Mis à jour le 29 juillet, 2023
Mimi a presque trente ans et rêve toujours à ce qu’elle pourrait faire quand elle sera grande. Alors qu’elle se décide à chercher du travail, elle fait la connaissance de Paul, un avocat sur la touche. Ensemble ils vont tenter de défendre Christophe, un petit arnaqueur qui clame son innocence. Si Paul voit dans cette affaire un moyen de se refaire, Mimi y voit, elle, une mission, un chemin vers la justice et la vérité.
Après Qu’est-ce qu’on va faire de Jacques ? et La Fête est finie, Marie Garel-Weiss revient cet été sur nos écrans avec un film assez difficile à classer, Sur la branche. Au détour d’une fiction divertissante, parfaitement assumée, la réalisatrice française cherche, notamment, à revisiter le regard généralement porté par le cinéma sur quelques stéréotypes . Elle s’appuie pour cela sur un casting adapté aux différentes tonalités que le film adopte, Raphael Quenard et Benoit Poelvoorde pour leur singularité comique, mais aussi leurs capacités en une phrase ou gestuelle à convoquer le dramatique, le vécu, Agnès Jaoui dans un registre plus naturaliste et encré, et enfin et surtout, Daphne Patakia, pour l’héroïne principale, virevoltante, pure, enjouée, mais aussi décalée, qui nous rappelle dans son interprétation des personnages de femmes enfants que l’on aurait pu apercevoir chez Besson (Anne Parillaud dans Nikita, à moindre titre Natalie Portman dans Léon), Carax (Juliette Binoche, Mireille Perrier), peut être plus encore chez Blier (Anouk Grinberg). Le titre du film, longtemps annoncé comme provisoire, plutôt énigmatique et poétique, trouve d’ailleurs peut-être son explication dans la métaphore de l’oiseau sautillant, plein d’énergie et prêt à décoller.
L’équilibre entre les quatre personnages ne s’appuie pas nécessairement sur les conventions usuelles en la matière, Mimi (Daphne Patakia) gravite entre deux pôles d’attraction, des personnages masculins qu’elle tend à regarder avec un œil singulièrement différent de ce qui se pratique ordinairement. Par un jeu de hasard, Mimi vient à croiser ces deux hommes brisés, opposés : un jeune, Christophe (Raphael Quenard), qui semble paumé comme elle, sans famille, accusé d’un crime frauduleux, et un quinqua, Paul (Benoit Poelvoorde), avocat dépressif, autodestructeur, depuis sa séparation avec sa femme Claire (Agnès Jaoui). Le couple formé par Claire et Paul, leur relation passée, et l’éventualité que leur histoire puisse redémarrer vaut intrigue secondaire. Mimi se prend de sympathie pour Christophe, comme pour Paul, non sans y voir son intérêt personnel, par identification (la société tend à les rejeter comme elle même est naturellement mise au rebut du fait de sa faiblesse psychiatrique) et par atomes crochus (le métier d’avocat, le goût pour le droit d’un côté, la simplicité d’approche, l’origine bretonne de l’autre).
Marie Garel-Weiss constitue avec Paul et Mimi un duo, sur un principe cher à Francis Veber, qui repose sur l’union des contraires, leur complémentarité et l’entraide qu’ils peuvent s’apporter, bien souvent malgré eux, propices à des effets comiques alternant instants tendres et explosifs. Pour servir la composante comique de son récit, mais aussi apporter une dimension supplémentaire, la réalisatrice française s’appuie sur la confusion des sentiments de Mimi, ses désirs troublés, que l’on peut rencontrer parfois chez des personnes atteintes de troubles schyzo-affectifs, pour qui la frontière entre sympathie et désir sexuel peut s’avérer poreuse.
Même si certains aspects de production viennent contrarier la singularité du projet d’ensemble – une écriture scénaristique à base de climax et d’anti-climax trop éculée et prévisible, des ressorts scénaristiques aperçus dans des série tv à succès (The mentalist, HPI, ..), une musique qui a trop tendance à souligner les actions- , Sur la branche présente des intérêts qui dépasse la seule comédie burlesque, totalement assumée (Marie Garel Weiss cite volontiers Billy Wilder dans ses références).
En premier lieu, Daphne Patakia, interprète avec justesse et énergie le personnage de Mimi, sur qui le film repose. Ses intonations, sa capacité à jouer de sa voix pour attendrir comme affoler, ralentir comme accélérer, sa gestuelle au diapason, l’expressivité de son visage et de son regard, rendent parfaitement réel ce personnage pourtant fictif. Les interprétations de Benoit Poelvoorde, Agnès Jaoui et Raphael Quenard apportent, quant à elles, plus de repères et de certitudes, chacun livrant une partition que l’on aura pu voir ici ou là, ne nécessitant donc pas une exposition longue.
En second lieu, Sur la branche séduit par le regard positif porté sur les personnages. Le film parvient à éviter certains écueils trop fréquents quand il s’agit d’évoquer les personnes fragiles psychologiquement, même quand les intentions s’annoncent ouvertement bienveillantes, qu’elles cherchent à ne pas dramatiser la « folie » à outrance comme le cinéma aime si souvent faire (voir à ce propos comment nous avait fait réagir Sur l’Adamant). Certes, Marie Garel-Weiss a, elle aussi, parfois tendance à se servir des troubles psychologiques de manière appuyée pour nourrir son scénario, justifier des nœuds dramatiques de façon artificielle (et superficielle), certes, elle n’évite pas de faire ressortir ce qui dans le trouble psychologique effraie l’autre (l’irresponsabilité, le délire, l’illusion, la violence, la déconnexion du réel, l’instabilité, l’incontrôlabilité, l’imprévisibilité…), de lier la réapparition des troubles à l’arrêt des pilules, mais elle conserve un regard distant appréciable, en ne jugeant pas son personnage, en tendant à le rendre sympathique, humain, proche de chacun, sans que l’on puisse y voir une mécanique de contraste (utilisée par exemple par Scorcese – Taxi Driver, ou Kubrick – Orange Mécanique, pour n’en citer que deux). Sa démarche nous apparaît alors sincère: elle semble quelque peu admirative ou plus exactement curieuse des différences, sans pour autant s’en résoudre à les magnifier comme a pu le faire si poétiquement à ses débuts Carax. Elle s’évertue, de fait, plutôt qu’à s’aventurer sur le terrain politique glissant – esquisser ce qui pourrait être fait pour améliorer les conditions de vie et proposer des solutions pour réellement intégrer ceux qui sont aujourd’hui mis en marge -, à rendre compte de l’impasse qui est aujourd’hui proposée, à faire ressortir l’étroitesse de cette ligne qui sépare la personne dite normale et considérée saine d’esprit de celle qui bascule et génère l’incompréhension, inquiète.
Enfin, Sur la branche présente quelques belles qualités d’écriture, que ce soit l’aspect globalement déroutant du scénario, le déroulement imprévisible de l’intrigue principale, l’importance accordée aux relations entre les protagonistes ou encore la relative liberté dans les dialogues. Le film dans son ensemble y trouve un équilibre intéressant entre ses différentes ambitions narratives, les différents genres abordés.
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