Effacer l’historique est le neuvième long-métrage écrit et réalisé pour le cinéma par le duo Benoît Delépine et Gustave Kervern depuis Aaltra distribué en salle en 2004. Autant de collaborations qui ont abouti à constituer une filmographie singulière dans le paysage des comédies françaises portées au grand écran. Sous couvert d’un humour jamais vulgaire et souvent grinçant, les deux cinéastes composent une filmographie qui tire le portrait de notre société de consommation et de ses dérives. Effacer l’historique ne déroge pas à cette formule désormais familière et reconnue.
Dans un lotissement en province, trois voisins sont en prise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Il y a Marie, victime de chantage avec une sextape, Bertrand, dont la fille est harcelée au lycée, et Christine, chauffeur VTC dépitée de voir que les notes de ses clients refusent de décoller. Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet. Une bataille foutue d’avance, quoique…
Bien que voisins, Marie, Christine et Bertrand – incarnés par Blanche Gardin, Corinne Masiero et Denis Podalydès – se sont connus sur un rond-point au début du mouvement des Gilets Jaunes. Deux ans plus tard, leur situation respective s’est encore dégradée. Aux ruptures sentimentales se sont greffées des complications d’ordre professionnel impliquant à leur tour des difficultés financières. Dans leur quartier pavillonnaire banal et sans âme des hauts-de-France (semblable à des milliers d’autres en France), ces trois antihéros collent au cinéma de Benoît Delépine et Gustave Kervern.
Un cinéma « populaire » car pourvoyeur de films sans fard et sans filtre mais aussi, soulignons-le car cette caractéristique est loin d’être partagée par toutes les comédies françaises, sans vulgarité. La volonté des deux réalisateurs est de coller au réalisme du quotidien d’un classe moyenne française en perdition. Un cinéma social et en marge au sens où il porte à l’écran des antihéros rarement filmés, individus anonymes de la France périphérique. Un anonymat ici mis à rude épreuve par le traçage électronique de vies privées. Notons cependant que dans Effacer l’historique l’adhérence voulue peine d’abord à se mettre en place puis à se maintenir sur la durée. Nous pouvons ainsi regretter un double épilogue autour des personnages de Marie et Bertrand qui mèneront l’action hors de France. Deux issues très prévisibles qui demeureront étrangères au reste du film.
Bien que plaisant et appréciable, Effacer l’historique se révèle ainsi quelque peu bancal dans sa trame narrative. A travers la trajectoire de leurs trois personnages, français lambda, Delépine et Kervern passent en revue les biais possibles de nos vies envahies par les nouvelles technologies. La virtualisation grandissante de notre quotidien a des conséquences bien réelles dont celle de placer nos vies privées sur la place publique que sont les réseaux dits sociaux. Isolements, chantages et harcèlements font partie des effets de bord constatés. Plus encore, ces existences 2.0 sont la cible de propositions commerciales pas toujours sollicitées qui, si elles sont acceptées, génèrent l’accumulation de petits crédits à la consommation, sources d’une plus grande précarité financière. Dès lors le terrain est propice au développement de solutions bricolées pour payer tant bien que mal les factures en fin de mois.
Delépine et Kervern filment une bataille contre les GAFA, fournisseurs de nouvelles technologies intrusives, véritables aspirateurs de vies privées stockées dans des data centers. L’intelligence artificielle prend alors le relai pour produire un réel déshumanisé et enfanter quelques absurdités mises en avant dans Effacer l’historique. Faut-il lutter contre ces dérives ? La bataille semble perdue d’avance. Il faut répondre à l’absurde par l’absurde, vivre avec et s’efforcer de prendre de la hauteur, beaucoup de hauteur.
Derrière l’Ours d’argent obtenu lors de la Berlinale 2020 se cache un film plus convenu, moins irrévérencieux que certains de ses prédécesseurs. L’humour pratiqué reste agréable mais manque d’acidité et de mordant. Delépine et Kervern s’inscrivent davantage dans un constat que dans une dénonciation forte. Le titre du film à l’infinitif plutôt qu’à l’impératif était donc prémonitoire, sans injonction. Enfin, le duo ce cinéastes ménage à certains de leurs acteurs-amis (Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde, Philippe Rebbot, Michel Houellebecq) de savoureux caméos dont nous nous garderons de dévoiler le contenu.
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