Mis à jour le 21 novembre, 2023
Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. A force de passer du temps ensemble en cuisine, une passion amoureuse s’est construite entre eux où l’amour est étroitement lié à la pratique de la gastronomie. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.
Quel étrange objet que la passion de Dodin Bouffant !
Il semble paradoxalement, ce qui n’aura pas manqué de générer quelques rires bien naturels et généreux, par son opulence, se placer parfaitement entre étrange provocation (de l’ordre du jeu) et déclaration d’amour profondément sincère envers la France et son rapport à la gastronomie. Il renvoie inéluctablement à l’exotisme de l élégance à la française, place le goût et la passion au centre de tout, mais aussi semble renfermer un secret tiers. Anh Hung tire-t-il un parallèle entre cuisine et cinéma vient-on rapidement à se demander…
Probablement, en tout cas, cette possibilité ne peut que parler aux critiques et cinéastes. Le film bénéficie d’atouts formels appréciables, à commencer par une magnifique lumière très travaillée, et une excellente interprétation (as usual) de Magimel, doublée d’une très belle complicité avec Binoche.
Chaque plan bénéficie du plus grand soin, la photographie dans son ensemble tend à nous proposer de nombreuses compositions semblables à des tableaux de maîtres. Nous avons rapidement pensé que le film trouverait, pour ces raisons, mais aussi pour ses traits malicieux, que nous allons développer, une bonne place au palmarès cannois, comme certains de nos confrères qui se rangaient de cet avis, quand d’autres restaient tout simplement cois, comme ébahis…
Car La passion de Dodin-Bouffant, libre adaptation du livre éponyme (Anh Hung insiste sur cette dimension libre) interroge quant à son caractère malin … la lecture que l’on peut faire du film se heurte en effet à une difficulté. Faut-il s’arrêter, comme l’ont fait beaucoup de spectateurs-journalistes, jusqu’à la modératrice du débat en conférence de presse à Cannes, à une lecture au premier degré ?
Le rapport à l’œuvre passée de Tran Anh Hung, le rapport au monde actuel, la métaphore avec le cinéma, la transmission, les non dits du couple, l’aveuglement, l’opulence, l image de la France, l’exotisme et la demande d’exotisme des producteurs, ne seraient-ils, dans les interstices, des perspectives embrassés ?
Comme le suggère Juliette Binoche, le film ne cacherait-il pas son jeu à plusieurs niveaux: « Le film est bien plus féministe qu’il n’en a l’air » nous dit-elle, complétant : « en tout cas la question de l’indépendance de la femme est essentielle ». La conférence de presse nous apportera ainsi cette précision que Magimel dut s’y reprendre à plusieurs fois pour l’une des répliques finales, puisque la réponse qui lui semblait naturelle, était le parfait opposé de celle que Tran Anh Hung avait écrite, quand Juliette Binoche avait tendance à penser que les deux réponses pouvaient s’avérer complémentaires. Un brouillage de piste donc ne nous semble pas totalement à écarter … Pas plus qu’une lecture à plusieurs niveaux …
La dimension mystérieuse propre au récit en tout cas, le secret entre les deux amants, la métaphore filée, nous sera pour partie révélée … en lien avec le non dit, le trop peu pratiqué … car à bien y réfléchir, la passion emporte tout. Elle rend aveugle. Et pour nous en rendre compte, Tranh Anh Hung nous livre un film qui verse dans l’excès gastronomique, potentiellement en clair-obscur donc … l’orgie, l’opulence, le trop plein manifeste ne se référerait-il pas à ceux qu’un film versant dans l’érotisme proposerait sans détour en multipliant les scènes impudiques … Malice, disions-nous …
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