Dans un village iranien proche de la frontière, un metteur en scène est témoin d’une histoire d’amour tandis qu’il en filme une autre. La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?
Aucun ours (#KhersNist) de Jafar Panahi s’inscrit dans la lignée de son œuvre – et de celle de son maître Kiarostami– notamment de Trois visages, son précédent long. Nous suivons le protagoniste principal, Jafar Panahi lui même dans son propre rôle, installé dans un village et en déplacement dans son SUV (comme nous suivions souvent Kiarostami dans les contrées reculées iraniennes) non loin de la frontière entre l’Iran et l’Azerbaïdjan où Panahi s’est installé afin de pouvoir tourner librement un film sur l’exode, la traversée de la frontière iranienne pour rejoindre l’Europe. Comme Kiarostami, tout part d’un dispositif, visant le plus que possible à brouiller les lignes entre le réel et la fiction. La fiction peut se glisser en reprise du réel, le réel nourrir la fiction, les prises d’images se multiplient – le film que l’on voit, le film que Panahi réalise dans le film et observe depuis son écran de contrôle, les images captées pour la réalisation du film, les images prises par l’appareil photo de Panahi dans le film. Tout ceci afin de nourrir bien plus encore les différents films.
Panahi pousse le concept encore un cran plus loin : les mises en abîme se retrouvent en effet également au travers des autres personnages, dont le film , nous dit-on, s’inspire de la vie réelle passée, et, en apparence, toujours au présent : depuis neuf ans et le tournage d’un film comportant une scène de nudité, l’actrice principale du film dans le film, Mina Kavani n’a plus le droit de rentrer en Iran. L’effet le plus vertigineux d’Aucun ours se trouve sûrement dans les oscillations de Panahi entre son appartement et la frontière, autre reflet d’une situation réelle: l’idée pouvant lui venir de quitter l’Iran face aux menaces dont il fait/faisait l’objet. Le réel l’a entre temps rattrapé, Panahi est passé d’assigné à résidence à l’incarcération. Nous avions posé la question à Venise à Mina Kavani – que vous pouvez également voir sur les planches en France avec sa pièce I’m deranged inspirée de sa propre expérience d’exil – si elle pouvait nous en donner des nouvelles, sa réponse fut qu’elle n’y est pas autorisée; nous lisions alors clairement de la crainte sur son visage.
Panahi questionne dans ce film une part de l’Iran actuel, mais aussi les traditions qui l’emmènent dans un imbroglio dont il aura bien du mal à se sortir, et qui fait planer une autre menace, qu’il a tendance à prendre à la légère. Malin et vertigineux, surprenant dans sa conception, l’exercice théorique réussi a valu un prix spécial à Venise (au delà du message politique, Venise n’est pas Berlin) à Panahi.
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