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On aurait aimé ne pas aimer Monsieur et Madame Adelman mais…

Mis à jour le 11 février, 2018

 

Bon, tout d’abord le pitch :

Comment Sarah et Victor ont-ils fait pour se supporter pendant plus de 45 ans ? Qui était vraiment cette femme énigmatique vivant dans l’ombre de son mari ?
Amour et ambition, trahisons et secrets nourrissent cette odyssée d’un couple hors du commun, traversant avec nous petite et grande histoire du dernier siècle.

Nous n’aurions pas du rencontrer Nicolas Bedos et Doria Tillier.

On voudrait bien vous dire du mal du film mais… on vous le conseille – moins vivement qu’on vous conseille Moonlight, ou de vous procurer à tout prix le dvd du film Sur la planche Leïla Kilani  -notre découverte choc de Travelling Tanger millésime 2017. Mais tout de même !

Ce film est autrement meilleur qu’Alibi.com -qui est numéro un du box office en ce moment. Il est aussi bon que la première partie de Rock N’Roll.

Nous avons du mal à classer l’objet. Ce n’est pas du Cinéma. Ni un OFNI. Guère plus un téléfilm.

Ça embête presque, en tant que cinéphile, d’en dire du bien parce que Nicolas Bedos dit placer comme « Arts Majeurs » la Littérature  et la Musique. Il ajoute aussi que le Cinéma n’a rien inventé, qu’il y a des travellings dans tel roman (!). De même qu’il ne sait pas de quoi il parle quand il dit que le cinéma européen est très écrit, et déficitaire en mouvements (de caméra, de mise en scène). Qu’il regarde les films de Max Ophüls, de Zulawski qui feraient passer Tarantino et Fincher (les références de Bedos) pour des films plan-plan (pour parler de plan). Même Lelouch a inspiré De Palma qui a inspiré X qui a inspiré Bedos dans son mouvement circulaire de la caméra filmant un couple qui s’embrasse. Dans ce dernier exemple Bedos a été inspiré par Un homme et une femme (film très écrit et sans mouvement donc) croyant sans doute que ce mouvement de caméra a été inventé par un cinéaste américain des années 90.

Les références filmiques de Bedos, pour Monsieur et Madame Adelman, sont les suivantes : Fincher, Wes Anderson… et ses références françaises s’arrêtent à… Audiard fils (outch ! ). Il ne sait ni  qui a filmé Neruda, qu’il considère comme très bon, alors qu’en 2016, il y a eu beaucoup de Neruda, pour ne pas dire beaucoup des films largement supérieurs au film de Pablo Larrain.

Bref il est bien dommage que Bedos soit si péremptoire, naïf voire inculte  concernant le 7ème Art (auquel il entend participer). Un peu comme si un nouveau romancier disait préférer faire du Cinéma (le premier Art à ses yeux), se targuerait de donner pour référence ultime Anna Gavalda, et parlerait de Duras et Proust avec dédain sans les avoir lus -ou  compris.

Idem, Doria Tillier dit aimer « les films populaires », « où l’on rit, l’on pleure », aurait préféré, à 20 ans, faire plutôt Miss Météo qu’actrice et semble ignorer que l’on rit et pleure tout autant par le biais de films dits « indé » ou « intellos ». Prenons Moonlight ou Divines, sélectionnés respectivement aux Oscars et à La Quinzaine des réalisateurs.

Parlons de Monsieur et Madame Adelman en essayant d’oublier tout ces discours qui le desservent.

Ce film a la qualité d’être féministe par nature, et non par flagornerie, et l’histoire l’illustre bien du début à la fin. C’est la conviction profonde de Bedos. Ainsi le personnage féminin, Sarah, est plus intelligent, plus fort, plus beau que le personnage masculin, Victor, au point que bien avant le twist (car oui il y a un twist) on se demande ce qu’elle lui trouve. Victor écrit mal, se fiche éperdument d’elle, et est issu d’une bourgeoisie de droite tout en vivant dans un studio minable -la bohème, l’écriture, tout ça. Dans la première partie du film, cette fille présentée comme cultivée, intelligente, parée de presque toute les qualités, s’échine à capter l’attention d’un…  homme sans qualité.

Monsieur et Madame Adelman a aussi la qualité de s’attaquer à un tabou français, l’enfant, la procréation. Comme le disait Elisabeth Badinter, il existe de facto une forte propagande nataliste en France. Le tabou ultime est de s’y attaquer -on a reproché à Bardot davantage de n’avoir pas aimé son enfant et de ne s’en être pas occupé qu’on ne lui a reproché ses propos fortement racistes, homophobes, haineux par exemple. Ainsi Monsieur et Madame Adelman ont un fils très « con »,  ou « pas con mais profondément méchant » (dixit Zabou Breitman en cameo) qui ne possède aucune des qualités souhaités et imaginés par ses parents. Ne plus le voir est un soulagement et non un manque. Tillier et Bedos voulaient parler de ces enfants qu’on n’aime pas (une réalité elle aussi tabou) mais aussi jouer sur l’aspect comique d’un couple fou amoureux, intellos, pas horribles, qui fantasment sur un enfant qui auraient toutes les qualités et tombent sur… vous le verrez à l’écran. Dommage que le personnage de ce fils ne soit pas plus travaillé afin d’être plus crédible mais c’est déjà soulageant de voir ce genre de chose sur un écran français, un trait d’humour sans limite à la Monty Python.

Bedos ne fait guère plus de révérence lorsqu’il montre une mère se suicider parce que son fils en fait un portrait (dé)masqué au vitriol dans un de ses romans -façon de dire que oui l’écriture peut tuer comme l’a notamment souhaité Chloé Delaume. Cependant, pour revenir à la mort de la mère dans le film on ne peut s’en émouvoir, et l’on pense que c’est voulu, tant c’est montré de manière comique; On n’en rit pas vraiment, parce que l’on sait la situation possible et que le reste du film se veut parfois sérieux.

Le film joue sur plusieurs tableaux, changeant tout le temps de registre, d’ambiance et les protagonistes de personnalités et de coiffures. A l’image de style d’écriture de N.Bedos, qui est sa marque stylistique au niveau littéraire : langage sophistiqué très soutenu d’où jaillissent des « grosses putes » (ou des phrases approchantes).

Le couple (dans la vie réelle) a confié s’amuser à faire des sketchs à partir de postulats donnés. Cela se voit, c’est l’une des grandes qualités et la principale limite du film. Quand, par exemple, la femme devient soudain un avatar d’Anémone Giscard  d’Estaing, on peine à y croire, c’est un autre personnage, un autre sketch. Pareillement quand Victor parvient à reconquérir Sarah à un âge donné, dans une situation irréversible -comme est sensé l’être leur amour. Mais la plupart du temps, la continuité opère dans ce portrait comico-tragique rythmé et plein de rebondissement. Bravo aux deux monteuses, au passage.

Fans de Fincher et du mainstream américain, les auteurs donnent au film un twist qu’à la fois on devinait et qui nous paraît un peu trop poussif -non dans son sens, mais dans la façon de le faire. Reste que sur ces 2 heures on ne s’est jamais ennuyé. Comme dans toute première oeuvre, ils ont voulu tout mettre.  Aussi le film n’est nullement indigent dans son contenu, au contraire. Pour ceux qui lisent encore de (vrais) livres, c’est un plaisir d’entendre toutes ces références littéraires qui vont bien au-delà du name dropping, ce n’est pas si courant.

Ni cinéphages ni cinéphiles, Bedos et Tillier ont réussi à donner un film unique, de la même manière que Maïwenn, sans avoir rien vu a pu donner les films qu’on connait. Si les discours autour du film nous ont un peu déçus, l’oeuvre en elle-même est tout à fait valable.

 

 

 

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