Mis à jour le 1 novembre, 2016
François Ozon revisite le brillant mais méconnu Broken lullaby (1932, Ernst Lubitsch) qu’il complète d’une seconde partie originale. A travers un noir et blanc distanciant, Frantz mue l’intense plaidoyer pour une amitié franco-allemande de Lubitsch en mélodrame romancé. Ce dernier long métrage en date du cinéaste français passe au révélateur une jeune actrice allemande, Paula Beer, auteure d’une délicate et remarquable interprétation.
Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.
Deux parties distinctes composent Frantz de François Ozon. L’action prend d’abord place dans une petite ville en Allemagne avant d’être déplacée en France, essentiellement à Paris.
La première partie n’est autre qu’une reformulation de Broken lullaby, un film réalisé en 1932 par Ernst Lubitsch. La variation proposée par François Ozon n’est d’ailleurs que partielle, puisque nous retrouvons dans Frantz des séquences qui sont la copie conforme de celles composées par le cinéaste allemand. Nous pensons notamment à la scène d’accusation des pères qui ont envoyé à leur place leurs fils sur le front d’une première Guerre Mondiale encore récente en cette année 1919. Avec cette première partie, l’auteur de Huit femmes s’expose donc à une inévitable comparaison avec son illustre prédécesseur.
La finesse, la pureté et l’efficacité de la réalisation d’Ernst Lubitsch permettaient, aux détours de quelques sublimes plans, d’octroyer à Broken lullaby une impressionnante densité à la narration des relations entre les protagonistes, des horreurs de la Grande Guerre et des ressentiments post conflit. François Ozon n’atteint pas ce niveau de perfection, la faute à des choix de mise en scène moins audacieux .
Rivaliser avec la virtuosité de la mise en scène d’Ernst Lubitsch, était probablement un challenge impossible, Ozon ne convainc que partiellement. Ainsi, le choix de photogrammes lisses en noir et blanc peut être discuté car la froideur qui en ressort instaure une certaine distance entre les protagonistes et les spectateurs. Certes, le réalisateur émaille son (trop) beau noir et blanc de quelques plans en couleur mais qui, trop rares, ne permettent pas de briser la glace. Les motivations de ces passages du noir et blanc à la couleur nous sont restées obscures jusqu’à l’explication fournie en fin de film que nous ne dévoilerons donc pas dans cet article. Un second visionnage du long métrage permet de juger du degré de pertinence de l’explication avancée.
François Ozon suit la trame narrative de Broken lullaby sans la dupliquer mais en l’adaptant. Ainsi, Adrien Rivoire (Pierre Niney) ment en se présentant comme ami de Frantz, un mensonge absent de la bouche de Paul (Phillips Holmes) chez Lubitsch. Ce mensonge, dévoilé par le spectateur avant qu’il ne soit révélé par son auteur, détourne le propos de Frantz par rapport à celui de Broken lullaby dont nous tairons le titre français pour ne pas annihiler l’intrigue proposée. Cette louable adaptation a le mérite d’équilibrer les débats entre Adrien et Anna (Paula Beer).
Si Frantz est plus porté par les dialogues que Broken lullaby, pour autant François Ozon se montre plus superficiel dans son propos qu’Ersnt Lubitsch. Les conséquences matérielles et psychiques de la Grande Guerre, sujets passionnants, sont présentes dans Frantz mais sont plus évoquées que traitées. Le magnifique et intense drame narré par Ernst Lubitsch, véritable plaidoyer pour une amitié franco-allemande, devient ainsi, sous le titre Frantz, un mélodrame plus convenu.
François Ozon n’a cependant pas commis l’erreur d’étendre les soixante-quinze minutes du film original. Il a judicieusement opté pour la réalisation d’un prolongement de l’histoire en terres françaises dans une seconde partie du film reflet de la première.
Adrien a révélé son secret et est retourné en France. Anna quitte son Allemagne et part à sa recherche. Comme son homologue masculin, elle se cache derrière un mensonge. Les procédés narratifs et de mise en scène sont ainsi maintenus mais les rôles sont inversés. Au mélodrame initial succède alors une seconde partie plus romancée où les ressentiments français prennent le relais de ceux des belligérants allemands de la première moitié de Frantz.
Parmi les autres bonnes idées de François Ozon, il y a celle qui l’a emmené à engager Paula Beer pour incarner Anna, personnage féminin central de son long métrage. Jeune actrice allemande, Paula Beer livre une délicate interprétation en sous-jeu. Une performance remarquable et rarement vue chez une comédienne si jeune.
François Ozon s’appuie sur la trame narrative de Broken lullaby pour finalement s’en détacher totalement dans la seconde partie originale de Frantz. L’adaptation sur le fond comme sur la forme du récit originel vaut donc que partiellement pour comparaison avec l’œuvre d’Ersnt Lubitsch.
Ozon s’inspire de Lubitsch mais laisse cours à son imagination et à ses qualités propres. Par voie de conséquence, Frantz référence donc Broken lullaby mais surtout le prolonge.
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