Lors du festival de Cannes 2017, Sicilian ghost story, film d’ouverture de la Semaine Internationale de la critique, n’avait reçu qu’un accueil plutôt distancié de la part des critiques in situ. Cette mauvaise presse vaut au film une sortie tardive sur nos écrans alors qu’en Italie, il a connu un beau succès et remporté plusieurs prix notables. Le peu d’entrain de la critique internationale envers ce film s’explique peut-être par la tonalité douloureuse et triste de celui-ci. Pourtant, la réalisation et le récit de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza cumulent de belles qualités. À mi-parcours de l’année 2018, nous plaçons Sicilian ghost story parmi les meilleurs films vus durant ce premier semestre finissant.
Dans un village sicilien aux confins d’une forêt, Giuseppe, 13 ans, disparaît. Luna, une camarade de classe, refuse la disparition du garçon dont elle est amoureuse et tente de rompre la loi du silence. Pour le retrouver, au risque de sa propre vie, elle tente de rejoindre le monde obscur où son ami est emprisonné et auquel le lac offre une mystérieuse voie d’accès. Sicilian ghost story revisite le mythe de Roméo et Juliette dans le monde impitoyable de la mafia.
Dès leur premier long-métrage en 2013, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza s’étaient fait remarquer dans la sphère des cinéphiles amateurs d’œuvres exigeantes. Déjà film de mafia, Salvo mélangeait les genres en empruntant aux codes des westerns et du cinéma fantastique. Par la maestria de sa mise en scène et de sa narration, ce premier film se révélait fort prometteur. Cinq ans plus tard, Sicilian ghost story confirme toutes les promesses placées dans ce duo de réalisateurs.
Ce deuxième film sur la mafia délaisse les codes du western pour emprunter ceux des polars et des mélodrames. L’histoire racontée est vraie. Elle se loge dans la société sicilienne des années quatre-vingt-dix marquée par la multiplication des kidnappings mafieux. Son dénouement morbide à peine supportable sera filmé en caméra suggestive avant d’être sèchement rappelé et daté par deux cartons avant le générique de fin.
L’affaire et son épilogue étant connus, les deux réalisateurs n’entretiennent aucun suspense durant le film. Nous devinons rapidement l’issue de la longue agonie du jeune kidnappé. Le père de la victime, mafieux repenti, est exclu du film comme il l’est d’une partie de la population pensant préférable de ne pas « fréquenter » ces gens. Le père et le fils partagent un même statut, celui de fantôme.
Là où un traitement documentaire pouvait être attendu, Grassadonia et Piazza optent pour un procédé relevant du conte fantastique où la limite entre imaginaire stylisé et réalisme est sciemment effacée. Ce monde imaginaire et fantomatique, qu’il soit mental, écrit ou dessiné, lie le jeune Giuseppe pris en otage par des mafieux et sa petite amie Luna restée libre de ses mouvements. Les deux cinéastes siciliens jouent sans cesse du contraste entre le lugubre lieu d’enfermement, tombeau éclairé au néon, et la beauté des décors naturels filmés. Signalons ici le travail conséquent fourni pour capter avec brio les textures végétales et animales. La minéralité des lieux filmés au grand angle en extérieur comme en intérieur est surlignée par la bande son : bruits de pas dans une forêt, feuillage secoué par le vent, pluie battante, immersion en milieu aqueux, trajectoire flottante d’un papillon suivie par la caméra, etc.
Comme dans Salvo, les qualités de filmage de Sicilian ghost story sont indéniables. Elles vont de pair avec une réalisation soignée notamment dans la mise en scène des transitions souvent invisibles entre le monde réel et celui imaginé. Les images des pratiques barbares d’une mafia lâche et abjecte viennent entrecoupées les scènes alanguies et douces évoquant un passé encore proche mais voué à disparaître des mémoires. Les jeux de colorimétrie observés sur des couleurs délavées et des teintes sépia voisines du noir et du blanc participent aussi à l’ambiance sale et mortifère du film. Ces diverses alternances rendent encore plus cruelle une histoire à la tristesse palpable.
D’un point de vue formel, Sicilian ghost story s’inscrit ainsi pleinement dans le sillage prometteur tracé par Salvo. Les cadres sont composés avec précision jusqu’à paraître parfois maniéristes mais jamais sur-stylisés. Remarquons enfin la belle direction d’acteurs. Julia Jedlikowska et Gaetano Fernandez incarnent les deux personnages principaux, Luna et Giuseppe. Malgré leur jeune âge, ces deux acteurs sont à créditer d’une prestation délicate au ton toujours juste.
Alors que Luna cherche à refuser le silence et la résignation qui paralysent son entourage, Grassadonia et Piazza livrent donc un traitement singulier sur les thèmes de la disparition et de l’oubli. Dans Sicilian ghost story, le fait réel n’est pas uniquement traité comme tel. Sans le dénier et sans l’éluder, les deux réalisateurs siciliens l’abordent par la métaphore et la symbolique après l’avoir revêtu d’une imagerie baroque. L’épilogue dissout corps et âme et vaut pour métaphore du film dans son entièreté.
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