Quelque part en Europe. Younghee a tout laissé derrière elle : son travail, ses amis et son histoire d’amour avec un homme marié. Seule sur la plage, elle pense à lui : elle se demande s’il la rejoindra. Gangneung, Corée du Sud. Quelques amis trinquent : ils s’amusent de Younghee qui, ivre, se montre cruelle à leur égard. Seule sur la plage, son coeur divague : elle se demande combien l’amour peut compter dans une vie.
Seule sur la plage la nuit est actuellement diffusé en salle. Il fut projeté à la Berlinale (dont l’édition 2018 se prépare) l’année dernière, et son actrice principale, Kim Min-Hee y fut récompensée du prix d’interprétation (Ours d’argent).
A Cannes cette année, nous avions beaucoup apprécié Le jour d’après, quoi qu’il ne figure pas dans notre top car tous nos chroniqueurs n’ont pu le voir.
Le jour d’après était limpide comme le soju, très rohmerien diront certains, très garrellien d’autres, très « san souien » en tout cas tant on y retrouve tout ce qui fait la saveur de son cinéma, totalement en marge des modes, en décalage avec son temps sur la forme (et notamment avec l’ultra chic tendance polar noir à la coréenne), mais aucunement sur le fond. Le cinéma d’Hong San Soo en ce qu’il s’intéresse à l’Homme, à ses émois, à ses sentiments, à ses errances, à ses faiblesses, à ses relations avec l’autre, aux vapeurs de l’alcool qui permettent d’accéder à la vérité, dans sa composante tragique parfois, en apparence comique et brutale le plus souvent.
San Soo nous parle le plus souvent de lui, il n’a de cesse de renouveller un récit qui est le sien, qu’il vit, qu’il pense ou qu’il rêve.
Seule sur la plage la nuit interroge dés son titre, dés ce « e » qui nous introduit un personnage autre; son sujet principal sera donc une jeune femme. On se souvient alors par exemple du parfois inconsistant In another country, où Isabelle Huppert filait une partition très « nouveau roman », où les répétitions étaient centrales. Dés les premières images, on comprend que San Soo s’essaye réellement à quelque chose de très différent. Son héroïne cherche à se reconstruire à Hambourg après une relation avec un cinéaste- Lui même a vécu une telle expérience, suite à un adultère. Nous sommes dans « un autre pays », dans un autre cinéma, dans un ailleurs.
Nous découvrons donc une jeune femme d’emblée mystérieuse discuter sur un balcon avec une amie, plus âgée qu’elle, de tout et de rien, surtout de tout, comme si souvent dans les romances du maître coréen. Les repères auxquels nous avons l’habitude de nous raccrocher se font étonnamment discrets, quelques zooms par ci par là tout au plus, mais l’impression première s’installe petit à petit puis demeure: nous sommes effectivement ailleurs, l’orientation risque d’être des plus difficiles pour peu que l’on ne tienne pas la barre, que l’on se laisse distraire.
Car les motifs de distraction s’invitent, San Soo s’amuse à brouiller les pistes en permanence, sur le fond – les discours s’enchaînent sans ligne de conduite claire, les identités sont floues, les comportements de la jeune femme soudainement lunatiques lorsque l’alcool s’invite, comme sur la forme – nous pensons notamment à une sorte de gag poétique et symbolique que n’aurait certainement pas renié Tati, un hors cadre qui devient cadre sans prévenir, et qui paradoxalement en dit très long sur ce que l’on observe.
Ne vous attendez pas à repartir avec une vue claire des choses, oh non. Bien au contraire, le titre, encore une fois en dit long en ne disant rien: le réel, le vécu, d’un côté, que l’on nous laisse projeter, le mystérieux, l’elliptique, le songé de l’autre, que l’on pourra tenter de deviner. Rien n’est simple, rien n’est limpide, certains osent la parabole avec Lynch – ce qui nous semble une vaste tromperie tant la construction, tant la forme, les univers sont éloignés entre les deux cinéastes.
En tout cas, malgré une apparente linéarité, Seule sur la plage la nuit propose, à l’image de l’adagio de Schubert retenu par San Soo pour accompagner les ballades de notre héroîne, une très étonnante variation, qui peut plaire, comme dérouter, Pour qui aime se perdre, assurément, cet étrange opus ne restera pas mineur.
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