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Lire Lolita à Téhéran : une adaptation sage sur un sujet brûlant

Azar Nafisi, professeure à l’université de Téhéran, réunit secrètement sept de ses étudiantes pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime. Alors que les fondamentalistes sont au pouvoir, ces femmes se retrouvent, retirent leur voile et discutent de leurs espoirs, de leurs amours et de leur place dans une société de plus en plus oppressive. Pour elles, lire Lolita à Téhéran, c’est célébrer le pouvoir libérateur de la littérature.

Aborder, à travers le prisme de la littérature, la résistance à l’oppression, tient d’une idée forte, Lire Lolita à Téhéran en saisit toute la symbolique. Inspiré du livre autobiographique d’Azar Nafisi, professeure et femme de lettre d’origine iranienne vivant aux USA, le film d’Eran Riklis suit l’expérience vécue de l’autrice, qui, après être retournée en Iran pleine d’espoir au moment de la révolution 1979, se voit obligée de réunir en secret ses étudiantes chez elle pour leur faire découvrir des œuvres interdites par le régime. À travers ces lectures clandestines, les élèves reprennent possession de leur parole et de leur identité, dans un contexte où tout leur est confisqué. Ces séances de « club de lecture » deviennent donc, petit à petit, des espaces sûrs pour elles, vivant dans des conditions et venant d’horizons divers, pour s’exprimer en toute confiance, dénoncer les violences qu’elles subissent: la violence conjugale pour une, la violence policière pour l’autre, le port du voile obligatoire pour toutes. S’invitent alors beaucoup de questions autour du rapport entre la littérature et la politique. Dans une société où l’art perd sa légitimité sous l’ordre morale imposé par les fanatiques islamistes, notre héroïne tente de vivre en croyant toujours à l’importance de la littérature et à la déstabilisation, la doute moral que cela apporte.

L’actualité confère à ce récit une résonance particulière, notamment au regard du mouvement Femme, Vie, Liberté. Porté par un trio d’actrices franco-iraniennes en exil – Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani, – le film capte avec justesse la détresse et l’élan de révolte de ces femmes. Certaines scènes, où elles débattent fiévreusement sur Lolita de Vladimir Nabokov ou osent rêver d’une autre vie, enlevant leur voile, parlant d’amour, de désirs et d’idéaux, dégagent une intensité réelle. Le film marque, par ailleurs, le grand retour de Golshifteh Farahani après quelques années moins valorisantes dans sa carrière (Nous ne l’avons pas beaucoup vu dans de grands rôles depuis Patterson de Jarmusch). Ici, ce rôle principal lui donne l’occasion de montrer ses capacités de comédienne, de jouer une large palette de sentiments dans des situations très diverses, plutôt tragiques (le film s’étale sur trois décennies). Et elle nous semble brillante, parfaitement crédible dans ce rôle sur-mesure qui lui va si bien.

Nous pouvons reprocher au cinéaste, Eran Riklis, au final, de rester dans un cadre académique, de ne traduire la tension pesant sur ces femmes autrement que par des dialogues explicatifs, d’exposer et non faire ressentir. Comparativement, les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, sorti en septembre 2024, traitait d’une manière bien plus viscérale de la violence du régime. Deux films « jumeaux », sur le même sujet, mais situés dans deux époques différentes et racontés sous des angles différents. Là où Lire Lolita à Téhéran illustre une oppression de l’extérieur, Les Graines du figuier sauvage en montrait les effets insidieux à l’intérieur même d’une famille. Notre interprétation serait que, dans un cas, le cinéaste incarne la lutte, dans l’autre, il tente de la représenter.

Lire Lolita à Téhéran peut paraitre un film moins direct et percutant en ce sens, mais il nous donne à voir d’autres aspects, parfois tus, du combat des iraniennes pour la liberté.

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