D’abord scénariste de Milos Forman avant son exil aux Etats-Unis (L’audition, Les amours d’une blonde, Au feu les pompiers !), Ivan Passer passe derrière la caméra dès 1965 pour réaliser Éclairage intime. Il s’inscrit dès lors parmi les figures de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque. Ce premier long métrage n’excède pas les 70 minutes et vaut à son auteur une reconnaissance immédiate. Dans le sillage de Forman, Passer s’exilera aux États-Unis. Le parallèle entre les deux hommes s’arrête là car Passer développera une filmographie minimaliste peu comparable à celle produite outre-Atlantique par Forman. En cela, Éclairage intime est programmatique. Pour nous spectateurs cinéphiles, l’éclairage est porté sur un nouvel auteur, ici réalisateur et scénariste, dont l’œuvre vierge de sensationnalisme mérite bien le terme « intime » pour épithète.
Petr et Bambas sont d’anciens camarades de conservatoire. Soliste violoncelliste à Prague, Petr vient donner un concert dans la ville où Bambas, directeur d’une école de musique, l’a invité pour compléter l’orchestre local. Il accueille Petr et sa compagne chez lui, où il vit avec femme, enfants et… beaux-parents. Les retrouvailles sont cocasses…
La mise en scène d’Ivan Passer dans Eclairage intime se révèle des plus ludiques pour les spectateurs les plus attentionnés. En effet, le cinéaste s’attache dans la composition de nombre de ses séquences à des détails, points périphériques à l’action filmée, auxquels le spectateur doit prêter attention. Il nait de ce choix de mise en scène un indéniable détachement vis-à-vis du récit avancé. L’auditoire devra donc en quelque sorte… s’accrocher à ce détachement sous peine de ne voir dans Eclairage intime, qu’une narration anodine, à tort.
Certes, le récit demeure très ténu. Ici, le synopsis avancé, une histoire d’amitié plutôt superficielle et convenue, n’est que prétexte. Les relais narratifs se nichent ailleurs. Il y a donc les choix de mise en scène desquels se dégage une forme d’expressivité très singulière. Il y a aussi le montage technique du film. Il se révèle riche de sens à l’exemple de la scène de l’enterrement.
Eclairage intime est une comédie douce-amère dont la douceur provient du détachement narratif décrit plus haut. Pour sa part, l’amertume naît de la confrontation de deux mondes, celui de Petr (Zdenek Bezusek) et celui de Bambas (Karel Blazek). Le premier, citadin, est invité par le second vivant à la campagne. Des trajectoires distinctes pour ces deux anciens camarades de conservatoire qui convergent vers un bilan aux consonances existentielles. La méditation sur la vie proposée à l’écran jouit d’une belle justesse de ton. Le film fonctionne comme un lent va-et-vient, celui d’un balancier alternativement animé par différentes forces de gravité : humour, folklore, frustrations et moments simples de bonheur.
Sur un tempo lent et léger, tel un mélomane, Passer compose des variations sur des instants d’un quotidien baigné d’humanité. Ainsi va la vie au jour le jour. Le style réaliste d’Éclairage intime est aussi servi par une belle économie de moyens, l’absence d’éléments sensationnels et un casting composé exclusivement d’acteurs non professionnels, instrumentistes professionnels dans le civil pour certains.
En 1968, à l’issue du Printemps de Prague, Éclairage intime, qui sera l’unique long métrage tchèque de Passer, est censuré. Ce film assurément lyrique, simple et épuré demeurera invisible durant deux décennies. Cette bulle instantanée de vie et ses véritables instants chaleureux de vérité sont à redécouvrir notamment à travers le DVD collector récemment publié par Malavida. Ils méritent votre plus grande attention.
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