Les bonnes manières a été présenté dans de nombreux festivals. De cette large campagne festivalière, Juliana Rojas et Marco Dutra ont accumulé de nombreuses récompenses. Ainsi, au Prix spécial du jury du festival de Locarno en 2017 sont venus notamment s’ajouter les Prix du jury et de la critique du festival Gérardmer 2018. Ce palmarès souligne la qualité d’un exercice de style qui débouche sur un film hybride inclassable. Dans une veine fantastique, Rojas et Dutra livrent une sorte de fable… d’épouvante aux portées sociales et politiques.
Clara, une infirmière solitaire de la banlieue de São Paulo, est engagée par la riche et mystérieuse Ana comme la nounou de son enfant à naître. Alors que les deux femmes se rapprochent petit à petit, la future mère est prise de crises de somnambulisme…
Les bonnes manières recèle une singulière proposition de cinéma qui ne coche aucune case d’un attendu cahier des charges. En faisant peu à peu glisser leur mélodrame social initial vers une fable lycanthrope, marient l’hyperréalisme au fantastique. Ainsi, au rythme d’une grande ambition narrative, le récit emprunte tour à tour aux codes des telenovelas, des romances, des thrillers psychologiques et des contes horrifiques. Et, pour faire bonne mesure, les deux cinéastes parviennent à insérer dans leur film une séquence illustrée et des chansons qui participent à la narration comme dans une comédie musicale.
Rojas et Dutra abolissent les frontières entre des genres très composites. Ils livrent un film sans couture rendu possible notamment par l’excellente gestion des multiples ruptures de ton imposées par cet exercice d’équilibriste. De l’hybridité du film nait une homogénéité inespérée ! Les bonnes manières est plus qu’un film de genre, c’est un film de plusieurs genres.
Les deux cinéastes adjoignent à la grande variété cinématographique offerte un travail esthétique conséquent. Celui-ci passe notamment par l’utilisation du matte painting sur les décors urbains en arrière-plan de certaines séquences. Les couleurs lumineuses peintes confèrent aux décors urbains de São Paulo des aspects légèrement futuristes. Pour figurer un loup-garou expressif entre loup en enfant, les deux réalisateurs ont opté pour un compromis entre effets mécaniques (animation électronique) et effets numériques (images de synthèse). Les expressions faciales du louveteau-garou sont ainsi celles du jeune et bien nommé Miguel Lobo (le terme portugais « lobo » signifie « loup »).
Aux partis-pris esthétiques forts sont associés des choix narratifs assumés. Au mitan du film, le dénouement du pan fantastique des Bonnes manières est suivi d’une ellipse qui place l’action sept ans plus tard, dans de nouveaux décors et avec un duo de protagonistes principaux renouvelé pour moitié. Le film devient par la même occasion diptyque car, narration chronologique oblige, les deux parties demeurent distinctes. Deux parties donc pour un film réalisé par un duo de scénaristes-réalisateurs qui s’emploie à jouer du contraste de multiples dualités.
La dualité la plus visible est formée par le duo de protagonistes de la première partie. Ana (Marjorie Estiano) est Blanche, issue d’une classe sociale privilégiée et enceinte donc féminine. Elle emploie Clara (Isabél Zuaa), afro-brésilienne en difficulté financière et dont les cheveux très courts révèlent une certaine masculinité. Dans la seconde partie, ses cheveux longs affirmeront sa féminité dans son rôle de mère adoptive d’un garçonnet, lui-même personnage double, vecteur d’une autre dualité confrontant vie et mort. Le thème des doubles mis en opposition s’étend jusqu’aux décors extérieurs. São Paulo semble scindée en deux entre un centre-ville cossu et moderne et des quartiers périphériques populaires.
Pour sa part, le propos des Bonnes manières paraît cependant plus fuyant. Rojas et Dutra mâtinent leur film de réflexions sur les rapports de classe et de race, mais aussi sur l’homosexualité et la maternité. Et, derrière le mythe du loup-garou – réceptacle à de nombreuses croyances religieuses dans le Brésil rural dont est issue Ana – il n’est pas interdit d’entrevoir une représentation de la société brésilienne en crise et de la violence qui l’habite.
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