« Aujourd’hui c’est mon anniversaire et j’aimerais qu’on ne parle que de choses joyeuses. » Andréa ne sait pas encore que l’arrivée « surprise » de sa fille aînée, Claire, disparue depuis 3 ans et bien décidée à reprendre ce qui lui est dû, va bouleverser le programme et déclencher une tempête familiale.
Le dernier film de Cédric Kahn, qui visite un style récurrent du cinéma français mais que lui même n’avait que peu exploré, nous divise. Nous vous proposons donc deux critiques de ce film qui réunit à l’écran Catherine Deneuve, Vincent Macaigne, Cédric Kahn, Emmanuelle Bercot et Isabel Aimé Gonzalez Sola.
Notre critique encourageante
Cédric Kahn fait parti de ses réalisateurs qui, de film en film, cherchent à relever de nouveaux défis, et ne reposent que très peu sur leurs lauriers. Nous avions déjà chroniqué Vie Sauvage.
L’année dernière il présentait La prière à la Berlinale où le film avait reçu un bon accueil de la presse internationale comme nationale. Celui que l’on a très tôt comparé à Maurice Pialat, produit par Sylvie Pialat de longue date, ne s’était jusqu’à présent que très peu penché sur le sujet familial. A la manière d’un Desplechin qui nous proposait son conte de noël, très acidulé, la fête de famille qu’il nous propose n’est pas des plus festives bien au contraire: il montre l’exercice bien obligé qui irait dans le sens d’un titre de Maxime Le Forestier: « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille« .
De fait, l’ambiance de cette fête de famille est très vite établie, la mère/grand-mère – toujours aussi intéressante Catherine Deneuve, dont l’interprétation rappelle les rôles qu’elle tient pour Téchiné, mais aussi, dans une moindre mesure, sa très belle interprétation à venir dans la Vérité de Kore-Eda vu à la Mostra de Venise- a convié ses enfants pour son anniversaire.
Les divisions entre frères et sœurs ne tardent pas à refaire surface, de manière superficielle de prime abord, puis au fur et à mesure que le film développe son thème principal -que l’on ne vous dévoilera pas-, centré sur le personnage d’Emmanuelle Bercot, il propose une lecture psychologique crédible.
La forme suit, basée sur des effets habituels chez Kahn, mais aussi des essais/nouveautés dans la mise en scène qui pimentent le récit. Ainsi, le film propose-t-il, par exemple, un principe de mise en abyme non seulement énigmatique- le film instaure un film dans le film, à la réalisation le très fantasque Vincent Macaigne– mais qui s’autorise aussi de citer quelques uns de ses modèles – Ozu. Kahn propose de nouveau une écriture douce-amère, qui alterne moments brutaux, moments de détentes, intensité dramatique, relâchements comiques ou instants familiaux paraissant joyeux.
La famille se disloque, se déchire de façon très virulente, et, par l’autorité de la mère qui souhaite que la fête ne soit pas gâchée, reprend un cours plus ordinaire, comme si de rien n’était. Les communications entre frères et sœurs semblent difficiles, un secret semble enfoui. Les personnes extérieures à la famille, proposent un regard différent, alarmant, inquiet. Les enfants, eux, semblent très innocents du spectacle qui se joue devant eux, à l’exception de la plus grande d’entre eux, qui réserve une surprise pour sa grand-mère chérie. Emmanuelle Bercot, Cédric Kahn, et Vincent Macaigne campent des personnages très opposés, dans leur façon d’être, dans leurs identités et parcours, mais aussi dans leurs valeurs et convictions. Leurs interprétations sont très intéressantes, Bercot prend des risques et se donne à 100%, Macaigne apporte toute sa fantaisie, Kahn sa force, sa masculinité et une forme de brutalité, d’aveuglement. A la différence de son frère, volontiers lunaire et qui ne se confronte pas au monde réel – un éternel enfant, il se présente tel celui, qui, terre à terre, a seul le sens des responsabilités, la bonne lecture des choses.
Le sujet s’avère plus complexe et subtil qu’il n’y paraît, et le scénario, de surcroît, comporte un twist très inattendu, qui vient renforcer cette impression de travail bien fait, puisque par ailleurs la photographie et la mise en scène sont d’un bon niveau (notamment, il est bien vu que le film ouvre par un travelling avant qui nous fait littéralement entrer dans la maison, tandis que, par effet miroir, il nous en fera ressortir par un travelling arrière). Quelle surprise alors de voir que dans la salle, dans un grand cinéma, en heure pleine, nous n’étions que 6 spectateurs …
Notre critique décourageante
Oui, Cédric Kahn visite un style récurrent du cinéma français ce qui n’a rien de déshonorant. Au mag cinéma nous aimons les cinéastes qui s’aventurent sur des terrains extérieurs à leur « pré carré ». Mais il couple cette visite avec l’adoption de manquements tout aussi récurrents du même cinéma français. Les intentions sont bonnes, mais il est difficile d’user du même qualificatif vis-à-vis du résultat à l’écran.
Fête de famille souffre ainsi de plusieurs maux. Les personnages diversement interprétés ne font pas l’objet d’une analyse psychologie approfondie. Ils ne sont pas non plus animés par une évolution psychologique. Si leur caractérisation n’est pas critiquable, c’est bien leur stature respective qui fait défaut. Chacun, fort de ses convictions, campe droit dans ses bottes et n’évolue pas ou si peu. Si rivalité il y a, elle ne concerne que des égos retors quelque peu surdimensionnés.Ce traitement en surface des différents protagonistes ne permet pas d’insuffler à la narration le volume dramatique attendu. L’écriture et la mise en scène du film échouent aussi à créer une véritable ambiance de famille, fusse-t-elle en crise. A ce titre et malgré son titre, Fête de famille ne peut être qualifié de film de famille. Mais, outre ces défauts d’écriture et d’une mise en scène trop lisse pour instaurer l’atmosphère souhaitée, la faute en revient aussi au casting réuni.
La fratrie composée par Emmanuelle Bercot, Vincent Macaigne et Cédric Kahn est l’épicentre des rivalités et des disputes. L’un est aussi lunaire que l’autre est responsable. L’un est aussi fort mentalement que l’autre semble sujet à des troubles mentaux. Bref, tout oppose ces trois protagonistes pourtant frères ou, « astuce » du scénario, demi-frères : leurs parcours, leurs opinions, leurs attitudes, leur physique. Entre ces trois-là, tout peut être prétexte à désaccord. Sans un minimum de complicité et de communication posée entre eux, il peut être compliqué pour le spectateur de voir autre chose qu’une fratrie « fabriquée » et mal assortie.Il n’y a pas d’effet de groupe dans cette « famille ». Les quelques gestes observés de l’un vers l’autre ne font pas illusion. Ils sont inexorablement voués à l’échec. On devine tôt dans le film que le salut ne pourra venir des autres personnages. Les enfants, les époux et épouses sont quasiment tous contraints à un rôle de figurant, observateurs désabusés des délitements d’une famille qu’on perçoit vite peu unie. La mère de famille interprétée par Catherine Deneuve joue du déni derrière un bouclier que rien ne peut traverser : « Aujourd’hui c’est mon anniversaire et j’aimerais qu’on ne parle que de choses joyeuses ». Le constat est encore plus affligeant pour le beau-père (Alain Artur) circonscrit à un rôle de spectateur très détaché d’affaires qui ne semblent guère l’émouvoir.
Au sein de cette famille, le spectateur n’est pas à la « fête ». Comme un repas de famille, toujours trop long, l’affaire finit par lasser. Le scénario écrit par Cédric Kahn ne ménage pas de crescendo dramatique. La maladresse d’écriture amène mal les pics de violence, verbale et/ou physique, qui surgissent en milieu de scène sans crier gare. L’ensemble finit par désintéresser à force de tourner en rond autour d’un sujet mal défini.Il reste alors au spectateur à trouver quelques affinités avec tel ou tel membre de la famille mise en scène. Face à un film dont on peine à identifier les motivations, l’élu sera probablement Romain interprété par Vincent Macaigne. L’acteur trouve ici un rôle d’adulte irresponsable qu’on lui connaît et qu’il maîtrise. Son personnage filme, « façon Ozu » croit-il, sa famille sans savoir clairement expliquer son projet. Faut-il y voir un effet miroir avec Cédric Kahn, ici réalisateur-scénariste-acteur ? Nous ne nous hasarderons pas à répondre par un non ferme et définitif à cette interrogation. On ne peut que constater que la mise en abyme s’abime ici pour finalement s’échouer sur des prétentions restées floues.
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