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Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait: Mouret en forme

Daphné, enceinte de trois mois, est en vacances à la campagne avec son compagnon François. Il doit s’absenter pour son travail et elle se retrouve seule pour accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’avait jamais rencontré. Pendant quatre jours, tandis qu’ils attendent le retour de François, Daphné et Maxime font petit à petit connaissance et se confient des récits de plus en plus intimes sur leurs histoires d’amour présentes et passées…

Estampillé (à très juste titre) Cannes 2020, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret fait partie de ces films aux doux parfums de déjà vus ici ou là. Il nous semble ainsi qu’il emprunte son univers à ceux de Woody Allen, Rohmer,- filiations qui collent à la peau de Mouret sur chacun de ses films-, Garrel, ou même encore Chabrol. Sur le plan littéraire, il présente un horizon pas si éloigné des Liaisons dangereuses, sur base d’analepses, confidences éclairées, mises en perspectives.

Le style d’Emmanuel Mouret se distingue très rapidement, il plaît parfois comme il peut agacer ou déplaire sur ces quelques caractéristiques, que l’on rencontre de films en films. La principale de celle-ci concerne l’ambition narrative, très souvent en mode « Je » – depuis peu il n’apparaît plus lui même à l’écran; tourné sur un personnage principal qui vous invite à écouter l’histoire qu’il vous raconte. Cette narration, très écrite, guide fortement le spectateur, et l’embarque dans un phrasé naturellement verbeux. Emmanuel Mouret, le narrateur, se fait ainsi très présent, et son style littéraire se remarque en ceci, qu’il est très appliqué, – un rien scolaire -, mais aussi un peu « lourd » – l’imparfait est souvent de mise. Les dialogues en eux même participent à une même voix. De fait, chaque personnage parle « comme dans un livre », et l’impression d’ensemble sonne loin de tout réél. Comme Rohmer, il assume parfaitement cette façon de faire, et rarement ne s’en écarte. L’effet produit, tout comme chez Rohmer, s’il peut diviser, confère au récit une forme désuète, voire intemporelle; effet que l’on retrouve également dans les atmosphères jazzy des meilleurs films de Woody Allen, mais aussi dans les réflexions portées à l’écran par Philippe Garrel, lorsqu’il parle de ce qu’il connaît le mieux, lui même. De surcroît, Mouret emprunte ici un procédé qui a fait la singularité de Ma nuit chez Maude, celui qui consiste à baser le récit principal sur une rencontre, sur un échange de points de vues, dont il se dégage rapidement une empathie mystérieuse au fur et à mesure que les cœurs et les esprits s’ouvrent, que les confidences se font de plus en plus intimes.

Avec Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, le réalisateur reprend un thème que lui, pas plus qu’un autre, n’a pas fini d’explorer, de revisiter: sa théorie sur l’amour qu’il emprunte pour partie aux réflexions d’autres écrivains, artistes ou philosophes. Ces derniers s’inviteront dans le film sous forme de références plus ou moins discrètes. Stendhal n’est pourtant pas cité, c’est à dire que Mouret ne nous parlera pas tant de cristallisation, mais bien davantage d’interrogations entre le sentiment amoureux pur et le désir charnel, qu’il auscultera tour à tour à travers les mots – et les gestes – de ses protagonistes. Les plus philosophes s’avèrent souvent les femmes. Il s’amuse littéralement à mettre en avant les contradictions de discours, les ambiguïtés, et opte pour un ton très marivaudien: Mouret badine.

Il s’appuie à ce niveau sur une mécanique fort bien huilée, qui s’attache à des stéréotypes, à des schéma amoureux aisément reconnaissables… Ainsi chacun de ses personnages obéit à ses théories propres, de façon parfois cohérente, le plus souvent incohérente. Ses deux protagonistes principaux – toujours très bons Niels Schneider dans le rôle de Maxime et de nouveau très intéressante Camelia Jordana dans celui de Daphné – ne se refusent pas à l’amour sentiment. Leur rencontre sur base de confidences, d’interrogations amoureuses constitue le ciment narratif.

A leurs côtés, d’autres ne jurent que par l’amour passion, irraisonnable, guidé par l’abandon au désir, mais aussi la dangerosité de se fier à ses sentiments, de s’engager, quand il s’agit de rester libre … Tous les personnages ont en commun de tomber amoureux presque sur commande, ou en tout cas de s’en persuader … Aucun n’échappe à la tentation, tous basculent et font des choix qui normalement orientent leurs vies, tout ceci de façon apparente, en grande légèreté et sans douleurs qui ne dépassent quelques larmes temporaires. Les hommes quadragénaires – interprétés par Vincent Macaigne et Louis-Do de Lencquesaing – plus ou moins sémillants s’amourachent de jeunes femmes dix ans plus jeunes, qu’ils soient veufs ou mariés. Tous deux incarnent des figures très opposés, à l’écran comme dans l’esprit de Daphné. L’un l’attire mais s’en désintéresse, il tombera sous le charme d’une de ses amies, l’autre est attiré par elle sans que cela ne soit réciproque, ils se mettront en ménage ensemble.

De son côté, le meilleur copain célibataire de Maxime, trentenaire, tombe tout d’abord amoureux et se met en ménage avec celle dont est secrètement amoureux son ami. Plus tard, il sortira avec une étudiante … Maxime lui même sort sans le savoir avec la sœur de celle qu’il convoite. Un ménage à trois de courte durée verra le jour …

Les schémas se multiplient, mais une constante s’en dégage, personne ne rencontre le véritable amour, personne ne parvient à se stabiliser dans son sentiment, à avoir des certitudes. En somme, la véracité même du sentiment amoureux en vient presque à s’en dissoudre, comme si, quelque part, Mouret semblait nous suggérer que peut être le sentiment amoureux ne serait qu’une illusion, quelque chose qui n’existerait pas en soi …. il nous le suggère d’autant plus, qu’il s’appuie sur quelques images plus ou moins subliminales: un philosophe s’invite au détour d’un documentaire surprise dans le film: le sentiment amoureux serait le plus souvent lié à un geste mimétique… Emmanuel Mouret va l’illustrer.

Les figures, les schémas, la théorie philosophique, il ne manquait que la mise en perspective, les cas d’école, pour finalement traduire, notamment par des non dits, que les choses (celles qu’on fait bien plus que celles qu’on dit) sont peut être plus graves qu’il n’y paraît. En ceci, on songe au message maintes fois véhiculé en littérature – Les liaisons dangereuses par exemple -: à trop jouer avec l’amour, on peut s’y brûler … surtout quand les autres jouent aussi …

Comme tout artiste, en nous parlant de sujets nés de son imagination, Mouret nous livre probablement une photocopie de ses propres interrogations.

Pour ses deux derniers films, il a eu la bonne idée selon nous de se retirer de l’écran. Contrairement à Woody Allen qui excelle dans l’auto-dérision, l’humour juif, Mouret peinait en général à nous rendre son personnage sympathique, même s’il faisait usage d’un humour cousin, basé sur un personnage penaud aux airs de droopy mais aux appétits sexuels qui le tourmentent, aux doutes existentiels qui parfois se laissent oublier par l’appel de la chair.

Si l’on retrouve en la personne de Vincent Macaigne – qui nous fait du « Macaigne »- un personnage plutôt similaire, la galerie de personnages qui parsèment le récit forme ceci dit une partition en « Il » et « Elle », bien plus qu’en « Je ».

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait possède ainsi d’indéniables atouts sur le fond. Il restait à le doter d’une forme à la hauteur pour lui accorder ces quelques crédits supplémentaires, sésames à une sélection cannoise.

Comme cela est le cas dans la plupart de ses films, Mouret opte pour un habillage classique, une forme plutôt lumineuse, dont les ressorts dramatiques comme comiques sont mis en évidence par une musique ton sur ton, parfois très appuyée. Ainsi convoque-t-il Mahler, Chopin, Satie,Vivaldi, Mozart, Debussy … Si tous les airs choisis proposent une mélodie qui à elle seule renferme de puissants vibratos émotionnels, l’assemblage qui en est fait possède les défauts de ses qualités. D’une part, un certain détachement opère – de façon paradoxale puisque la musique par ailleurs appuie les situations.-Chaque air nous renvoie ailleurs, soit à un dimanche où l’on entendait un proche s’exercer au piano et dont on conserve un souvenir sensoriel quasi nostalgique, soit à un moment plus intime où on se plaisait soi-même à plonger dans la mélancolie propre aux nocturnes de Chopin, ou encore, lorsque le film nous déplace presque maladroitement vers un autre film qui a eu l’idée avant lui d’utiliser ces quelques classiques. D’autre part, la partition globale perd en harmonie, en consistance, et finit même par nous dérouter de l’effet qu’elle produisait au départ, par effet de trop plein. Ainsi du final qui enchaîne deux morceaux pourtant magnifiques de Satie.

A contrario, le film parvient à tirer pleinement partie de l’addition du talent des différents interprètes. La casting réunit tout à la fois des valeurs sûres et des valeurs montantes. Niels Schneider retrouve une partition qu’on lui connaissait à ses débuts sous Dolan– il perd en magnétisme par contre vis à vis de ses prestations récentes où ses personnages marquent par leur force, surtout dans cette première partie du film où les mots de Mouret lui font perdre de la fluidité- , Camelia Jordana transmet son enthousiasme et sa verve, Emilie Dequenne comme si souvent touche au plus juste, Louis-Do de Lencquesaing apporte ses lettres de noblesse, Guillaume Gouix sa touche virile, et Macaigne, son spleen amusant.

La mise en scène, volontairement, n’est pas mise au premier plan, Mouret a ici le bon goût de ne pas trop en faire. Il s’évertue à proposer quelques jolis cadres et plans qui souvent ré-haussent les conversations, et se jouent de quelques va-et-vient pour symboliser des accords et des désaccords.

Mais la plus belle des qualités formelles du film est peut être à chercher au niveau du sens caché de son titre. D’un côté, il y a les choses que Mouret dit – énonce à travers ses dialogues, de l’autre, il y a les choses qu’il fait – met en scène par les situations, ou, qui sait, dans sa propre vie. Les deux portent des sens qui parfois se rejoignent, parfois se complètent, mais souvent s’opposent. Cette ambiguïté, Mouret parvient à la transposer, à la filer avec talent.

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