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Orpheline – Le premier film de Des Pallières au féminin ?

Mis à jour le 21 avril, 2017

Portrait d’une femme à quatre âges de sa vie. Petite fille de la campagne, prise dans une tragique partie de cache-cache. Adolescente ballottée de fugue en fugue, d’homme en homme, puisque tout vaut mieux que le triste foyer familial. Jeune provinciale qui monte à Paris et frôle la catastrophe. Femme accomplie enfin, qui se croyait à l’abri de son passé. Quatre actrices différentes incarnent une seule et même héroïne.

Arnaud Des Pallières le dit haut et fort, son intention première pour Orpheline était de faire un film au féminin, qui laisse la place belle aux femmes, lui, qui comme tant d’autres, et à juste titre,  s’est vu reproché de faire des films trop masculins. Michael Kolhaas son précédent film  eut les honneurs de la sélection officielle du festival de Cannes; l’exposition médiatique qui s’en suivit fut à l’origine d’un nouveau type de critique, autour de la masculinité de son cinéma. Lors même que l’adaptation du roman  d’Heinrich von Kleist, récit d’honneur et de justice, ne se prêtait nullement à accorder une place forte aux femmes,  le réalisateur français a visiblement été sensible à cet argument, et, par orgueil ou défi, a tenu à prouver que son cinéma pouvait tout aussi bien lorgner du côté de personnages féminins forts.

Il s’est donc lancé dans un projet en apparence opposé à ses précédentes réalisations, avec pour point de départ l’histoire personnelle de Christelle Berthevas, co-scénariste avec lui de Michael Kolhaas et d’Orpheline. Orpheline en est fortement inspiré, mais ni vous ni nous ne pourrons détacher le réel de la fiction, le but étant bien de livrer un récit de cinéma, à la dramaturgie étudiée pour provoquer chez le spectateur un parcours sensoriel mystérieux, étrange, comme dans la plupart des œuvres de Des Pallières. Ce dernier aime que son cinéma se rapproche d’une forme nouvelle, qu’il propose un langage propre; en ceci il aime les concepts, les contraintes, le mélange des genres, apprécie les zones d’ombre, les ellipses. Il cite à l’envi La disparition de Perec, on le sent proche d’un Faulkner dans sa conception de la littérature, pardon du cinéma.

Pourtant, ne vous risquez pas à voir en lui un formaliste, nous avons eu cette mauvaise idée. Force est de constater que le qualificatif ne lui sied guère, peut être pour éviter d’être enfermé dans une case, rester libre, peut être aussi pour tuer dans l’œuf une critique sous- jacente, et reconnaissons-le ici, il a vu juste.

Orpheline a donc pour concept premier un personnage féminin à quatre âges, à quatre visages. Pour dire vrai, nous aimerions taire cet aspect, car il constitue selon nous l’un des points forts du film et nous sommes persuadés que le film gagne à être vu sans cette connaissance, pour maintenir un mystère, une incertitude, et pour aller dans le sens de Des Pallières autoriser d’autres interprétations possibles. D’autant que le scénario en lui même est loin d’être aussi explicite, prenant le soin de brouiller les pistes, en choisissant quatre prénoms différents.  Pourtant, le marketing qui entoure le film fait le choix de dévoiler ce secret de polichinelle d’emblée, que ce soit via le synopsis officiel, ou pire encore, au travers de la bande annonce.  Voilà, vous savez, et vous saurez, tant pis pour l’effet.

Parmi les quatre visages retenus, deux vous seront très familiers, ceux des 2 Adèle que presque tout oppose et que le destin cinématographique rapproche, la masculine, complexe, intelligente et affirmée Adèle Haenel, et la vive, très naturelle, docile et explosive tout à la fois, Adèle Exarchopoulos. Un autre visage crève également l’écran, et il peut vous être tout autant familier: celui de Solène Rigot. Rajoutez à ce casting féminin la toute jeune Vega Cuzytek, mais aussi Gemma Arterton, dans un rôle de femme sophistiquée et en rapport direct avec l’une des intrigues auxquelles Orpheline vous confronte.

La part faite aux hommes dans le film est effectivement bien moindre, ce qui n’empêche pas un casting qui en impose: Nicolas Duvauchelle, Sergi Lopez, Jalil Lespert, sont les faire valoir en question.

Le déséquilibre entre le féminin et le masculin doit également reposer sur l’écriture de Christelle Berthevas; pour contrer les éventuels élans ou relents masculin de Des Pallières.

Seulement, entre devoir et être, subsiste une forte nuance. L’intention n’est pas nécessairement le résultat. Les maladresses peuvent par exemple parfois expliciter un échec des concepts. Ici, rien de cela; la plastique est agréable, la photographie intéressante, la narration étudiée et précise, les détails ne sont pas omis, le jeu des actrices, et des acteurs, est bon.

Oui, mais vous aurez sans doute noter ce petit détail que les acteurs masculins retenus sont très souvent utilisés pour leur virilité. Duvauchelle, par exemple, joue de plus en plus souvent et presque caricaturalement, l’homme blessé, à vif, explosif et violent. Orpheline ne fait malheureusement pas exception à la règle. Et ce qui pourrait être un détail n’en est pas un. Car si l’intention de Des Pallières était bien de proposer un récit à la psychologie féminine, il s’est littéralement leurré; sa propension à emprisonner son récit dans un concept fermé, à user du cru, que ce soit le violent ou le sexuel, et surtout à tomber dans le piège des clichés, à placer son récit dans un univers où la séduction est au service des pulsions masculines, où la prostitution règne, nous invite dans un récit de femmes vu par le prisme d’un homme.

Nous ne sommes malheureusement pas si loin d’un film d’Audiard fils. La figure de la femme forte, qui se construit à travers les épreuves que lui inflige la vie, et la prédominance du masculin revient très souvent dans le discours féministe, et cela fait sens, dans une logique de combat, pour que les lignes bougent, il convient effectivement d’user des même armes que celles qui sont utiliser par l’homme pour dominer, la force donc. Mais la force a bien d’autres nuances, bien d’autres formes que le violent et le sexuel, et Orpheline ignore, malheureusement, magistralement ces dernières. En un mot, le défaut premier d’Orpheline est sa froideur, dommage, car à côté de cela, le film a des atouts indéniables.

 

 

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