La sortie en salle ce jour du documentaire Paroles de bandits coïncide à bon escient avec la journée internationale de l’immigration. Ce documentaire réalisé par Jean Boiron-Lajous fait un constat douloureux : la gestion des flux migratoires dans la vallée de la Roya n’a apporté aucune réponse aux drames humains en cours. Entre contrôles policiers, déplacements sous surveillance et distributions sous le manteau de sacs plastiques remplis de quelques maigres victuailles, l’aide des habitants aux migrants se fait en cachette et dans l’anonymat, de bandit à bandit.
Depuis la fermeture de la frontière entre la France et l’Italie en 2015, la vallée de la Roya est devenue le symbole de l’insoumission. Les migrants bloqués à Vintimille continuent de passer en déjouant barrages et contrôles, aidés par certains habitants de la vallée. Dans cette enclave où des migrants espèrent atteindre un avenir meilleur, la solidarité des habitants est devenue un acte de résistance. À travers le récit de celles et ceux qui sont dans l’illégalité pour faire respecter des droits fondamentaux, Paroles de bandits raconte l’histoire de ce territoire et de tant d’autres…
La Roya prend sa source dans les Alpes-Maritimes avant de se jeter dans la Méditerranée au niveau de Vintimille en Italie. Deux lignes de crêtes bordent ce fleuve côtier. Celle située à l’est matérialise la frontière entre la France et l’Italie et c’est sur celle située à l’ouest que les contrôles policiers des migrants sont effectués. La vallée de la Roya forme ainsi dans sa zone française une enclave sur la voie de passage transalpine empruntée par les migrants.
C’est dans cette vallée de la Roya que Jean Boiron-Lajous emmène les spectateurs de Paroles de bandits. Le documentariste se refuse à proposer la moindre interview face caméra. Le documentaire ancré dans les faits et gestes de ses protagonistes épouse plus naturellement les mouvements de ces derniers. Les déplacements des migrants et des aidants en voiture ou à pied animent Paroles de bandits. Les représentants de l’autorité publique, gendarmes ou policiers, ne sont jamais très éloignés et la traversée d’un tunnel peut alors prendre une symbolique certaine.
S’ils ne sont pas prononcés face à la caméra mais plus volontiers restitués en voix off, les témoignages recueillis n’en demeurent pas moins instructifs. Boiron-Lajous ne fait ni œuvre de militantisme, ni œuvre de propagande. Alors que sa caméra reste toujours placée à juste distance de ses interlocuteurs, il dresse le constat d’une situation courante. Celle de migrants africains qui cherchent à poursuivre leur exil à travers les frontières et les lois créées par l’homme pour « diviser et mieux régner ». Ici, la répression est locale par l’intermédiaire des forces policières. Le cas échéant, elle peut être nationale via les autorités judiciaires.
Ainsi, de fil en aiguille, le contexte présenté est aussi celui des habitants de la vallée. Ces aidants sont autorisés à héberger et soigner les migrants mais il leur est interdit de les transporter d’un village à un autre. La situation qui en découle est ubuesque pour ces habitants entrés malgré eux en résistance face à la police, ses patrouilles et ses contrôles. La criminalisation des migrants va ainsi de pair avec celle des aidants. Les bandits peuplent donc les deux parties prenantes. Par voie de conséquence, il est affaire de discrétion et d’organisation pour les aidants. L’anonymat est de rigueur ce qui interroge dans un État de droit. Ainsi, exception faite de Cédric Herrou, Paroles de bandits est peuplé exclusivement de figures anonymes qui vivent avec la menace constante d’être arrêtées. L’engagement porté et la désobéissance qu’il entraine doivent dès lors être clairement identifiés. Quand et jusqu’à quel point s’engager ?
Enrico Ioculano, maire de Vintimille, avait fait publier le 11 août 2016 un arrêté dont l’objet était : « Interdiction de distribuer et/ou administrer de la nourriture et des boissons dans des zones publiques de la part de personnes non autorisées ». Cette interdiction annulée le 22 avril 2017 et les rafles hebdomadaires pratiquées à Vintimille ont finalement déplacé plus au nord de l’Italie la voie de passage des migrants. Boiron-Lajous dresse un constat sans fard sur une situation à laquelle aucune réponse digne et crédible n’a été apportée. Les gendarmes ont fait fuir les migrants de la vallée de la Roya mais le drame humain demeure et, sans réponse, va s’aggraver à l’avenir.
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