Mária, nouvelle responsable du contrôle de qualité et Endre, directeur financier de la même entreprise, vivent chaque nuit un rêve partagé, sous la forme d’un cerf et d’une biche qui lient connaissance dans un paysage enneigé. Lorsqu’ils découvrent ce fait extraordinaire, ils tentent de trouver dans la vie réelle le même amour que celui qui les unit la nuit sous une autre apparence…
Corps et âme est un film de Ildiko Enyedi, une réalisatrice hongroise qui s’était fait connaître internationalement en 1989 en gagnant la caméra d’or à Cannes avec Mon 20ème siècle alors qu’il était présenté en Sélection Un Certain Regard et qui depuis a poursuivi une carrière de réalisatrice en Hongrie. Cette année 2017 fut l’occasion pour elle de revenir sur la scène internationale avec Corps et âme qui obtint la plus haute distinction de la berlinale, l’ours d’or, ce qui a éveillé notre curiosité.
Le titre Corps et âme laisse entendre un film gracieux, un film érotisant ou au contraire un film poignant. Difficile en effet de cerner l’intention derrière cette expression un peu fourre-tout, qui en général témoigne avant tout d’une intensité, d’un engagement.
Les premières images campent le décor, l’ambiance. Nous sommes dans une contrée reculée, froide, en hiver, l’imaginaire tient une place importante, la nature également. Le songe ainsi présenté servira d’articulation principale au récit, le moteur même d’une rencontre entre deux êtres apparemment renfrognés, voire aigris, qui semblent marqués par les blessures de la vie, ne respirant pas la bonne humeur, la légèreté. Les quelques images qui suivent finissent d’instaurer le cadre à la romance toute particulière qui sera ensuite développé: celui d’une usine où les animaux sont abattus, la viande découpée sur place, un cadre industriel donc, peu reluisant. Nos deux personnages principaux évoluent à des postes à haute responsabilité dans cette industrie, l’un est directeur de longue date, avec une certaine distance prise quant à l’activité, l’autre est une étrangère, une nouvelle qui marque d’emblée par une intransigeance manifeste, une droiture et une rigidité glaçante.
Tout respire la mort, bien au delà des images sanguinolentes liées à l’activité principale de l’usine, et sur lesquelles la réalisatrice s’attarde, met l’accent. On songe à la fascination de la couleur rouge du sang sur la neige telle que Giono la décrivait dans Un roi sans divertissement. Le décor semble en effet parfait pour développer une histoire morbide, pour développer une folie naissante, qui s’emparerait de la population locale, et la piste est en effet longtemps explorée, a minima sous entendu. Pour autant, une autre voie s’entrouvre sur un amour improbable, possible entre deux êtres qui communiquent peu mais pourraient se comprendre, se rejoindre. Elle s’entrouvre sans pour autant s’imposer, rayonner. Bien au contraire, il ne s’agit que d’une possibilité, au milieu d’autres possibles, une éventualité somme toute farfelue.
Corps et âme s’avère ainsi âpre, rude, froid jusque dans cet amour théorique qui peine à se matérialiser. Son originalité réside ici qu’il présente finalement un rayon d’optimisme dans une vision d’ensemble très négative, et par effet de contraste peut permettre de faire ressortir un pan caché de l’humanité. Derrière des apparences, derrière des blessures, derrière des positions hermétiques, peu amènes, peuvent pour autant naître un espoir, une joie toute dissimulée, des aspirations à une lumière retrouvée. Quelque part il s’agit d’amour. Mais un amour réaliste, non un amour sublimé, encore moins un amour magnifié. Chacun sera alors libre d’interpréter cette lueur comme un simple signe d’optimisme, comme une marque d’affection, longtemps dissimulée, de la réalisatrice pour ses personnages, ou au contraire comme une marque d’un message plus universel, d’autant plus que comme pour tout départ de flamme, il subsiste toujours le risque qu’un vent contraire vienne dés aussitôt l’éteindre.
Piste ou fausse piste, voilà somme toute la question permanente que soulève jusqu’à sa scène finale Corps et âme qui a le mérite de ne pas suivre des chemins éprouvés, de suivre sa propre ligne, pour mieux nous interroger, comme peuvent le faire par exemple, dans un registre encore plus littéraire, les films de Yorgos Lanthimos.
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