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Eva ne dort pas & Salamandra de Pablo Agüero

Mis à jour le 29 janvier, 2017

Le coffret DVD couplant Salamandra (2007) et Eva ne dort pas (2015), respectivement premier et dernier long métrage en date de Pablo Agüero, synthétise parfaitement une filmographie fascinante sur le plan narratif comme artistique. Entre drame historique et récit autobiographique, entre dictature et démocratisation, entre ombres et lumières, Pablo Agüero saisit avec justesse l’histoire tourmentée de son pays, l’Argentine.

Alba est venue récupérer Inti. Il a six ans ; elle, trente. Ils ne se connaissent pas. Lunatique, bavarde, naïve, Alba entraîne Inti en auto-stop jusqu’à une vallée de la Patagonie : El Bolson (Zone non nucléaire), refuge de renégats venus des quatre coins du monde. Chez le défunt Dr Schulz, jour et nuit se confondent en une fête sans fin, parmi de beaux monstres, des collections d’insectes et une foule d’animaux errants. Aux pieds de la cordillère, les enfants des paysans jouent à démolir une école et à attaquer les maisons des nouveaux venus. Dans ces deux mondes impossibles, Alba et Inti essayent de construire une vie de mère et fils. Alba accrochée à sa rêverie, Inti à son kit de survie.

Dans un précédent article, Clairs-obscurs post mortem, nous avions indiqué tout le bien que nous pensons de Eva ne dort pas sorti en salle en avril dernier. Sa sortie en DVD est l’occasion pour nous de réitérer notre conseil d’alors, car ce film de Pablo Agüero est et restera un des très bons films de l’année 2016. Parmi les bonus qui accompagnent le film, nous notons la présence de trois vertigineux plans séquences commentés par le réalisateur. Ces précieux commentaires permettent d’éclairer d’une lumière nouvelle les clairs-obscurs et les choix narratifs et techniques du cinéaste argentin.

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Le deuxième DVD contient Salamandra, le premier long métrage produit en 2007 par Pablo Agüero. Le court métrage Primera nieve, réalisé deux ans plus tôt et prix du jury au festival de Cannes 2006, fait partie des bonus. Son visionnage est intéressant car l’épilogue de Salamandra est une revisite de ce court métrage.

La scène d’ouverture de Salamandra montre Inti (Joaquin Aguila) retenir sa respiration pendant une trentaine de secondes sous l’eau de son bain. Une performance honorable pour ce garçonnet de six ans, mais sera t’elle suffisante en prévision du voyage qui l’attend lui et Alba (Dolores Fonzi), sa mère qu’il ne connaît pas ? Et malgré la bienveillance de « Difunta Correa madre de los desamparados », faut-il voir dans le prénom Inti, calligraphié InϮi, la prémonition d’une fin sacrificatoire en référence au très voisin acronyme inri ?

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Pour Inti, entre apprentissage de la vie, de la lecture et des rapports filiaux se dessine un parcours initiatique qui, comme le boletus satanas, rend plus fort… s’il ne te tue pas. Le réalisateur et scénariste Pablo Agüero occulte totalement le passé de ses protagonistes. S’il n’est pas certain que ce passé soit déjà oublié, le fuir relève de la survie. Une fuite effrénée de plus de 1200 km qui mène délibérément Alba et Inti de San Juan vers le sud, la Patagonie, El Bolsón. El Bolsón, lieu de métissage dont l’horizon bouché par la cordillère des Andes prend les allures d’un obstacle infranchissable et d’une impasse patente.

La communauté de hippies qui, un temps, accueillera nos deux héros déracinés forme un infernal maelström de croyances, de cultes et de cultures. Un environnement précaire, sans intimité et sans confort où, aux détours d’une version « orchestrée » du tango Naranjo en flor, le spectateur croisera John Cale, sans « velvet » mais toujours underground !

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Comme son titre le suggère, Salamandra est un récit rudimentaire et vital, véritable marqueur d’une population. Le propos autobiographique traité avec amertume mais sans compassion et la narration déconstruite rendent l’expérience rude et exigeante. Cette âpreté fait écho à celle de la mise en scène résolument naturaliste. Ce fond et cette forme métaphorisent parfaitement la confusion d’Alba, seule face aux difficultés à élever son fils, et celle d’Inti, livré trop précipitamment au monde des adultes.

Une vie d’errance bricolée, bancale et en apnée puisqu’il faut bien survivre dans cette fragile Argentine post dictature. Car à travers Alba, Inri, Chileno, Ines, Flower, Dick, c’est bien la société argentine post dictature et son difficile retour à la normalité qui sont radiographiés. La description d’une population paumée où chacun vit dans l’espérance de donner enfin corps à cette « image de liberté, de paix, d’affection, de confort », de briser les chaînes et d’enfin accepter les reflets d’un miroir…

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Ce premier long métrage de Pablo Agüero n’est naturellement pas aussi abouti que le somptueux Eva ne dort pas. Mais Salamandra n’en demeure pas moins très prometteur car il est déjà le réceptacle d’une maîtrise confondante des clairs-obscurs et d’un sens singulier de la narration. Des qualités naissantes qui valurent à Pablo Agüero, en 2008, les honneurs d’une sélection amplement méritée à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes.

Salamandra, première pièce d’une œuvre cinématographique qui s’annonce fascinante.

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