Mis à jour le 2 novembre, 2019
Parmi les rencontres qui jalonnaient la 11ème édition du festival Lumière figurait celle organisée autour Ken Loach. A ses côtés avait pris place Clémentine Autain face au public du théâtre de la Comédie Odéon alors que Thierry Frémaux menait les débats traduits par Didier Allouch. Cette conversation souhaitée plus politique que cinématographique par le cinéaste anglais sera finalement politico-cinématographique car « on ne peut pas ne pas parler de cinéma à Lyon ».
D’entrée, Ken Loach se montre incisif. Aujourd’hui, le monde va mal. Il est devenu très dangereux. Les gens ont peur de perdre leur travail, leur sécurité alors que l’économie s’écroule au profit des extrémistes de droite. Il faut comprendre ce qui se passe pour éviter les fausses solutions. Il faut, ensemble, combattre et résister car « We are many, they are few ».
Il y a donc nécessité de parler de la situation sociale dans laquelle nous sommes d’autant qu’elle tisse inévitablement un lien intime avec notre vie privée. Le cinéma peut être un vecteur de communication. Mais un film de simple propagande, car non respectueux de la complexité de la vie, ne peut être un bon film.
Clémentine Autain renchérit en prenant Sorry we missed you [ndlr : cette conversation du 17 octobre précède de quelques jours la sortie dans les salles françaises du dernier opus en date du cinéaste] pour support. Un film bouleversant, une sorte de suite de Moi, Daniel Blake (2016, Ken Loach) qui exposait la relation aux patrons. Sorry we missed you prend pour argument l’ubérisation du monde du travail. Le rêve d’indépendance professionnelle devient cauchemar pour toute la famille Turner. L’engrenage dramatique et la perte de recul qui l’accompagne aboutissent à une situation intolérable et insupportable. Ici, l’émotion déclenche la colère.
A la question relative à la genèse du film, Loach avance un chiffre : 60 % des emplois créés ces dernières années concernent des postes précaires. Il n’y a plus de garantie, plus de CDI. En conséquence, on constate aujourd’hui de plus en plus de travailleurs pauvres recourant aux food banks dont l’activité a augmenté de 18 % en un an ! Ce mouvement couplé à la destruction des syndicats a été initialisé par Margaret Thatcher et n’a cessé depuis. Tony Blair, véritable création du thatchérisme, l’a entretenu en plus d’être un criminel de guerre car il a mené son pays dans une guerre [ndlr : en 2003 contre l’Irak] illégale qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
Pour sa part, Autain constate que l’atomisation du monde des travailleurs a détruit l’unité de lieu et augmenté la concurrence entre les employés au détriment de la solidarité. Si l’autoritarisme et l’ultralibéralisme sont plus poussés en Angleterre qu’en France, notre pays n’en reste pas moins pointé du doigt par l’ONU sur plusieurs dossiers. Et, bien que chez nos voisins d’outre-manche la gauche est en cours de recomposition [ndlr : autour de Jeremy Corbyn], l’espoir d’une société meilleure fait cruellement défaut particulièrement en France. Dans notre pays gangrené par les idées de l’extrême droite, le besoin de fédération de la gauche est urgent.
Pour le cinéaste anglais une guerre est menée contre la classe ouvrière et la sécurité de l’emploi. C’est la classe dirigeante qui décide seule d’ouvrir ou de fermer le robinet de l’emploi. Le gouvernement anglais punit la population pauvre dont les membres sont contraints d’accepter n’importe quel travail. C’est une politique d’encouragement des mauvais employeurs et les extrémistes rejettent la responsabilité de ce fait sur les immigrants. Nous devons réorganiser nos besoins en faveur d’une production locale et viser une ambition fondamentale : la propriété commune. Les secteurs de la poste, de l’énergie, de l’eau, du gaz doivent revenir dans le giron public et être administrés par des dirigeants locaux. Il faut aussi réinvestir massivement dans l’énergie verte. Pour la représentante d’Ensemble ! la réponse aux interrogations de ce qui doit être produit et de qui en décide est multiple et complexe. Le consumérisme abîme notre planète mais aussi nos vies.
Loach considère le Brexit comme une distraction masquant les vrais problèmes déjà présents au Royaume-Uni membre de l’Europe, et qui le resteront quand son pays aura validé sa sortie d’une communauté européenne construite sur les notions de marché libre et de capitalisme. Le Brexit, soutenu par une partie de la gauche anglaise, ne véhicule aucune espérance. Les médias britanniques ne jouent pas leur rôle. La BBC est contrôlée par le gouvernement et la presse est détenue par des conglomérats internationaux. Les débats publics sont contrôlés et les médias ne fournissent pas les informations qui permettraient d’étendre le combat et l’entraide.
Autain ramène le débat sur la France en indiquant que notre « non » au référendum constitutionnel européen de 2005 était progressiste et non extrémiste. Le Brexit est lui teinté de nationalisme. La supranationalité est nécessaire mais elle doit être une force de paix, de progrès et de collaboration. Il faut aller vers une coalition large des partis de gauche en Europe.
A la question relative au vecteur social que pourrait constituer le football, l’auteur de Looking for Eric (2009) estime qu’une équipe de football peut constituer avec ses suporters une communauté et représenter des espoirs et une identité. Le club est alors à la fois le centre d’une communauté et un facteur unifiant. Les supporters doivent être les propriétaires des clubs comme il l’est lui-même pour le club de Bath City. Ainsi, nous aurions autant de clubs que de métaphores de la société socialiste. Et de poursuivre la métaphore : un footballeur prend match après match, à mon âge, mon leitmotiv est « film après film ».
Pour l’avenir, Loach considère que chaque génération doit faire ses propres films bien que désormais les grands studios décident à la place des cinéastes des films à produire et à faire voir et que le financement des films reste très compliqué quel que soit le talent de l’auteur. Thierry Frémaux précise qu’en France c’est la télévision qui dispose de ce pouvoir de décision avant d’évoquer le cinéma politique des années 1970, source de films-tracts tel que F.T.A. (pour « Fuck The Army ») en 1972 de Francine Parker avec Jane Fonda et Donald Sutherland.
Le cinéaste anglais date son éveil politique aux années 1960. Depuis, les vérités de l’époque sont devenues de plus en plus claires : il y a deux classes sociales, l’une exploite l’autre et les inégalités ne cessent de croître entre ces deux classes. Plus que jamais, Loach fait sien ce slogan syndical américain des années 1950 : « Agitate ! Educate ! Organize ! ».
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