Un an après sa présentation au festival de Cannes dans le cadre de la sélection Un certain regard, la dernière réalisation en date du cinéaste turc Semih Kaplanoglu apparaît enfin sur les grands écrans de nos cinémas. Les promesses d’Hasan, film au long cours entièrement tourné autour de son personnage principal, déroule le récit d’une rédemption morale. C’est une sorte de quête existentielle dont la charge est indéniablement symbolique.
Lorsque Hasan apprend qu’un pylône électrique va être installé sur les terres qu’il cultive, il manœuvre afin que son champ soit épargné. Mais avant de partir en pèlerinage à la Mecque, il promet à sa femme de réparer ses erreurs passées.
La réalisation des Promesses d’Hasan (Baglilik Hasan / Commitment Haslan) fait suite à celle de Baglilik Asli (2019, Commitment Asli), film resté à ce jour non distribué en France. De durées et titres voisins, Baglilik Asli et Baglilik Hasan constituent en fait les deux premiers volets de la trilogie « Commitment Fikret » adaptée du Prix Nobel A mind at peace écrit par Ahmet Hamdi Tanpinar. Dans l’attente de la troisième et ultime partie, ces deux films forment aujourd’hui un diptyque « genré » puisque les rôles principaux, Asli et Hasan, y sont tenus respectivement par Kübra Kip, actrice turque âgée de 32 ans en 2019 et Umut Karadag, acteur turc de 50 ans.
Cette trilogie en devenir fait suite à une première trilogie composée par Semih Kaplanoglu, « Yusuf Trilogy », dont le point d’orgue a été le troisième volet : Miel. En effet, le cinéaste turc fut le lauréat de l’Ours d’or 2010 décerné par la Berlinale. Cette prestigieuse récompense venait notamment saluer les qualités plastiques (soin apporté aux cadres, à la profondeur de champ) de Miel qu’on retrouve pleinement dans Les promesses d’Hasan. En la matière, il faut souligner que Kaplanoglu est l’auteur de nombreux articles sur l’art cinématographique mais aussi sur l’art plastique.
Et, au-delà de la mise en scène de ses longs-métrages, Kaplanoglu est aussi l’auteur et le producteur de chacun de ses huit films composant une filmographie initiée en 2001 avec Chacun chez soi (Herkes Kendi Evinde) non distribué en France. Ce cinéaste, au sens noble du terme donc, méconnu en France est aussi crédité au montage technique de cinq de ses huit œuvres cinématographiques dont celle qui nous intéresse aujourd’hui.
D’ailleurs, en matière de cinéma turc contemporain, Nuri Bilge Ceylan est plus volontiers cité que Kaplanoglu. Ceylan, un modèle pour Kaplanoglu ? Très probablement notamment dans la première partie des Promesses d’Hasan durant laquelle l’auteur de Miel donne à voir des paysages locaux captés en plans larges, lents et aériens. Comme dans Miel et La particule humaine (2017), on retrouve pleinement l’appétence du cinéaste à filmer ses séquences quasi exclusivement en extérieur (majestueux sycomore). La captation des éléments naturels (eau, vent, etc.) y est orchestrée avec brio. Il y a aussi des séquences récurrentes en voiture inspirées du cinéma iranien d’Abbas Kiarostami ou de Jafar Panahi notamment. Mais au fil de la progression de sa narration, Les promesses d’Hasan se pare de scènes plus oniriques. Cette évolution s’accompagne de nouvelles références cinématographiques évoquant le cinéma d’Andreï Tarkovski et plus particulièrement Stalker (1979) et Le miroir (1975). Ainsi, dans ce film à la bande sonore discrète, cette dernière s’anime soudainement de sonorités électroniques très voisines de celles composées par Edouard Artemiev pour les deux longs-métrages précités. La scène d’accueil de cette partition est une copie quasi conforme d’une célèbre séquence de Stalker. Ici, la référence est tant visuelle que sonore.
Kaplanoglu cite aussi Ingmar Bergman en référence aux visages-iconiques. Dans Les promesses d’Hasan, une importance certaine est en effet accordée aux plans sur les visages. En la matière, le cinéaste turcs’auto-cite puisque sous certains angles de prise de vue et sous un éclairage rasant, son acteur principal, Karadag, partage quelques ressemblances avec Jean-Marc Barr, interprète du rôle central de La particule humaine.
Sur la forme, Les promesses d’Hasan est animé de belles qualités dont le fond ne bénéficie qu’en partie. Le fil directeur du film – la reconstruction d’un lien fraternel – n’est dévoilé que tardivement et aux détours de dialogues peu saillants, voire académiques (formation au hadj) par instants. Le long cheminement d’Hasan se révèle à la fois très implicite et très autocentré. Ainsi, peu de place est laissée aux personnages secondaires. Alors que la durée « ceylanesque » du film (2h27) offrait des espaces pour creuser la psyché des protagonistes de second rôle, Karadag a choisi de filmer surtout le parcours très personnel d’un Hasan omniprésent. Un parcours de rédemption chargé en symboles ou rites religieux : hadj, arbres, pommes, etc. Seul le personnage du banquier bénéficie d’un peu d’attention de la part de l’auteur. Les autres protagonistes secondaires n’existent guère dans la narration mise en œuvre. Le traitement éludé de leur caractérisation est finalement frustrant. Il l’est d’autant que ce choix se décline en plusieurs fils narratifs restitués au fil d’un découpage plutôt arbitraire ne parvenant pas à donner de la profondeur au propos avancé, certains échoueront sans suite.
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