À la fin des années 50 à Châteauroux, Rachel, modeste employée de bureau, rencontre Philippe, brillant jeune homme issu d’une famille bourgeoise. De cette liaison passionnelle mais brève naîtra une petite fille, Chantal. Philippe refuse de se marier en dehors de sa classe sociale. Rachel devra élever sa fille seule. Peu importe, pour elle Chantal est son grand bonheur, c’est pourquoi elle se bat pour qu’à défaut de l’élever, Philippe lui donne son nom. Une bataille de plus de dix ans qui finira par briser sa vie et celle de sa fille.
Des acteurs au top
Catherine Corsini a choisi de confier ses deux rôles principaux à Niels Schneider et à Virginie Efira, et au vu du résultat on peut dire qu’elle ne s’y est pas trompé, les deux y trouvant peut être leur plus beaux rôles. Virginie Efira tout d’abord surprend par sa capacité à se transformer, à être tout aussi crédible que ce soit par l’image, le ton ou le geste, à 20 ans, 30 ans, comme à 70 ans. En somme, elle joue presque plusieurs personnages. Très manifestement, elle parvient, en incluant de nombreuses nuances dans son interprétation, à marquer l’évolution physique d’une part, mais aussi et surtout à marquer l’évolution psychologique de son personnage.
La jeune femme habituée des conventions sera tout d’abord éprise et admirative d’un homme qui la charme, lui fait découvrir de nouveaux horizons. Pleine d’envie, de fraîcheur et de naïveté, elle cherche à s’épanouir, à vivre un bonheur parfait. A mesure que son compagnon lui fait comprendre qu’aucun avenir en commun ne peut s’envisager, elle s’émancipe, s’affirme, s’impose. Quoi qu’elle s’endurcisse, le temps et les blessures se rappellent à elle. Femme puis mère blessée, la dépression s’invite, l’existence devient plus rude. Niels Schneider quant à lui avoue avoir pris du plaisir à jouer un personnage qu’il considère comme un salaud de première, y voyant à raison une dimension très intéressante sur le plan du jeu. S’il ne fallait retenir qu’une raison pour vous inviter à découvrir Un amour impossible, sans hésitations, nous citerions le magnétisme de Niels Schneider. Il parvient avec brio à aimanter le récit. Il incarne l’élégance, la culture, une certaine classe. Ses gestes sont précis, son ton de voix tout à la fois serein, manipulateur, et affirmé. Ses regards en coin, ses sourires en disent parfois plus longs que les dialogues sur la nature double du personnage qu’il incarne: le mâle, les mots, mais aussi, le mal, les maux. Parfois en retenue, parfois en toute impudence, son interprétation nous évoque une partition viscontienne, que n’aurait pas reniée à l’époque un Alain Delon ou un Helmut Berger (à dire vrai bien souvent on songe au personnage de Tullio (Giancarlo Giannini) dans l’Innocent.
Une reconstitution d’époque et une traversée temporelle réussies
A l’instar de Mr et Mme Adelman, Corsini s’est risquée à un exercice de style ô combien périlleux. La traversée temporelle s’étale sur près de 50 ans (L’histoire prend ses personnages alors qu’ils ont 20 ans et les abandonne à l’âge de 70). Le défi était donc double, réussir à traduire une époque, son évolution, son atmosphère, mais aussi réussir à faire vieillir ses personnages, à ce que leur évolution physique et mentale sonne juste.
De petits détails font alors de grandes différences, outre le soin pris par la réalisatrice à ce que l’image – les conditions de lumière -, ou les artifices de maquillage cachent ou au contraire révèlent les marques du temps sur le visage ou même le corps de Virgnie Efira, les décors et costumes permettent de restituer un Chateauroux vivant à l’heure américaine, les bals qui s’y donnent ainsi que les flâneries le long de rivières, un Strasbourg tranquille, ou encore un Reims à l’architecture pauvre. La réussite tient ici en fait bien plus à ce que l’on ne remarque pas; le dosage est fin et précis, les décors et les habits se font discrets et épousent le récit. Impossible ici donc de filer la métaphore avec Visconti ; le parti pris de Catherine Corsini tient d’un certain minimalisme, plus exactement nous notons une recherche de rendre crédible plus que de souligner. S’il s’était agi de narrer une histoire de 1910 à 1980, de décrire avant tout une société toute entière, peut être aurions-nous émis quelques réserves sur cette option, mais s’agissant ici de conférer une ambiance intime, de chroniquer une famille, elle nous semble judicieuse.
Un tempo lent, nécessaire et importun tout à la fois
L’adaptation du roman effrayait de prime abord Corsini. Légitimement. Imprimer un rythme, trouver le bon tempo s’avère en effet très souvent l’une des clés essentielle de la réussite du projet. La réalisatrice française opte ici pour mettre en lumière des tranches de vies espacées, proposant des ellipses temporelles pouvant s’étaler sur de nombreuses années. Ce dispositif permet d’éviter la superficialité, de s’attarder sur des éléments clés, de suggérer et non de montrer. Il permet également d’imprimer sur nos rétines le plus justement le temps qui passe. Une langueur permanente s’en dégage, témoin probablement du ressenti de la mère, dans l’attente de revoir l’homme en qui elle a fondé de nombreux espoirs. Elle nous éclaire donc, mais peut aussi parfois affadir, il nous semble en effet que les 2h10 d’un amour impossible comporte quelques répétitions que ne manqueront pas de relever les toujours plus nombreux critiques adeptes du « pas plus d’une heure trente », que l’on rencontre pourtant dans des festivals où les films de plus de 3h sont légions.
Une voix off qui nous guide adroitement
Un lien s’avère nécessaire pour que le spectateur s’y retrouve quand un saut temporel a lieu, pour le masquer et fluidifier l’ensemble. La linéarité du récit nous semble en effet un autre élément clé à une bonne adaptation. Un formalisme plus disruptif aurait pour effet de perturber, dit autrement, d’éloigner le spectateur de la matière même qui s’ensevelit sous les mots de Christine Angot et les images de Corsini. Un « Je » s’invite, celui qui porte le regard, celui qui témoigne, et s’interroge lui même. L’entreprise est à portée psychanalytique, le spectateur peut s’identifier comme entrer en empathie avec la jeune Chantal (devrait-on dire Christine). Il peut aussi réagir aux émotions vécues, au destin, aux traits des deux personnages principaux. La voix off de Chantal opère habilement les différents glissements du récit.
Un récit habité, pudique et subtil
Au delà donc de ses aspects techniques réussis, Un amour impossible nous intéresse par son sujet, sa matière psychologique. L’art réside à lui offrir un écrin qui le mette en valeur, en fasse ressortir les différentes lueurs. Corsini y parvient noblement en faisant le choix de la pudeur. D’autres auraient pu faire le choix de l’incendie filmé, de l’incandescence des douleurs. D’autres auraient rendu à l’écran toute la rage d’une Christine Angot, et auraient opté pour le ton pour ton. Le choc aurait pu être saisissant, mais l’alternative de Catherine Corsini de ne pas faire du cri son unique média présente quelques avantages notoires. A commencer par la fausse piste, les premiers instants du film laisse à deviner une histoire d’amour possible, une histoire d’amour passionnée, vécue. Les tourbillons y trouveraient place, comme les vents contraires, mais le destin se trouverait parfois lumineux. Cette fausse piste aiguise nécessairement la curiosité du spectateur, quand à mi-récit, une composante plus troublante encore vient à rabattre les cartes, à désillusionner. Cet instant laisse la place au non dit, au silence, à la colère rentrée, à la peur de la confrontation entre la mère et sa fille. La pudeur s’invite subtilement, les émotions des personnages, les incompréhensions, les effets sur leur psyché deviennent la matière et non les faits en eux même, qui ne sont jamais montrés, et qui ne sont évoqués qu’à demi mots. Le jeu des acteurs aidant, le résultat s’avère touchant.
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