Mis à jour le 24 novembre, 2019
Après 20 ans de mariage, Maria décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari, son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Bien des personnages de sa vie ont une idée sur la question, et ils comptent le lui faire savoir.
En sortie de projection de Chambre 212 de Christophe Honoré à Un Certain Regard, nos oreilles traînantes malgré elles sur la conversation de 2 active women, eurent à droit à ceci: « C’était un vrai couple quand même. Je sais pas ce qu’elle lui trouve. Heureusement encore qu’il y avait Vincent Lacoste, c’était au moins ça. Enfin je dis pas qu’il est beau, mais il est pas mal quand même, y a quelque chose.«
Voilà qui en soit pourrait en faire notre critique, efficace, tranchante quoi qu’assurément énigmatique. Avant d’analyser plus précisément ces quelques non dits, ces interstices si chers à Faulkner, commençons par l’ellipse la plus manifeste dans cette critique: Chiara Mastroianni. Car l’avis très féminin ci-dessus qui s’intéresse à l’étrange charme de Vincent Lacoste sur lequel nous reviendrons, désigne l’actrice principale, celle sans qui notre avis sur le film serait autrement plus négatif tant elle nous a surpris, tant elle imprime la pellicule par un jeu tout en couleurs et vivacité, par ce simple diminutif « Elle« . Ce n’est nullement un hasard et encore moins un scandale si Chiara Mastroianni est repartie, toute émue, de son séjour cannois, avec le prix d’interprétation Un Certain Regard.
Christophe Honoré dirige Chiara Mastroianni pour la sixième fois, et il lui confie une partition difficile, à plus d’un titre; l’histoire se centre sur elle, sur son rapport aux autres, non sans comporter des éléments qui auraient pu la troubler, potentiellement issus de sa vie personnelle, à commencer par la présence à ses côtés de Benjamin Biolay. Autre défi de taille, la forme même du film, le surréalisme si cher à Blier après Bunuel, qui, s’il tend à perdre à dessein le spectateur, peut aussi perdre l’actrice dans les différents méandres du scénario. Démêler le vrai du faux, le réel du rêve, le rêve du fantasme, le fantasme du délire, le délire de la blague peut être jouissif pour le spectateur, mais n’est pas sans risque pour l’interprète, à qui, d’une certaines façons, plusieurs rôles sont proposés en un seul; jongler d’un personnage à l’autre (ou d’un état du personnage à un autre) requiert subtilité, plasticité, agilité, un registre sur lequel nous n’attendions pas nécessairement la fille de Catherine Deneuve, généralement plus grave.
C’était un vrai couple
Revenons donc sur ces quelques mystères par lequel nous démarrions notre critique. Il ne nous semble pas nécessaire de revenir sur la préposition « C’était un vrai couple« , pleine de vérité, vous l’aurez compris, il s’agit d’une manière très accessible d’évoquer ce mécanisme de mise en abyme, si troublant de nature, par lequel le spectateur se voit inviter à un spectacle où les protagonistes jouent potentiellement une partition qui leur ressemble, inspirée de leur propre vie. Dans quelle mesure le couple qui se déchire à l’écran, sous les yeux du spectateur, emprunte-t-il aux sentiments qui lient encore aujourd’hui Chiara Mastroianni et Benjamin Biolay ?
Je comprends pas ce qu’elle lui trouve
Effectivement, si Chiara Mastroianni crève l’écran dans Chambre 212, il n’en est pas exactement de même de Benjamin Biolay, que l’on sent assez souvent raide dans son interprétation, insuffisamment libéré, ses airs de crooner pleurnichard ne rendant probablement pas à l’écran le magnétisme que nombreuses lui prêtent par ailleurs, hormis nos deux invitées cannoises triées sur le volet.
Heureusement encore qu’il y avait Vincent Lacoste, c’était au moins ça
Si Benjamin Biolay propose une partition un peu tristounette pour ne pas dire fade, Christophe Honoré nous surprend en confiant à Vincent Lacoste un rôle pivot, par lequel le surréalisme va s’inviter. Fi du double d’Honoré comme il pouvait l’être dans Plaire, aimer et courrir vite, Vincent Lacoste y endosse de façon assez manifeste un rôle miroir à celui confié à Chiara Mastroianni, une égérie fantasmée, sur laquelle la caméra lubrique d’Honoré aime se poser. Le çà s’invite, suggéré, décortiqué, dans les draps soyeux de cette chambre 212, qui dévoilent de ci de là, les fesses rebondis de Lacoste, amant d’un soir si particulier. Ces draps proposent différents voiles, différents rideaux, d’une pièce de théâtre composés en plusieurs actes.
Il est pas mal quand même, y’a quelque chose …
Une interprétation au premier degré de cette dernière maxime porterait sur la plastique de Vincent Lacoste, mais sa force – son génie, – tient précisément dans sa portée.
D’une part, l’euphémisme est de mise. Le « quand même » tempère l’impression première, somme toute négative. Une interrogation vient alors à nous: quand ces dames semblent parler de Lacoste, n’évoquent-t-elles pas plutôt, par rebond cinglant, Chambre 212 dans son ensemble ?
Car Chambre 212 ne marque guère les esprits, manifestement nous avons affaire à un petit film de chevet de Christophe Honoré, qui, certes emprunte une forme qu’on ne lui connaissait pas à l’écran, un huis clos très théâtral, aux accents de Bertrand Blier période Merci La Vie, mais sans la Maestria de ce dernier, sans ses respirations géographiques. La somme des bonnes petites idées ne forme pas nécessairement un grand film, tout au plus, un moment parfois agréable, parfois bancal.
Honoré a tendance a démultiplier les initiatives, et Chambre 212 fut écrit très rapidement, alors que le réalisateur embrassait d’autres projets, abandonnés entre temps, et qu’il était fort occupé sur des mises en scènes de théâtre. Thierry Frémaux venu présenter le film au spectateur ce soir de première, le précisait, il s’agissait d’un véritable petit miracle que le film ait pu être fabriqué en un temps si court, et ainsi pu être intégré à la sélection Un Certain Regard, un an après la sélection officielle de « Plaire, aimer et courir vite« .
Étrange impression donc qu’il nous reste à l’issue de la projection de ce film aux idées multiples: y’a quelque chose.
Ce quelque chose, qui nous fait vous conseiller de passer la nuit – en décalé – dans cette chambre 212...
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