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5e set : Match gagnant pour Alex Lutz

Mis à jour le 20 juin, 2021

À presque 38 ans, Thomas est un tennisman qui n’a jamais brillé́. Pourtant, il y a 17 ans, il était l’un des plus grands espoirs du tennis. Mais une défaite en demi-finale l’a traumatisé et depuis, il est resté dans les profondeurs du classement. Aujourd’hui, il se prépare à ce qui devrait être son dernier tournoi. Mais il refuse d’abdiquer. Subitement enivré par un désir de sauver son honneur, il se lance dans un combat homérique improbable au résultat incertain…

Les films qui parlent de sport sont souvent prétexte à une toile de fond plus vaste ou plus dramatique. En France, Slalom nous parlait de ski à la réouverture des salles. Si le film de Charlène Favier explore le thème des violences sexuelles avec comme trame de fond la dureté de l’apprentissage pour devenir champion, une autre question liée à l’ultra-compétition mérite d’être posée : que deviennent ceux qui, à l’instar de Liz, s’investissent plus que de raison, quitte à s’oublier, et plus précisément lorsque la réussite n’est pas au rendez-vous  ?

Quentin Reynaud, ancien joueur de tennis de niveau professionnel et réalisateur, cherche à y répondre en signant ici un deuxième film personnel sur le tennis en tant que sujet à part entière.

Thomas Joseph Edison, ancien joueur français de tennis au destin prometteur, n’a jamais vu son destin de tennisman décoller après un échec notable en demi-finale de Roland Garros en 2001. Le film explore la vie d’un homme formé dès son plus jeune âge à un sport davantage subi que choisi -sa mère possède un club de tennis important-. La frontière entre la formation et le formatage forcé pouvant être mince … C’est un pan du film important et intéressant dans la vision de Quentin Reynaud. La mère, remarquablement jouée par Kristin Scott Thomas, est un personnage ambivalent: d’une grande dureté envers Thomas, elle n’hésite pas une seconde à avouer sa déception dans les médias qu’il n’ait pu embrasser le destin de champion qu’on lui prédestinait, mais dans son regard, on lit aussi une culpabilité, un mea culpa et un amour maternel touchant.

Thomas vit dans un univers où les femmes ont de l’importance, et jouent un rôle important pour lui, en contraste avec la violence des courts de tennis filmés par Quentin Reynaud. Eve, la femme de Thomas, interprétée par Anna Girardot, ancienne joueuse de tennis en devenir, a choisi de sacrifier sa propre carrière pour se consacrer à sa vie de famille et songe à une reconversion dans le domaine du management sportif. Quentin Reynaud parvient à nous toucher lorsqu’il évoque l’amour d’Eve pour Thomas, le support qu’elle lui apporte, de façon quasi elliptique par des non-dits et des plans de caméra subtils et non de grandes démonstrations ou tirades -nous pensons notamment à cette scène magistrale où un court travelling nous montre en premier plan de la pièce annexe un portrait de cette femme un trophée à la main, illustrant son sacrifice sans qu’aucun mot ne soit posé dessus-. L’amour et le cocon dans lesquels l’entretiennent sa famille font de Thomas un personnage ambivalent ; ne pouvant pas se passer de ses souvenirs et ses espoirs de gloire, il est tour à tour aimant et attentionné mais aussi égoïste et sûr de lui.

Nous entrons dans les coulisses de Roland Garros par la petite porte, à travers les yeux de cet ancien sportif dorénavant regardé avec mépris et indifférence. Jusqu’aux qualifications, où « l’ancien Thomas Edison » s’apprête à revenir sur scène, alimentant les médias qui y voient pour les plus cléments une tentative de revanche incertaine et pour les plus cruels un échec retentissant à venir, au vu de l’âge élevé du joueur. Le film s’attaque sans en avoir trop l’air au journalisme sportif, toujours omnibulé par le présent et le résultat immédiat et qui oublie très rapidement ceux qu’il encensait hier, privilégiant le sensationnel, enclin à chercher sempiternellement la nouvelle pépite sur lequel s’enthousiasmer (et vendre). Il dépeint également l’envers du décor, la cruauté du milieu, lorsqu’il évoque les dures fins de mois des joueurs aux faibles classements, ou lorsqu’il tourne en ridicule les sponsors. Le film propose également une dimension documentaire sur le grand chelem institutionnel qu’est Roland-Garros ; de l’attribution des wild cards au parcours des qualifications jusqu’aux rétributions et avantages affichés clairement selon le niveau du joueur.

Quentin Reynaud se concentre sur ce qui se passe intérieurement, dans la tête des joueurs; les plans serrés pendant les matchs laissent entrevoir un panel d’émotions, de la colère à la douleur, du désespoir à la ténacité. Ce qui se joue sur le court a plus à voir avec un combat de boxe qu’à un tournoi de tennis comme nous pouvons l’envisager dans l’imaginaire commun ; entraînement drastique, mains ensanglantées, douleurs terribles. Il s’agit aussi de ce qui fait la force de ce film ; sa manière de montrer l’engagement des joueurs et les pratiques sportives de haut niveau.

Sur le court, les cadrages serrés se répondent avec des plans larges surélevés ; manière de laisser place à de potentielles doublures pour les échanges de balles, cette supercherie bien nécessaire permet d’assoir l’aspect film-documentaire. Audacieux et intéressant, accessible aux néophytes comme aux passionnés de tennis, le mélange entre les cadrages serrés intimistes sur la vie et les ressentis du tennisman vieillissant et les plans larges sur les courts, traduisent élégamment ce que vit Thomas, une vie publique, marqué par l’obligation du professionnalisme, et une vie privée.

Le réalisme ressort d’ailleurs comme le point fort de ce film., que ce soit dans la manière dont est traité le sport, mais aussi et avant tout grâce à l’interprétation d’Alex Lutz. A l’aise en équitation, Alex Lutz nous avait montré sa capacité à se transformer dans son prodigieux film, Guy, en 2018. C’est ici une transformation radicale qu’opère l’acteur, après des mois d’entraînements intensifs au tennis. Très crédible dans les gestes, dans ses mimiques et dans son appréhension du jeu, Alex Lutz porte le film et son message très haut et interroge le dépassement de soi à outrance : « Thomas Edison a 37 ans, et il sait qu’il n’a pas fini ».

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