intérieur que décrivent Wenders et l’écrivain Peter Handke. Les anges se meuvent au-dessus de Berlin, parcourent les rues, cherchent à déterminer les errances solitaires à travers les multiples possibilités de l’action. Les voix s’enchevêtrent en une chorale de pensées que captent les individus ailés. Gens de passage, gens du moment, gens de l’universel et de l’infini. Que leurs manque-t-il ? Une carnation, un ancrage définitif sur une terre dont ils ne connaissent que l’esprit et non la matière. Voilà ce que désire Damiel (Bruno Ganz) tombé amoureux de la trapéziste Marion (Solveig Dommartin). L’amour, mais pas seulement. Retourner sur ses pas, éprouver les traces qu’un rapide survol ne pouvait que feindre. Complexité et limites de la nature divine qui à la même époque travaillaient l’œuvre de Martin Scorsese avec La Dernière tentation du Christ (The Last Temptation of Christ, 1988). L’ange passe mais voudrait s’arrêter, prendre le temps d’observer, de toucher et comprendre les enveloppes mortelles qui balisent son chemin. S’échapper du noir et blanc idéel pour enfin atteindre les couleurs de la vie réelle (magnifique travail du chef-opérateur Henri Alekan).

Attraction à double sens : celle qui saisit le cœur e(s)t celle qui rattache le corps à la terre. Sous le chapiteau ou sur le plateau, l’artiste ne peut désigner le ciel que par l’intermédiaire d’un outillage : caméra, cordes, barreau de bois, rails de métal.

Un univers d’images

L’ange apparaît par transparence. Son essence se confond avec celle de l’image, son regard avec l’objectif de la caméra. Subjectivité éminemment cinématographique. Il est un passeur, celui qui traverse les frontières, qui relie le champ et le hors-champ, l’est et l’ouest, le in et le off. Vertige et délice de la Chute qui s’illustre à travers une mise en abyme généralisée. Basculement chromatique, film dans le film et jeu dans le jeu (Peter Falk dans son propre rôle, les performances live de Nick Cave) en sont les premiers symptômes. À ceux-ci s’ajoute le rythme soutenu d’un montage sequence ou l’enchevêtrement de régimes d’images. Par le truchement d’archives, ou à travers l’anecdote d’un tournage, le passé réfléchit un présent tendu vers un avenir à (re)construire. Deux ans plus tard, le mur de Berlin s’effondrera, évènement que prévient l’utilisation d’images d’archives. Celles-ci répondent aux prises de vue réelles, convoquent l’intime et l’historique au sein d’un même cadre spatio-temporel. Brouillage des pistes, jouissance de la perte et des rencontres incongrues : Philip Marlow dialogue avec Albert Camus, les années de guerre font écho aux troubles politiques du contemporain. Au creux des images et de leurs échanges, l’identité nationale prend la forme d’un questionnement existentiel.

Ultime interrogation que résout l’étreinte attendue. Damiel et Marion sont des réponses, un début et une fin. En attendant le prochain passage de l’ange.

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