Mis à jour le 24 novembre, 2019
Partie en Mongolie chez des éleveurs de rennes pour enregistrer des chants traditionnels, Corine pensait pouvoir surmonter la mort de Paul, son grand amour. Mais sa rencontre avec la chamane Oyun bouleverse son voyage, elle lui annonce qu’elle a reçu un don rare et doit être formée aux traditions chamaniques. De retour en France, elle ne peut refuser ce qui s’impose désormais à elle : elle doit repartir pour commencer son initiation… et découvrir un monde plus grand.
Nous avions coché Un monde plus grand de Fabienne Berthaud, qui réunit Cécile De France et Ludivine Sagnier à l’écran, parmi les films qu’il nous tardait de découvrir à Venise. Comme nous le pressentions, pour son thème, le chamanisme, mais aussi parce que nous gardions en mémoire le très rieur et bien senti Pieds nus sur les limaces, le film nous a particulièrement remué !
Il faut le dire, le sujet central, le chamanisme, ne constitue pas un thème très courant, loin de là … Le traiter relève de la gageure sur le fond comme sur la forme… D’une part, la connotation ésotérique de la discipline pratiquée dans diverses régions du monde (en Mongolie,au Népal, au Tibet, au Japon, mais aussi en forêt de Brocédiande :-)) heurte les sensibilités occidentales, qui peinent à y voir une réalité possible … Pour beaucoup, le chamanisme s’assimile tout simplement à du charlatanisme, au delà de l’apparente homologie entre les deux mots. Cette pensée simpliste, unique et rigide fut l’un des combats de Corine Sombrun lorsqu’elle décida, elle qui était scientifique de formation, de faire part de sa propre expérience chamanique, qui suivit un moment charnière de sa vie, et qui deviendra ensuite son combat.
D’autre part, traduire en images, la force d’une expérience transcendantale, la beauté d’un pays aussi sauvage que la Mongolie, proposer une fiction qui épouse les contraintes propres au cinéma de fiction, pour divertir, intriguer, trouver le juste rythme, aurait arrêté plus d’un réalisateur émérite tant les écueils sont nombreux.
Précisément, Fabienne Berthaud ne s’en est pas formalisé, et, au contraire, a su y voir une résonance avec son propre cinéma, son propre univers. Un monde plus grand adapte en effet le livre Mon initiation chez les Chamanes de Corine Sombrun, publié aux Éditions Albin Michel. Le livre a été suggéré à Fabienne Berthaud par une amie qui lui confiait qu’il y avait là un scénario pour elle. Après l’avoir lu de son côté, l’évidence était partagée par Fabienne Berthaud qui prit contact avec Corine Sombrun, et lui demanda même d’être consultante sur le scénario, notamment pour les scènes de trans.
Le titre retenu – Un monde plus grand – en dit long sur l’intention artistique : il s’agit de montrer une perception du monde étendue, plus large, qui mette en lumière une part invisible; élargir le conscient en accédant à l’inconscient.
La forme se révèle bien venue et plutôt aboutie, Cécile de France et Ludivine Sagnier forment un duo très convainquant, qui rappelle évidemment celui que Ludivine Sagnier formait avec Diane Kruger dans Pieds nus sur les limaces. On retrouve les thèmes de la frontière entre raison/folie, rationalité/irrationalité, l’interrogation permanente sur ces sujets, qui donne lieu, par effet de contrastes, à quelques raccourcis savoureux, ironiques. Fabienne Berthaud ose également sur le plan visuel , accordant une grande place à la nature, en premier lieu, mais aussi, en puisant dans son propre imaginaire, sans s’appuyer sur les dires de Corine Sombrun, pour retranscrire à l’écran ce qui peut passer dans la tête d’une personne en trans. Le photo-reportage, l’insertion du réel dans la fiction [les acteurs mongols ont joué leur propre rôle, tout comme l’interprète dans le film] , et la très belle photographie des plaines mongols et des intérieurs de yourtes, contribue à traduire cette impression d’infinie.
De son propre aveu, Cécile de France n’est plus la même personne après ce rôle. Le travail qu’elle a du faire sur elle même -qui se remarque particulièrement à l’écran-, nécessaire à la préparation de son personnage, ne l’a pas laissée indemne, sans questions complémentaires, loin s’en faut, comme elle le dira au public le soir de première.
Nous le disions, traiter du chamanisme relevait du double défi, sur le plan formel mais aussi et surtout de la fiction. Sur ce second point, Fabienne Berthaud, là aussi, par quelques artifices bien sentis, comme celui de confier un rôle parfaitement inverse à Ludivine Sagnier de celui qu’elle tenait dans Pieds nus sur les limaces, mais aussi et surtout en ne cherchant pas à asséner une vérité mais au contraire à l’interroger, à en montrer les failles, les limites, à faire ressortir les zones de troubles tout en nuances et modestie, s’en sort admirablement. Elle parvient à faire ce que Corine Sombrun ne peut dans ses écrits: prendre de la distance par rapport au sujet, pour mieux y plonger par instants.
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