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Tromperie: L’Homme qui aimait les femmes

Londres – 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…

Après la tentative (réussie) de réaliser un film policier avec Roubaix, une lumière, Arnaud Desplechin revient sur son terrain de jeu habituel. Bien que Tromperie soit adapté (adaptation libre) d’un texte de l’écrivain américain Philippe Roth, le personnage de Philip s’inscrit dans la lignée des hommes intellectuels que l’on connaît bien chez Desplechin, « Paul Dedalus » pour citer l’exemple le plus marquant. Mais un Paul Dedalus qui a changé avec le temps, qui a mûri, a trouvé le calme, est arrivé en paix avec lui-même (également avec les femmes, au moins la plupart de celles qu’il côtoie). Nous pouvons oser affirmer qu’avec Tromperie, il propose un bilan (sincère) de la vie littéraire de Paul Dedalus (mais nous n’irons pas jusqu’à chercher le côté autobiographique du film).

Contrairement à Comment je me suis disputé…(Ma vie sexuelle), dans Tromperie le protagoniste n’est pas Paul(Philip) mais une femme, qui ouvre et clôt le film, et dont l’existence marque la source du charme, voir la raison d’être de la narration.

Si Philip est un écrivain qui écoute les autres, qui raconte leur vie par ses écrits, comme un intermédiaire, et reste neutre lui-même, la femme anglaise sans nom, interprétée par Léa Seydoux, représente l’objet et le sujet du récit à la fois. Elle parle de ses chagrins conjugaux, de ses désirs, de ses regrets, de son passé et de son présent. Le film dessine, au fur et à mesure des échanges entre l’homme et la femme, un beau portrait, mélancolique et profond. Ce dernier ne pouvait pas apparaitre, si touchant et puissant, sans le jeu formidable de Léa Seydoux, et sans l’expérience de Desplechin qui maîtrise bien la mise-en-scène dans un huis clos, qui sait comment filmer les moindres gestes de l’actrice, ses airs changeants, la lumière du jour sur son visage. (Difficile de comprendre pourquoi Lea Seydoux, brillante également dans France de Bruno Dumont, n’a pas obtenu le prix de la meilleur actrice à Cannes cette année, ni pourquoi Tromperie ne faisait pas même partie de la compétition). Les histoires des autres femmes(amis ou ex-amoureuses de Philip) complètent ce portrait. En revanche, Denis Podalydès ne semble pas tout à fait crédible pour le rôle, sa présence rajoute une dose de comique au film, il amène une sorte de légèreté là ou il aurait fallu plus de poids, plus de profondeur et de sobriété pour découvrir les différents facettes du personnage.

La vocation littéraire chez Desplechin semble plus présente et plus ambitieuse dans Tromperie que toujours. Les dialogues sont écrits avec un français soutenu et ironique, parfois avec des sens cachés derrière qui donnent à réfléchir. Le plaisir textuel est au centre du film, et le bavardage mis en valeur, comme un moyen évident – mieux dire, comme un « jeu » – pour faire passer le temps, pour lutter contre l’ennui. Les deux personnages nous partagent la jouissance de parler et nous laisse le plaisir d’imaginer. Mais ce plaisir est d’autant plus fort pour un spectateur qui connait le plaisir de lecture.

D’autre part, Tromperie évoque des questions morales autour du métier de l’écrivain, plus précisément, le film prend le parti de défendre « l’écrivain » et ses droits, juridiquement parlant. Quelqu’un qui n’a que son monde imaginaire comme refuge au monde réel, comme unique signe de liberté d’expression, en vient à se voir obligé d’expliquer tous les détails de ses écrits « jugés » au travers du seul prisme du monde réel et par des gens qui ne comprennent pas la différence entre réalité et littérature. La scène de procès est à ce titre autant polémique que significative, avec son clin d’œil à l’ambiance post-Me too. L’idée de cette scène est effectivement maline, comme si Desplechin avait anticipé les réactions de certains spectateurs, et prépare ses arguments à l’avance, ce qui crée un débat intéressant. Mais contrairement à la procureure générale vis à vis des écrits de Philippe Roth, nous ne voyons pas de misogynie dans le film, au contraire, nous pensons que le regard porté sur les personnages féminins intègre du respect et de l’attention…

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