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Les Liaisons dangereuses – Le charme discret de l’aristocratie

Mis à jour le 29 mai, 2016

Était-il seulement pensable d’adapter Les Liaisons dangereuses au cinéma ? À première vue, la structure épistolaire du roman de Pierre Choderlos de Laclos, publié en 1782, ne semblait pouvoir se prêter à un traitement cinématographique. En 1959, Roger Vadim trouve une première solution en actualisant l’intrigue, idée reprise quarante ans plus tard par Roger Kumble pour son Sexe Intentions. L’actualisation contemporaine permet d’éviter le risque du désuet, écueil qu’encourt tout film cherchant à respecter à la lettre le contexte historique de l’ouvrage adapté. Autant dire que la tâche du britannique Stephen Frears n’était pas aisée. Sorti en 1988, Les Liaisons dangereuses se présente comme une adaptation scrupuleuse du roman de Laclos. Sa ressortie en salles cette semaine défie les clichés que l’on a trop souvent imputé au mal nommé « film en costumes ».

Préserver, retrouver

Préserver l’atmosphère historique du roman de Laclos permet à Stephen Frears de révéler l’universalité de son intrigue. Manipulations, chantage affectif, désirs amoureux, frustrations, actes pulsionnels, le XVIIIe siècle n’est pas si différent du nôtre. Les codes et les règles ne parviennent à dissimuler longtemps le sourire narquois qui se dessine sur les visages farineux de la Marquise de Merteuil (Glenn Close) et du Vicomte de Valmont (John Malkovich). Jamais contrainte par les somptueux décors qu’elle traverse, la caméra de Frears révèle par sa liberté de mouvement les manigances des deux comparses. Car la première qualité du film est d’avoir su capter les potentialités cinématographiques contenues dans le style de Laclos. L’envoi et la réception des lettres proposent au lecteur une mise en abyme du processus d’écriture. D’indirect, le discours devient au cinéma mouvement pur. Si Laclos profitait de la forme épistolaire pour émettre une réflexion sur son métier d’écrivain, Frears profite de son intrigue pour revenir à l’essentiel de son médium : un cadre, des personnages. C’est le placement de Valmont à l’avant-plan qui souligne son emprise sur la jeune Cécile de Volanges (Uma Thurman), c’est le champ-contrechamp qui signale la violence des confrontations du Vicomte et de la Marquise. La photographie de Philippe Rousselot crée un espace déterminé par les personnages seuls. Derrière la lumière éclatante de l’aristocratie guette l’ombre de la pulsion et de la vanité.

Double jeu

Les qualités esthétiques des Liaisons dangereuses ne doivent pas faire oublier l’importance octroyée par Frears à ses acteurs. John Malkovich et Glenn Close dominent l’ensemble. Les défis de Valmont et Merteuil renvoient à des jouxtes de comédiens. Ce sera à qui réussira le mieux son entrée, parviendra le plus subtilement à parvenir à ses fins. Le jeu des apparences oblige les deux acteurs à se surpasser. Des émotions feintes aux sentiments dissimulés, le regard se mouille ou assure un maintient tout obligé. Démultiplication émotionnelle que symbolisent les nombreux miroirs fragmentant l’identité de ces tricheurs experts. Face à eux,  Uma Thurman et Keanu Reeves déploient un jeu plus monolithique, dicté par leurs personnages d’ingénus pervertis. Michelle Pfeiffer quant à elle compose une Madame de Tourvel tout à fait émouvante, partagée entre ses valeurs et les sentiments soudains qu’a su faire naitre en elle l’amour et sa perte.

La rencontre heureuse de Frears et de Laclos passe donc par un choix de casting plus que judicieux. Le plaisir du spectateur se partage alors entre narration, mise en scène et interprétation. Les Liaisons dangereuses prouve que l’adaptation littéraire au cinéma procure un double bénéfice : pour le roman auquel le film rend honneur, pour le film invité à réfléchir ses fonctions selon un principe de reprise altérée.

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