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Les innocentes d’Anne Fontaine: immersion religieuse

Mis à jour le 25 mars, 2016

Pologne, décembre 1945.Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise. D’abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, sont sur le point d’accoucher. Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et les religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger va aiguiser…C’est pourtant ensemble qu’elles retrouveront le chemin de la vie.

Une histoire vraie

Anne Fontaine s’est vue proposée un scénario par ses producteurs, écrit par deux jeunes femmes Sabrina B. Karine et Alice Vial à qui, Philippe Maynial, neveu de Madeleine Pauliac, a confié ce qu’il savait de sa tante via le journal intime que la jeune médecin française de la Croix-Rouge  avait laissé. Anne Fontaine a ensuite apporté sa touche pour arriver au scénario final « [d]es Innocentes »

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Une interrogation sur la foi ?

Anne Fontaine le reconnaît, l’une de ses idées étaient de confronter différentes fois, et de s’attacher également à montrer « la fragilité de la foi ». « La foi n’est pas nécessairement religieuse » nous dit-elle, on la retrouve chez les scientifiques qui croient en la science, chez les laïques même qui peuvent croire en ce qu’ils font, qui ont une vocation. Anne Fontaine pour mieux se documenter a, elle même, effectué deux retraites chez les Bénédictines, de la même congrégation que celle du film. La réalisatrice nous avoue que le sujet de la foi ne lui était à la base pas étranger, ses origines familiales et l’éducation qu’elle a pu recevoir font qu’elle était très touchée naturellement par l’histoire, ce pourquoi elle n’a pas hésité une seule seconde pour se lancer dans la réalisation.

Lou De Laâge lumineuse

Anne Fontaine pensait au départ à Adèle Haenel pour le rôle principal, car l’héroïne devait masquer sa sensibilité face à ce qu’elle voyait, elle devait se comporter un peu comme un homme, tout en ayant ceci-dit une sensibilité forte. Peut être Adèle Haenel aurait été  même « un peu trop virile » nous glisse-t-elle. Lors des castings, Lou De Laâge s’est très vite imposée comme l’actrice idéale pour incarner Madeleine Beaulieu, pour une raison bien différente, sa capacité à capter la lumière, à la restituer, à trahir son intériorité, en somme « être comme un tableau vivant ». Et le pari est pleinement réussi, comme le révèle très justement Anne Fontaine, Lou De Laâge illumine le film, elle porte la Grâce, comme les héroïnes d’ Au delà des collines -très justement récompensées du prix d’interprétation à Cannes-, ou même Anna Karina dans La Religieuse de Rivette le faisaient avant elle. Son jeu est subtil, fin, elle incarne une Madeleine Beaulieu au geste et à la voix de velours, mais à la poigne forte, amenant le récit précisément là où Anne Fontaine voulait l’embarquer, ouvrant la porte à une histoire sentimentale et personnelle tout aussi importante que le fait historique en lui même.

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Vincent Macaigne si Macaigne

Un détail n’échappera à personne, il se nomme Macaigne. Il apporte une note supplémentaire au film, à la fois drôle, tendre, mais dissonante. La dose de légèreté que son rapport aux choses de l’amour, que sa fragilité psychologique assumée, que son estime de soi ambivalente apportent fonctionne à plein; le spectateur y trouve l’occasion d’une détente face au drame qui se joue par ailleurs, face à la gravité de la situation. Son personnage est cependant assez dur, et son passé familial lourd, son histoire personnelle peut apporter un élément de narration complémentaire. Néanmoins, le pendant de cet aspect positif de sa partition et malgré la transformation physique qu’Anne Fontaine a tenu à lui faire opérer – qui lui fait indéniablement gagner en crédibilité dans le rôle de chirurgien-, se traduit par une baisse d’intensité dramatique. Le contraste ainsi proposé nous fait par moment nous écarter du sérieux de l’histoire, du soin apporté à la mise en scène, aux jeux des acteurs, à la photographie, aux petits détails qui font la différence. Des films comme La Religieuse, Des hommes et des dieux, Au delà des collines ne cherchaient à aucun moment à détendre l’atmosphère rigoureuse propre à une vie monastique, à casser, ne fut-ce que par instant, l’austérité. Le regard d’Anne Fontaine est donc ici très singulier, le pari très louable, et quoi qu’il méritât d’être tenté pour être apprécié, nous prive d’un film plus radical, plus entier. Le sujet principal ainsi dérobé partiellement perd en puissance ce qu’il gagne en divertissement, en séduction narrative. L’accessibilité de l’oeuvre s’en trouve indéniablement renforcée, les critiques – dont nous sommes-, quant à eux,  perdent là une occasion de dithyrambes ou de franc rejet.

Une photographie soignée et au rythme des saisons

Anne Fontaine avait pour modèle des tableaux de George de la tour, ou des représentations de la vierge à l’enfant. Avec Caroline Champetier, sa chef-opératrice à qui l’on doit de très nombreux grands films – elle a travaillé avec Godard, Rivette, Doilon, Carax, Jacquot, Garrel, Beauvois, Despleschin, Téchiné, Schroeder, … -, Anne Fontaine a cherché à restituer ce que Thérèse d’Alain Cavalier réussissait en terme de portraits. L’idée première était de ne pas viser le naturalisme comme on pouvait le voir dans Des hommes et des dieux, mais bien de proposer des tableaux vivants, et en ceci on ne peut que rapprocher les Innocentes de Au-delà des collines de Mungiu. La photographie très hivernale dans son ensemble, est effectivement très réussie et remarquable.

Le secret cultivé

Une dimension aura également retenu tout particulièrement notre attention, celle qui consiste à ce que le récit laisse ses zones d’ombre. Si les faits nous sont relatés avec justesse, si les relations entre les acteurs ne laissent paraître aucune incohérence, dans une grande fluidité, il n’en reste pas moins que le personnage de Madeleine Beaulieu reste des plus mystérieuses pour ne pas dire énigmatique. Son passé semble porter un poids fort quant à sa détermination, quant à la construction de ce qui la fait femme, sur le plan professionnel comme sentimental. Son empathie manifeste, ses larmes qui accompagnent les souvenirs douloureux, ou les situations difficiles, laissent deviner une faille que ses convictions, ses engagements cherchent à colmater.

Nous vous conseillons assurément de découvrir Les innocentes et vous invitons à écouter Anne Fontaine en parler elle-même !

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