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GRAVE : DU SANG NEUF

Mis à jour le 8 avril, 2017

 

Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

Oubliez la réputation sulfureuse de Grave, celle d’un film supposé insoutenable provoquant évanouissements et crises d’angoisses chez spectateurs. Cela ne s’est produit qu’une fois, auprès d’un public non préparé à voir un film comportant quelques scènes d’un body horror plutôt soft. Grave n’est heureusement pas le très mauvais -et pour l’heure très insoutenable- Green Inferno  d’Elie Roth, qui commis aussi Hostel.

Si Grave a fait parler de lui dès sa projection à La Semaine de la Critique à Cannes c’est en raison de sa grande qualité, de la singularité de sa facture. Il apporte du sang neuf au cinéma français et même international. Ce n’est pas un hasard si le film parvient à faire parler de lui aux Etats-Unis, au point que l’on consacre la couverture de Movie Make à sa réalisatrice, Julia Ducournau.

Grave a différents niveaux de lecture, et peut s’adresser aux moins cinéphiles d’entre nous tout comme à un public très exigeant. Ceux qui veulent passer juste un bon moment devant un film à la fois effrayant, comique et dramatique seront ravis. Quand aux cinéphiles invétérés, ils trouveront du grain à moudre face à cette œuvre à multiple facettes, parfaitement réussie sur tous les plans : réalisation, mise en scène, direction des acteurs, qualité du scénario, beauté de l’image, montage, musique.

Grave est avant tout un grand film de Cinéma. Il se circonscrit bien au-delà du body horror, qui n’est qu’une de ses composantes, voire un prétexte. L’horreur, du reste, n’intervient qu’à 45ème minute du film. Il s’agit avant tout d’un film sur l’affirmation de soi. Julia Ducournau a voulu -et a réussi- à signer une oeuvre sur la trivialité du corps, du désir féminin mais aussi un questionnement sur l’identité.

Le film devait s’intituler Rage, mais le titre est déjà pris par Cronenberg pour un film datant de 1977. C’est justement un film inspiré et digne de la meilleure époque de Cronenberg que l’on découvre, avec une singularité et une identité propre. Julia Ducournau sait merveilleusement emprunter à Cronenberg lorsqu’elle montre frontalement la trivialité, l’identité de la corporéité de manière frontale -et donc parfois dérangeante.

Nous préférons presque Grave, l’oeuvre de l’élève, aux œuvres du maître Cronenberg, car moins froide, moins clinique. La photographie de Grave, notamment, qui est inspirée du film cooréen The Chaser, fait penser aux lumières grandioses du De Palma période Blow Out. Dans ses côtés ludiques et humoristiques, Grave rappelle La Crème de la Crème (Kim Chapiron) mais aussi Qui a tué Bambi. On retrouve d’ailleurs dans le rôle du père Laurent Lucas, dont la filmographie semble dédié à un certain genre. La mère, elle est interprétée par la it girl Joana Preiss.

La réalisatrice a voulu notamment nous montrer le désir féminin. Aussi Justine(Garance Marillier, géniale débutante) est plus désirante, dans l’acte sexuel, qu’un homme, chose si peu montrée au Cinéma. Sa pulsion cannibale est celle de la pulsion sexuelle, d’un désir immense et agressif, celle de la pulsion de mort aussi. Désir impérieux et violent, celui d’une jeune fille, alors que dans les représentation, le désir brutal, bestial et violent est celui qu’on attribue à l’homme.

Du reste,l’homme désiré, Adrien, interprété par Rabah Naïf Oufella, est un jeune homme complexe : un gay viril wesh, qui se découvre aimer les femmes.

Personne ne veut voir une femme qui a de la pilosité, de l’eczéma, du sang. Encore plus lorsque son désir est extrême et violent et qu’elle  revendique une féminité à la fois ostentatoire et agressive -ce qui correspond à une réalité véritable de l’être humain, qu’il soit homme, femme ou autre.

Au début du film, nous avons une Justine enfant, vierge de tout. Elle est « propre ». Excellente élève, elle ne mange pas de viande, elle est gentille, polie, très bonne élevé, ne se maquille pas, ne s’épile pas, ne s’habille pas bien et ignore tout du monde.

Dans le cadre d’un violent bizutage, l’initiatrice,  l’élément corrupteur va être la grande-sœur de Justine, Alexia (Ella Rumph, avatar de Béatrice Dalle dans les années 80) fille violente, un peu frappée. C’est Alexia, en effet, qui impose à Justine, lors d’un bizutage, de manger de la viande -des reins de lapin crus. C’est elle aussi qui va la forcer à s’épiler, tel un rituel primitif d’initiation, ce qui donnera une des scène la moins soutenable du film.

Le corps est par essence trivial. Dompter et dissimuler cette trivialité est l’affaire de tous, dans une société occidentale de plus en plus policée, lisse et obsédée par le look. En ceci Julia Ducourneau va bien au-delà de la Question Féminine. Chacun est concerné et interrogé au travers de ce qui arrive au personnage de Justine. La lutte interne d’Adrien dans son identité et son désir, ses pulsions en est l’illustration.

On voit Justine, lors de sa mutation, danser sur le titre le plus violent d’Orties –Plus putes que toutes les putes-, se maquiller, s’habiller de manière outrageusement féminine, devenir de plus en plus une bête, ce qui l’effraie, ce qu’elle ne maîtrise pas et va à l’encontre de son idéal et de ce qui est bon et bien. Une lutte interne entre son esprit et un corps qui s’affirme de manière impérieuse et dévastatrice.

Le prologue et la fin (un rien grand guignol) répondra aux questions de la « solution » -celle suggérée par son père- qu’elle trouvera face à cette nature qu’elle est obligée d’accepter. Ou comment vivre en ce monde tout en étant soi.

 

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