Soane, jeune Wallisien, brave l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole. Livré à lui-même à l’autre bout du monde, son odyssée le conduit à devenir un homme dans un univers qui n’offre pas de réussite sans compromission.
Un récit original
Mercenaire frappe par l’originalité de son scénario qui met en scène un jeune rugbyman wallisien, Soane sobrement interprété par Toki Pilioko, venu tenté sa chance en métropole. Le récit ne porte donc pas sur un travailleur étranger mais sur un Français d’ailleurs au sein d’un environnement particulier, celui du sport professionnel.
Sacha Wolff a visiblement effectué un conséquent travail de documentation pour bâtir un récit au spectre thématique très large. Ainsi, la prévisible problématique de l’intégration est couplée aux enjeux du sport professionnel (dopage, contrôles anti-dopage, négociation de contrats, rivalités et agents sportifs). Et le déracinement de Soane prend pour reflets les questionnements de la famille qu’elle soit de sang, professionnelle ou nucléaire et recomposée. Pour sa première réalisation, Sacha Wolff aborde trop de sujets, un défaut couramment constaté dans les premiers longs métrages. Certains traitements resteront à l’état d’esquisse.
Une narration ambitieuse
Cette narration trop ambitieuse mais maîtrisée de bout en bout n’altère pas l’intérêt de Mercenaire qui radiographie de façon quasi documentaire le microcosme de l’ovalie hexagonale. Le voyage de Soane est symbolisé par une ellipse qui le mène des îles polynésiennes vues du ciel à un parking bétonné d’un aéroport français. Un pays de rêve laisse la place à un pays du rêve aux couleurs déjà cauchemardesques. Cette césure brutale annonce un déracinement et un parcours d’apprentissage douloureux. La « figure » récurrente d’un chien amputé d’une patte vaut pour métaphore. Soane part avec un handicap auquel il devra s’adapter durant le cheminement semé d’obstacles qui l’attend.
Aux antipodes de ce récit, Sacha Wolff passe également au crible les us et coutumes océaniens. Ces rituels chantés (religion) et dansés (haka), priés (christianisme) ou pas (paganisme), gravés (tatouage récit de l’histoire d’une famille) ou joués (musique) sont l’héritage culturel de Soane. Ils sont également ses seuls bagages à son arrivée en France. L’abondance de ces rites aurait pu laisser craindre une utilisation purement folklorique et/ou ethnographique. Il n’en est rien car Sacha Wolff utilise intelligemment toute cette matière pour servir son schéma narratif. Le drame classique emprunte alors à la tragédie sur fond de mythologies océaniennes jusqu’à un finale référençant explicitement l’Odyssée. L’antique tragédie grecque devient contemporaine sous les douces latitudes de la Polynésie française.
Une réalisation soignée
L’approche narrative de Sacha Wolff ne manque donc pas de qualités comme sa réalisation et sa direction d’acteurs. Exception faite d’Iliana Zabeth, le casting de Mercenaire est exclusivement composé de non professionnels. Pour autant, les rôles distribués ne sont pas des rôles de composition car chaque comédien campe un personnage proche de son statut dans le civil. Cette distribution astucieuse forme un collectif performant qui accentue le réalisme du film.
Enfin, alors que la question de la masculinité est centrale au long métrage, la mise en scène s’effectue au plus près de corps érigés en masses incontournables. Soane en protagoniste principal n’est jamais très éloigné des cadres saisis par la caméra. Ainsi, quand l’action prend place sur un terrain de rugby, le match est filmé sans quitter le regard du pilier droit. En première ligne, il est le titulaire indiscutable d’un film viril et brutal. Il est le meneur de jeu qui conduit l’action de Mercenaire en terrain adverse.
Un premier film prometteur
Sacha Wolff fait le récit âpre d’un apprentissage rugueux comme un match de rugby. L’adversité est forte et les contacts sont virils mais pas toujours corrects. Des coups sont donnés, d’autres sont reçus, certains sont rendus. Les difficultés d’intégration, le déracinement et le racisme que Soane encaisse sont autant de thèmes traités avec intelligence et finesse. Les stéréotypes trop souvent constatés sur ces sujets sont ici pris à contre-pied. En cela, Mercenaire, premier long métrage de Sacha Wolff, vaut pour essai… transformé.
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