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#Berlinale, Dovlatov du côté des écrivains russes sous Brejnev

Dovlatov trace six jours dans la vie d’un écrivain brillant, ironique Sergueï Dovlatov. Confronté à la censure et à la main mise de la Russie soviétique des années 70 sur l’art, il n’a pas réussi à être reconnu de son vivant; tout comme un autre poète et écrivain russe, Joseph Brodsky. Tous deux ont vu leurs amis artistes se faire écraser par la machination de l’Etat.

Sergueï  Dovlatov, la russie sous Brejnev

Joseph Brodsky a dit de Dovlatov : « Il est le seul écrivain russe dont les œuvres seront lues jusqu’au bout. » et « Ce qui est décisif, c’est le ton que chaque membre d’une société démocratique peut reconnaître : l’individu qui ne se laisse pas enfermer dans le rôle de la victime, qui n’est pas obsédé par ce qui le rend différent. ». Alexei German Jr. a voulu raconter l’histoire de cet artiste qui commence tout juste à être reconnu à sa juste valeur, alors qu’il fut un grand oublié de son vivant, l’occasion également pour lui de parler de la spécificité d’une ville qui se nommait encore Leningrad , de parler de la Russie des années 70 sous Brejnev. Bien évidemment, ce sujet comprend des analogies avec la situation en Allemagne à la même époque, sujet qui reste donc forcément sensible ici à Berlin.

Un film russe non censuré sur une époque révolu

On a senti lors de la conférence de presse Alexei German Jr. assez tendu quand il s’agissait d’évoquer une éventuelle critique qu’il se serait permis vis à vis de l’époque actuelle. Les allusions politiques ne lui plaisent pas non plus, profondément convaincu que l’occident ne comprend pas la russie, et que la russie ne comprend pas l’occident. Selon lui, un fossé se creuse, la faute à des clichés répandus, qui  ne permettent pas d’exprimer la complexité de la situation, de traduire les différentes nuances, les courants de sensibilité, au profit d’une approche binaire. Il se défend que le film Dovlatov puisse être considéré comme un message politique à proprement parler sur l’époque actuel: « L’époque n’est plus la même, le film n’existerait pas sinon. » quoi qu’il reconnait qu’ « Aujourd’hui, il y a des pressions des producteurs, et il est triste que des artistes se voient proposer de faire des films de zombie, plus triste encore qu’ils acceptent simplement pour gagner de l’argent. »
Dovlatov existe bel et bien et a été soutenu par les autorités du cinéma russe, quoi que quelques producteurs aient tenté d’influer pour que l’histoire soit différente. Alexei German Jr pose surtout Dovlatov en garde fou contre une menace qu’il perçoit à l’avenir, qui selon lui pourrait mener à la guerre, si les positions occidentales et russes s’arc-boutent sur des poncifs, si on laisse la porte ouverte à des courants de pensées extrêmistes – il cite des mouvements populistes de droite et d’extrême droite en russie- qui visent à contrôler l’art, à faire en sorte que ne soient montrer que des choses « belles » sans traiter des questions qui se posent dans la société.

Des résonances personnelles

A. Gorman Jr est admiratif du courage qu’ont eu de leur vivant Brodsky et Dovlatov. Il s’interroge sur la capacité que lui aurait pu avoir en pareilles circonstances, et dit ainsi que le film ne peut pas parler de lui, de son rapport à l’art. S’il faut y voir une dimension personnelle, elle est à rechercher dans l’histoire de sa famille, du côté de son père notamment, cinéaste à qui on a interdit de tourner des films qu’il avait en projet.

Une reconstitution de Léningrad soignée

La fresque historique qu’il nous est donné de voir s’est évertué, avec une certaine réussite, à retranscrire la géométrie, les couleurs, l’ambiance si particulière que pouvait avoir Leningrad à cette époque. Le soin ainsi accordé est ainsi vecteur d’une impression d’immersion, de plongée immersive.

Staticité et contraste

La caméra virevolte, s’invite au milieu d’un microcosme d’intellectuels précaires qui se réunissent dans des ambiances enfumées, alcoolisées.  Elle permet au spectateur de s’inviter lui même dans ses soirées où les jeux de mots sont de mises, où les artistes s’inventent en permanence une vie qu’ils n’ont pas, se jouent des codes existants avec une ironie permanente, dans des gestes proches de la désinvolture. Cet aspect des choses est l’une des plus belles réussites du film, Alexei German Jr parvient ainsi lui même à élever les débats, à questionner la situation, à livrer une réflexion d’ordre philosophique par l’entremise de quelques effets miroir.
Ses choix narratifs et de mise en scène permettent ainsi de proposer un contraste fort entre d’un côté la staticité de la situation d’un homme qui se voudrait écrivain, mais qui ne caresse finalement que très peu d’histoire de pouvoir y parvenir, à ne presque plus croire en son talent et en lui même, opprimé et rabaissé, et d’autre part la force de caractère qu’il était nécessaire d’avoir ne serait-ce que pour exister dans un monde où le conformisme est imposé.

Des dialogues très verbeux

Ceci étant dit, Alexei German Jr est beaucoup moins heureux avec un autre parti-pris. Il a fait le choix, pour traduire la sensibilité et le niveau de culture de son héros, de proposer des dialogues très riches, bien trop riches. Le name dropping est de mise, international. Vous aurez ainsi le droit à Montesqieu, Hemingway, Nabokov, Kandinski, pour ne citer qu’eux. Etrangement ou non, l’effet produit n’est pas celui escompté. L’nterprétation par ailleurs intéressante de Milan Maric qui s’évertue à rendre Dovlatov un homme affecté mais pas encore abattu, égoiste quant à son art, mais humain, s’en trouve alourdie, on peine à croire que ce Dovlatov là ait pu être un génie littéraire, le doute peut s’installer en nous.

Une ambiance jazzy

Alexei German Junior teinte également son film d’une atmosphère jazzy assez étonnante, étrangement occidental veut-on dire. On songe ainsi par instant à Cafe Society de Woody Allen. Ce choix apporte une certaine fluidité à la narration, produit un effet doux-amer, mais fait probablement perdre au récit une force qu’il aurait pu avoir si l’accent avait été plus mis sur la précarité, sur la difficulté matérielle réelle, comme de nombreuses biopics d’écrivains aiment à faire (pour mieux rebondir le plus souvent, renforçant leur côté héroïque). Dovlatov était un héros, mais un héros d’un autre genre, comme la littérature russe a souvent proposé.

L’intégrité d’un homme, d’un artiste

Dovlatov peut nous rappeler par sa relative inertie un « Oblomov « en devenir, mais Alexei German Jr réussit parfaitement à nous dépeindre avec précision un trait constant de sa personnalité, qui fait de Dovlatov un héros comme on n’en fait presque plus. Cette qualité remarquable qu’il possède en lui est une intégrité à toute épreuve, de la résistance aux différentes sirènes, mais aussi aux conventions et aux règles. Il ne se rêve pas écrivain, il se sait écrivain. S’il accepte d’écrire pour subsister, il le fait dans des journaux miteux ou pense-t-il il gardera une liberté de ton plutôt que dans des revues un peu plus reconnues. Vient-on à lui supprimer, il part, ou se fait virer, sans vergogne. Mieux vaut son art que l’argent. Il conspue les arrivistes, ceux qui se jouent du système. Il n’est ni contestataire ni rebelle, il est simplement hors système, il est lui. Il existe quand tout autour de lui tend à ce qu’il renonce à son existence. Son destin ne sera pas heureux de son vivant, mais s’il faut chercher une cause à son talent, elle est évidemment à creuser dans ce trait de caractère, voilà en substance le message principal, et le principal intérêt de Dovlatov.

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